mardi 19 avril 2011

Trente sixième billet de Carême : Mercredi saint

"Jésus, souviens toi de moi quand tu seras dans ton Royaume !" Lc, 23, 42

Quelques mots simplement ce matin sur le bon larron : en grec le bon mauvais-faiseur kakourgôn. Comment peut-on être un bon mauvais-faiseur ? Tout le problème est là ; c'est parce que la réponse à cette question est un peu compliqué que les autres évangélistes ne rapportent pas cet épisode du "bon larron". La plupart nous disent que les deux larrons insultaient Jésus. Faut-il voir une de ces menues contradictions entre évangélistes, qu'il faudrait dénouer en choisissant l'un ou l'autre ? Je ne crois pas.

Le larron est un larron. il est tout à fait possible qu'il est commencé en insultant Jésus, comme son collègue. Il sait sans doute que ce personnage se déclare le messie. Il a dû entendre parler de ses miracles. Cela n'aurait pas suffi à l'ébranler. Voyez son collègue, lui criant : "Si tu es le Christ, sauve toi toi-même et nous avec". Qu'est-ce qui a pu le faire réfléchir ? Il a entendu les mots de Jésus sur la Croix, qui traduisent sa patience, sa bonté surhumaine. Il a entendu Jésus appeler Dieu son Père en demandant que l'on impute pas ce péché à ses persécuteurs. il comprend soudain, à coeur grand ouvert, la Mission du rédempteur. il comprend que Dieu a envoyé son Fils pour la miséricorde. Et d'abord il défend Jésus auprès de son collègue : "Lui il n'a rien fait de déplacé (atopon)". Dans la version latine, nous avons "nihil mali" : rien de mal. C'est faire allusion à l'innocence du Christ et c'est évidemment la première chose qui devrait lui venir à l'esprit. Mais ce n'est pas seulement l'innocence du Christ qu'il reconnaît par cette parole, c'est toute sa mission : "Lui il n'a rien fait de déplacé".

La bonté du Christ a gagné son coeur endurcis et lui a fait replacer le Christ à sa place, comme roi de son Royaume. Au lieu d eprendre à la rigolade le titulum crucis que Pilate, fin politique, a fait inscrire au dessus de la tête du Christ, pour "engranger" ce supplice comme un succès contre les juifs, lui le larron, il le prend au sérieux. Jésus est pendu au bois, comme un esclave, maudit de Dieu, mais il a un Royaume et il règne actuellement : "Souviens toi de moi quand tu seras dans ton Royaume". La foi du arron, certainement stimulée par ce qu'il a entendu, lui fait comprendre en un éclair qui est cet homme. Il le prie et c'est à Dieu qu'il adresse cette prière.

Quelle humilité dans sa manière de demander ! Cette fois, il n'est pas là à exiger sa place dans le Royaume comme une part de butin, qui lui serait due. "Souviens toi de moi". Jansenius, dont les commentaires d'Evangile valent le détour, explique très bien "Le larron n'ose pas demander le partage du Royaume. Il ne dit pas : "Reçois moi dans ton Royaume", mais seulement : "Souviens toi de moi", ce qui signifie : "A ce moment-là, par ta bienfaisance et ta puissance, tu pourras me faire du bien, au moins en quelque chose". Et bien sûr le Seigneur exauce magnifiquement la demande, en soulignant qu'il va au-delà de ce qui lui est demandé : "Je te le dis : ce soir tu seras avec moi au Paradis". Ce soir, nous nous reposerons !

Ce qui saute aux yeux, quand on regarde de près cette péricope célèbre, c'est que c'est une conversion qu'elle nous rapporte, celle d'un brigand, condamné pour de justes raisons (c'est ce qu'il dit lui-même à son collègue, le mauvais larron). Comme l'écrit mon cher Cajétan, qui a tout compris : "Vois l'Esprit saint, opérant dans l'âme du larron la reconnaissance du Seigneur en Jésus, qu'il voyait crucifié et si ignominieusemenbt moqué". Facile ? Pas sûr. Une fois de plus il fallait avoir du coeur, c'est celui qui en avait qui a été reçu in extremis jusqu'au coeur du Paradis. C'est par cette conversion qu'il est appelé "le bon malfaisant".

Il y a un Malfaisant qui a commencé sa soirée pendu sur une Croix à insulter son Rédempteur juste à ses côtés. Comment a-t-il pu comprendre sa royauté et reconnaître sa seigneurie ? Et combien plus, mis face à cet exemple, devons nous essayer de nous convertir nous mêmes en ces derniers jours de Carême ? Se convertir ? Non pas brûler ce que l'on a adoré et adorer ce que l'on a brûlé; Non, bien au contraire. Se convertir, c'est simplement laisser être à fond le meilleur de soi-même.

2 commentaires:

  1. Se convertir, et si ce n'est se convertir, au moins prier, c'est demander à dieu d'avoir "mémoire de nous". Les hypermnésiques (dont je suis) ne sont pas nécessairement des gens qui aiment plus que les autres: ce sont simplement des gens plus attentifs. Or l'attention suppose l'intérêt. Et l'intérêt suppose à son tour un commencement d'amour. Celui dont on ne se souvient pas est comme orphelin de sa vie. C'est ce que Jésus exprime implicitement quand Il décrit d'abord l'Esprit en saint-Jean comme celui "qui vous fera ressouvenir de tout ce que Je vous ai dit". L'esprit, c'est ce qui empêchera les apôtres d'être orphelins de Jésus et, si Jésus n'avait été qu'un homme, c'est ce qui aurait empêché Jésus d'être orphelin de Sa vie. Mais, même en Qualité de Dieu, si je puis dire, l'esprit est celui qui empêche la vie de Jésus de se perdre. Elle aurait pu être donnée volontairement et se perdre néanmoins, si l'esprit n'en avait ravivé le souvenir à perpétuité dans le coeur des disciples. L'esprit en avive le souvenir comme la mémoire, qui fait sortir de l'ombre, commence par ramener à la vie, avant de permettre un développement dans la Lumière. L'esprit, après "vous avoir fait ressouvenir de tout ce que Je vous ai dit", vous dira ce que j'aurais encore à vous dire, mais que vous n'êtes pas en mesure de "porter actuellement". Et puis Il vous "fera accomplir les mêmes oeuvres que Moi", fût-ce "de plus grandes". La mémoire, c'est l'exercice au suprême degré de la faculté d'attention. La prière ne se fait demanderesse des attentions de dieu que dans la mesure où elle se sait procéder premièrement de la mémoire. Elle nous fait demander à dieu d'avoir des attentions pour nous, et puis de l'attention. Quand, par l'attention de dieu, la relation devient vivante, entre l'orant et Celui qui est prié, ici commence "la vie de l'esprit", la vie d'Union à dieu, qui n'a pas besoin de faire effort pour "prier sans cesse": parce que le contact est permanent, l'attention l'étant aussi. L'attention est permanente, cela ne veut pas dire qu'elle soit aux aguets, cela veut dire qu'il y a une sorte d'harmonie entre l'orant et l'Oré que rien, pas même le péché, ne peut ébranler, car "rien ne peut nous séparer de l'amour du Christ!"

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  2. Merci à Julien de sa fougue communicative et orante. Cela fait du bien de l'entendre!

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