vendredi 1 avril 2011

Comment pouvez-vous rester traditionaliste ?

C'est la question que me pose sans ambage Julien, dont tous ceux qui fréquentent ce Blog apprécient la plume et les commentaires.

J'ai affirmé deux choses, dans le post du 28 mars où se trouve ce commentaire de Julien, deux choses qui lui paraissent foncièrement antitraditionalistes : 1- Le chrétien a été libéré de la Loi 2- Jésus a relativisé la Loi.

Ma deuxième assertion, prise telle quelle, est fausse. Elle apparaît dans une première version très fatiguée de ce texte. Vous ne la trouvez pas dans la deuxième version. Dont acte à Julien. il faudra que nous revenions là dessus une autre fois plus au long. Le Christ a dit : "Je ne suis pas venu pour abolir (...) Pas un iota, pas un petit trait ne passera de la Loi". Dans ce texte de Matthieu V, si on le met en parallèle avec le texte commenté le 28 mars, on peut dire : le Christ distingue la Loi qui sont les dix paroles données à Moïse et que l'on appelle en grec le décalogue. Celui-là n'a pas été relativisé d'un iota, bien au contraire ! Et puis il y a toutes les observances dont le symbole sont les observances alimentaires, que l'on trouve, pourtant, dans la Torah, oui : dans le Pentateuque : tout cela, dit Jésus, ce sont des traditions humines : "Vous avez annulé la parole de Dieu avec vos traditions".

Mais prenons la première des deux assertions : le chrétien a été libéré de la loi. Cela va très loin. Beaucoup plus loin qu'on ne le pense. Mais il faut bien comprendre de quoi il s'agit. Si l'on veut rapprocher cette assertion de la conclusion qu'en tire Julien, je dirais: il n'existe aucun communautarisme chrétien, sinon par les hasards de l'Histoire. Le Christ fonde une société de personne - la seule société de personnes disait Marcel De Corte - dans laquelle nous sommes unis par des gestes libres : la même foi, le même culte (ce qui ne signifie pas : la même liturgie) et l'obéissance raisonnable (rationale obsequium). Chacun d'entre nous devient chrétien quand il pose ces actes libres. C'est pourquoi "on ne naît pas chrétien" (Tertullien) mais on le devient, chacun, librement. Imaginez un pays dans lequel il n'y aurait que des immigrés qui tous devraient demander leur naturalisation. Eh bien ! Voilà ce qu'est l'Eglise ! Le temple de la Liberté de l'esprit en même temps que le Temple des définitions du devoir personnel.

Cette vision de l'Eglise est la vision traditionnelle, celle de Tertullien si vous voulez ! Je défends et défendrai cette Eglise autant que je pourrai parce que je l'aime plus que tout, je suis donc... traditionaliste.

Mais je dois dire que je ne me reconnais pas dans tel ou tel réflexe tribal de ceux que l'on appelle traditionalistes, réflexes qui ressemblent d'ailleurs tout à fait à ceux que l'on trouve "en face". Pascal disait, pour expliquer sa séparation avec les Messieurs de Port-Royal : "Ils préfèrent Port-Royal à la vérité". Je me sens incapable de dire si je préfère telle ou telle crèmerie à l'Eglise catholique, qui possède, avec "les paroles de la vie éternelle", la vérité sur notre destinée.

Si ces paroles de la Vie éternelle sont méprisées, oubliées, passée à la trappe de je ne sais quel dialoguie ou de je ne sais quel consensus, cela implique que l'on prenne position. C'est un devoir. "Jamais les saints ne se sont tus" comme disait profondément le même Pascal (en latin : credidi propter quod locutus sum).

Mais pour tout ce qui est du reste, les paroles sont superflues. In dubiis libertas, comme le rappelait récemment l'abbé Laguérie. Dans toutes les choses douteuses, dans tous les calculs humains, dans toutes les supputations stratégiques, je tâche de me taire. Est-ce pour cela que vous me dites, cher Julien, que je ne peux pas rester traditionaliste ? Le Christ nous a délivré de la Loi, en expliquant que cette pseudo loi n'était qu'un ensemble d'ordonnances et de traditions humaines (voir l'Evangile du 28 mars). A nous de garder jalousement cette liberté de coeur et d'esprit, en ne nous attachant jamais qu'à l'essentiel : le Christ, c'est-à-dire l'Eglise et les formes liturgiques et théologiques qui incarnent sa Tradition.

Mais je m'aperçois que, pour être complet, c'est de ces formes que je devrais vous parler. Les formes ont mauvaise réputation. La prochaine fois, promis ! ce sera sans doute encore un peu de métaphysique.

4 commentaires:

  1. Cher Monsieur l'abbé,

    En premier lieu, je vous remercie de votre réponse, que va suivre une seconde partie sur les formes, , et des "paroles aimables" que vous m'adressez (j'emploie là une formule très papale, prononcée par benoît XVI chaque fois qu'il est reçu dans un diocèse). Traditionaliste dans le sens où vous le dites, moi aussi, je le suis. J'apprécie plus que tout la liberté de l'esprit. Quant aux définitions de ces devoirs personnels que l'eglise nous enseigne, elles nous apprennent à donner. L'eglise nous apprend à donner, elle nous rend oblatifs et non pas consommateurrs comme beaucoup de nos concitoyens, qui ont fini par prendre leur revendications de consommateurs pour les plus hautes marques de la citoyenneté républicaine. L'Eglise nous apprend à donner et maintient le lien de la charité, rien que pour cela nous lui devons une fière chandelle. L'abbé Laguéry dit souvent de fort belles choses. Ainsi en va-t-il de la liberté à nous laissée dans les choses douteuses; mais il assure également, me dit-on, dans son catéchisme, que le diable ne peut pénétrer nos pensées, c'est plutôt rassurant de savoir que l'on n'est pas un sujet de hantise. Cela augmente d'autant notre liberté d'esprit. J'ai souvent fait le constat, y compris sur ce blog, que les traditionalistes sont bien plus libres d'esprit que leurs adversaires, c'est pour cela que je les aime. C'est effectivement sur les formes que je vous attendais. Mais auparavant, je voudrais moi aussi vous donner acte d'une dernière chose: dans la lecture qu'a faite la Tradition de l'eglise de la possibilité du châtiment infernal, il y a une maturation du sens évangélique, s'il est attesté qu'il y a contradiction entre les menaces faites par Jésus de jeter en enfer tel de ses, enfants que le Père ne reconnaîtrait pas parce qu'Il ne serait pas né de nouveau, et l'affirmation, maintenue constante par l'Eglise catholique, toutes chapelles confondues, que ne vont en enfer que des volontaires allergiques à la Lumière. Je dis bien qu'il y a maturation, je ne crois pas qu'il y ait déformation. Je communie enfin à votre amour de l'eglise qui n'est pas éclésiocentrique à la manière, au hasard, des commentaires sur les béatitudes d'un mgr d'Ornellas, qui fait de l'Eglise le peuple des bienheureux. Plus besoin de se sanctifier, c'est déjà fait, il n'y a plus à se fouler, nous sommes, nous sommes, gloire à nous! De cet éclésiocentrisme-là, je n'en veux pas, et j'atteste que vous en êtes exempt. De même que, communautarisme ou pas, je me sens en parenté avec vous. Nous sommes de la même famille, pas seulement parce que nous serions de la même "famille d'esprit" ou, pire, "de pensée", pas davantage pour aucune raison tribaliste (de fait, nous ne sommes pas de la même tribu), mais parce que vous et moi, nous sommes fils de l'eglise et membres du corps du christ. Nous sommes aussi, cahin-caha, ses disciples, ses suivants, puisqu'il paraît qu'un disciple n'est pas un suiveur, je ne demande qu'à le croire!

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  2. Bravo pour cette sentence : " Imaginez un pays dans lequel il n'y aurait que des immigrés qui tous devraient demander leur naturalisation. Eh bien ! Voilà ce qu'est l'Eglise". J'approuve à 100%.

    On ne devient membre de l'Eglise ni par un droit du sang ou du sol. On dvient chrétien parce qu'on le désire et le demande. Lors de la cérémonie du baptème le prêtre pose la question suivante au récipiendaire "Que demandez-vous ? " ; la réponse est "La Foi".

    Pour devenir chrétien il faut poser un acte libre.

    Je me suis souvent demandé pouquoi on baptisait des enfant en bas âge, alors qu'ils ne sont pas libres ? Ne devrait-on pas attendre la majorité pour baptiser les gens ?

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  3. La famille, la corporation, la région, la nation..sont aussi des sociétés de personnes.Même si on les reçoit...Ces corps intermédiaires, comme l'Eglise institution semblent ne plus exister dans le néo-traditionnalisme de l'AB2T.
    D'ailleurs l'Eglise aussi, je la reçois, avant qu'elle ne me reçoive. Car si personne de chez elle ne m'avait interpelé, si aucun culte digne de ce nom ne m'avait sidéré, si aucune doctrine d'une ampleur et d'une profondeur miraculeuses ne m'avait subjugué, si aucun corpus de commandements et de conseils aimables et admirables ne m'avait attiré,jamais ma liberté n'aurait pu faire le pas.
    cela semble oublié..à une époque où l'interpellation est éclipsée depuis 40 ans, où le culte fut souvent moche, où la doctrine est bancale ... et la Loi d'amour dépouillée de sa "loi"( comme les commandements " soyez parfaits comme votre Père" "soyez un comme la Trinité" réduits à de simples options pour fidèles hors catégorie)
    Bref, les "libres" oublient qu'ils ne le sont que libérés( comme leurs immigrés ..naturalisés )...et nous privent de la Vérité pour faire chorus avec les sectateurs d' une des "valeurs" les plus louches et en grande partie les plus criminelles de ces quatre derniers siècles ...
    En cela, moi qui viens de l'ultra progressisme ( et cette provenance pourrie me fait bien sûr suspecter mon adhésion à la "tradition", de "symétrie unilatérale compensatoire"!), je retrouve beaucoup plus de points communs entre le progressisme et le personno-libéralisme de ce blog, qu'entre ce dernier et ce que je crois redécouvrir de la doctrine et de la Loi sainte de Jésus .
    Très partagé.
    surtout que j'ai grande estime pour le catholicisme littéraire et artistique..qui semble avoir peu de place en "chapelles tradis"...Mais qui nous a joué bien des mauvais tours ...
    Supplions la Lumière ( aveugles que nous sommes)e t la droiture( tordu que je suis)
    Que laFrome( la Bonté,Vértié et BEauté)c'est à dire 2Jsus-Verbe nous réforme et nous confrome à son image,dans l'Esprit , pour monetr auPère par 2Jrusalem...

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  4. Je remercie Julien d'avoir lancé le débat et d’avoir posé sa question sur la tradition et sa comptabilité avec l’affirmation que » la Loi libère et ne doit être attachée "à la lettre, qui peut tuer", et bien sûr l'Abbé de sa réponse méditée et profonde, qu’il va compléter, nous dit-il.
    A Julien je dirais que je comprends aussi que l'on soit attaché à la tradition dans la mesure où elle est (re) jaillissement de ce qui fait vivre notre foi, non un titre de propriété brandi sur des formes rituelles iconisés. Ensuite que la tentation pharisienne, celle de se croire du bon coté, d’avoir une foi de meilleure qualité que l’autre n'épargne personne dans l'Eglise, même l’Eglise post conciliaire…..Certainement pas ceux qui ont cru redécouvrir la bonne formule. On peut relire Maurice Clavel à ce propos .
    Maintenant dans notre chemin à parcourir, nous avons bien besoin de pouvoir incarner notre prière par des rites, qui font bouger notre corps, et de ne pas nous contenter d’une religion trop cérébrale.
    La conversion des autres dépend aussi du regard qu’ils ont sur l’attachement sincère à notre prière qui reflète bien autre chose que nous…

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