samedi 16 janvier 2010

Quelques retours sur mon Cajétan

Mon gros bouquin sur le plus grand des disciples de Thomas d'Aquin [Cajétan ou le personnalisme intégral, éd. du Cerf, sept. 2009, 59 euros] n'a pas suscité, pour l'instant, une masse de commentaires. Je m'honore néanmoins d'une recension dans Etudes, la célèbre "revue de culture contemporaine" animée par les Pères jésuites, qui se réjouit de cette "forte synthèse". Je suis par ailleurs la victime d'une charge dans Disputationes catholicae dont je vous reparlerai, où l'auteur pseudonyme, qui doit être (si je ne m'abuse) un de mes anciens étudiants (on n'est jamais trahi que par les siens) voit en moi (il n'ose pas dire en Cajétan) un gnostique panthéiste, et ce, alors que la démarche de Cajétan - et la mienne plus modestement - se situent métaphysiquement à l'exact opposé de toutes formes d'univocité et donc aux antipodes de tout panenthéisme.

Mais brisons là.

Vient de m'arriver un très beau texte, publié dans la revue Eléments et signé AB. En cet AB, les initiés reconnaissent tout de suite Alain de Benoist. Je me permets de reproduire ici sa présentation, car cet agnostique proclamé a exactement saisi les soubassements métaphysiques de la théologie de Cajétan. Il les résume en quelques formules bien frappées, sous le titre Scolastique baroque :
Scolastique baroque

"Surtout connu pour être violemment opposé à Luther en tant que légat du pape, le cardinal Thomas de Vio (1469-1534), dit Cajetanus ou Cajétan (l'homme de Gaète) fut aussi un théologien de premier plan, assez oublié il faut bien le dire, dont Guillaume de Tanoüarn a entrepris de retracer la doctrine avec autant de savoir que d'intelligence. Dominicain, aristotélicien, brillant représentant de la Via thomistica, Cajétan s'était proposé de renouveler la scolastique, en développant une métaphysique de l'analogie (De nominum analogia 1498) que l'auteur interprète comme un "personnalisme intégral". L'analogie dont il est ici question n'est pas l'analogie d'attribution, qui se rapporte à un principe unique, mais l'analogie de proportionnalité, c'est-à-dire le lien immanent qu'entretiennent des substances qu'apparie, sans entretenir de relation réelle, un même rapport à l'Etre. Cette diversité analogique que Cajétan nommait alietas, et qui est, chez lui, un moyen de connaissance en même temps que la clé de son pluralisme métaphysique, retiendra l'attention de Heidegger qui, à l'époque de Sein und Zeit, critiquera à partir d'elle l'ontologie de Descartes. Répondant à la fois au réalisme et au nominalisme, Cajétan affirmait que la pensée n'a plus rien à craindre des formes de multiplicités radicales, car la différence n'implique pas la dissémination : il existe toujours une structure du divers. Il était donc l'ennemi déclaré de l'univocité, c'est-à-dire du conformisme (ce qui explique peut-être qu'il fut condamné aussi bien par Maurice Blondel que par Etienne Gilson ou Henri de Lubac). Soucieux de concilier foi chrétienne et esprit de la Renaissance, il n'hésitait pas à s'appuyer sur l'humanisme d'Erasme pour mieux répondre au protestantisme naissant. C'était en fin de compte un théologien baroque, ce qui n'a pas manqué de séduire Guillaume de Tanoüarn. Il n'est en tout cas pas nécessaire d'approuver les fondements de la Scolastique pour apprécier ce travail, dont l'auteur se révèle d'emblée un philosophe à l'exacte hauteur de son sujet"
Merci à Alain de Benoist de cette finesse de compréhension... Cher Alain, permettez moi de vous taquiner juste sur un point : au sens historique du terme, la Scolastique baroque, massivement espagnole, n'est pas vraiment marrante. Melchior Cano (1509-1560) fait la théorie du traditionalisme catholique, en prenant à témoin assez théâtralement, tous les ancêtres, alors que Cajétan se bat lui au nom de la "raison rendue" (reddita ratio)... Est-il baroque ? Il y a dans l'Age baroque un parti pris d'irrationalité au coeur du monde (voir les disputes sur la prédestination), alors que Cajétan veut pousser la raison aux limites de ses possibilités.

Mais, vous avez raison, l'analogie, dans son fonctionnement comme moyen de connaissance, a quelque chose de... prodigieux, qui en fait un instrument merveilleusement baroque. Non pas au sens étroitement historique ou culturel de ce terme. Mais du point de vue du geste et de la figure que ce geste donne à voir : le cajétanisme est une théorie de la métamorphose chrétienne (que l'on appelle aussi le salut). Quoi de plus baroque en vérité que la métamorphose?

10 commentaires:

  1. Cher abbé, j’ai été très déçu par le texte paru dans «Disputationes catholicae» que je viens de lire. Vous annonciez une charge, j’imaginais qu’elle portait sur votre livre. Quelqu’un (Jacques Courtin) l’avait lu, n’avait pas aimé, elle allait nous en dire les failles et les limites.

    Hélas! Son reproche principal à votre livre, c’est que vous en êtes l’auteur. «L’abbé de Tanoüarn vient de publier un nouveau livre à son image» en entrée, et «Le dernier livre de l’abbé de Tanoüarn est à l’image de son auteur » en conclusion. Entre les deux, rien de substantiel. Plus que contre votre thèse, Jacques Courtin instruit contre vous, sous le vocable de «ténor de l’IBP» - c’est ainsi qu’il vous nomme, pas moins de 6 fois en quelques dizaines de lignes.

    Mais que vient faire votre appartenance à l’IBP dans cette galère? Aucun rapport avec votre thèse. Il faut donc chercher ailleurs le lien, par exemple du coté de la dent que Jacques Courtin semble avoir contre vous.

    Les Cahiers Disputatio, un peu gênés de publier ce méchant papier, préviennent leurs lecteurs à l’avance : cette recension n’«engage que son auteur» - c’est la règle du genre, qu’ils tenaient à rappeler ici. «Les intelligences qui s'aventurent en dehors des sentiers battus, en proposant autre chose que du déjà pensé se heurtent toujours à l'incompréhension» Bigre, bel hommage! Enfin, et puisque c’est de vous que l’on parle: il convient «de ne pas se méprendre sur l'intention … de l'abbé de Tanoüarn». Ni sur celles du recenseur?

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  2. Vous pourriez arriver à dire des choses importantes si vous vous efforciez d'être moins exubérant. Mais votre verbosité fait paraître frivoles les sujets les plus graves. Songez à vous corriger, si vous voulez que votre intelligence, que Dieu vous a donnée puissante et déliée, serve à la cause de Notre Seigneur Jésus-Christ.

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  3. A l'anonyme de 08:57 - Avant vous, des dizaines de milliers d'enseignants l'ont écrit sur des millions de bulletins: "trop de bavardages... gâche ses possibilités... doit se corriger"

    Mais la pensée de l'abbé n'est pas séparable de son verbe. Il a un certain talent, il a les défauts de ses qualités. On aime ou on n'aime pas. Mais on ne peut pas découper le recto du verso, le pile du face, le penser de la pensée.

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  4. un monsieur et une dame16 janvier 2010 à 21:28

    L'Abbé de Tanouarn est tout sauf verbeux! Sa pensée est fine et précise. Comme il en pèse chaque mot, sa prose est subtile. Elle est parfois complexe mais jamais compliquée. Et toujours claire.

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  5. C'est touchant les leçons de morale données sous couvert d'anonymat ! Visiblement, certains savent parfaitement se servir d'internet pour déverser leur venin mais n'arrivent cependant pas à signer de leur nom ou prénom...
    La "bravitude" de l'anonyme n'a d'égal que ses barbarismes ! Mais il est toujours précieux, pour nous pauvres mortels, d'avoir ainsi l'avis de ces êtres évanescents qui touchent visiblement au ciel tant leur science des reins et des coeurs semble n'avoir rien à envier à celle de Dieu lui-même !...
    Bref, j'ai bien ri !

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  6. J'ai l'impression qu' "Antoine" et l'abbé de Tanouarn, c'est la même personne. Me trompè-je ?

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  7. Pour ma part, j'apprécie énormement la clarté et le style souvent plein d'humour (de bon goût) de M.l'Abbé.

    Les critiques sont sans objet, car si l'on trouve à redire dans l'esprit de bonne foi (càd pour aider, améliorer), ce n'est pas le lieu ici, ce serait bien trop long, donc inefficace. Critiquer juste pro arte et studio n'apporte rien, ni à M.l'Abbé ni aux lecteurs de ce blog (qu'avons-nous à faire que qqn n'a pas aimé un livre et dont il n'apprécie pas l'auteur ? Il vaut mieux se fier au jugement propre ou d'une autorité comme eg...M.l'Abbé)

    Quant aux Anonymes (j'en suis un), cela n'a rien à voir avec la "lâcheté" par contre; c'est plutôt la primauté du Verbe sur l'Image : peut importe qui dit quelque chose, ce qui compte c'est ce qui est dit, la substance, le fond plutôt que la forme. Ce n'est pas un journal où l'on publie des articles à signer de notre nom, il s'agit à peine de mini contributions au débat de temps en temps.

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  8. à l'anonyme de 14:10 qui écrit: "Me trompè-je?"
    je réponds: oui

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  9. Oh, cher Webmestre, vous auriez pu laisser planer le doute ! Une telle confusion me rend confus ! C'est trop d'honneur !
    En même temps, il suffit de lire mes autres commentaires pour s'apercevoir que l'anonyme porte tout simplement une accusation de schyzophrénie... Mais visiblement à court d'arguments, il n'en est plus à ça près !

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  10. Chers amis,

    je suis le fameux recenseur de la revue Catholicae et je vous assure qu'il est inutile de chercher des intentions cachées en cette affaire. Il se trouve que notre revue prétend offrir un espace de liberté pour la discussion théologique. Le débat théologique ne remettant aucunement en cause, par ailleurs, l'autorité dogmatique de l'Eglise. Je ne voyais donc aucune raison de refuser de publier cet article contre l'ouvrage de l'abbé de Tanoüarn ... mais je n'ai vu non plus aucune raison de cacher mon sentiment à son sujet, ce que je crois avoir fait très clairement et avec l'accord de tous ceux qui dirigent nos Cahiers.

    Il est regrettable, me semble-t-il, que les catholiques n'aient pas plus de goût pour la disputatio et aient du mal à engager des débats sans mauvaises passions. Il est important de pouvoir confronter des recherches et des arguments, de pouvoir changer s'il le faut de point de vue, bref de rester dans cette ouverture dont parlait si bien Bergson.

    Pour ma part, mon amitié et mon respect pour l'abbé de Tanoüarn sont profonds et ma confiance en son intelligence aiguisée ne l'est pas moins. Pour tout dire, je serais heureux que l'abbé de Tanoüarn accepte d'écrire pour notre revue et qu'il nous donne une présentation de son oeuvre sur Cajetan, et sur tous les sujets qu'il pourrait lui plaire de traiter.

    Paul, pour la revue Disputatio

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