mercredi 25 janvier 2012

Faire des exercices avec saint Ignace

Je vous ai beaucoup parlé de Jeanne d'Arc sur Métablog et vous en entendrez parler tout au long de cette année 2012 que nous avons l'intention de "vivre avec Jeanne". Mais cette fois, c'est de saint Ignace que je voudrais vous entretenir et de ce prodigieux instrument de conversion que constituent les exercices spirituels.

Je suis à Poitiers pour donner ces exercices depuis lundi ; je ne peux pas ne pas partager quelque chose de cette belle expérience avec les lecteurs assidus que vous êtes. Quel est le but de saint Ignace ? Transformer une pensée en action. Nous donner le sens de l'urgence de notre salut : le temps est court, l'heure avance, le jour baisse. Qu'ai-je fait ? Quelles sont mes œuvres ? Ai-je répondu, d'une manière ou d'une autre à l'appel du roi du Ciel ?

Il y a les retraites poétiques qui nous font entrer dans "la vie rêvée des anges", à grand renfort de métaphores, dans une rhétorique sirupeuse qui devient très vite poisseuse. A fuir ! C'est de l'onanisme spirituel. Le rapport au réel y est très ténu.

Il y a les sessions, au cours desquelles on étudie soit les rudiments du catéchisme soit tel ou tel point de la foi chrétienne, soit tel ou tel texte de l'Ecriture ou de la Tradition, soit tel sacrement. Dans cette catégories se rangent, me semble-t-il, les sessions de fiancés et autres retraites en vue du mariage. Ce sont des exercices à dominante intellectuelle, qui peuvent être très utiles.

Il y a les retraites indicatives, qui apprennent à l'homme à respecter son humanité, en lui proposant des moyens dits de guérison. Le discours, dans ce type de retraite commence toujours implicitement par un "Pour bien faire, il faudrait..." Quand on ne sait absolument pas quoi faire, quand on est paumé - ça arrive, c'est normal et c'est une grâce quand on s'en rend compte - eh bien ! ces retraites peuvent aider la personne qui y a recours. Mais ce qui m'inquiète dans ces retraites indicatives - souvent appelées "de guérison" - c'est qu'elles reposent sur des présupposés psycho-anthropologiques imprécis. On n'y fait pas assez la distinction entre le "psychologique" et le "spirituel".

Deux mots sur cette distinction fondamentale entre psychique et spirituel, distinction qui vous évitera de tomber entre les mains de gourous patentés.

Il y a des techniques psychiques intéressantes (j'aime beaucoup la méthode dite de l'énnéagramme, le lecteur curieux pourra se référer à des posts plus anciens pour comprendre mes raisons)... Il importe de ne pas confondre ces exercices de connaissance de son naturel avec les exercices spirituels. Dans un cas, l'étude porte sur la nature de chacun ; dans l'autre, l'étude porte sur notre destinée (forcément sur-naturelle, parce que dans l'ordre naturel, c'est-à-dire dans le cadre étroit de l'espace temps, c'est un peu bouché). Confondre le psychique et le spirituel, c'est tenter une approche de la totalité d'un être humain, en exerçant une emprise sur lui. Cela me semble extrêmement dangereux. Distinguer le psychique et le spirituel, c'est reconnaître que l'on n'a pas accès à tout l'être humain qui vient vous trouver. Soit on l'aide au plan psychique, en respectant intégralement sa liberté et les choix qui font son destin personnel (un vrai psy sera toujours dans cette réserve). Soit on l'aide au plan spirituel, en lui permettant d'envisager ce destin, tout en laissant de côté et en respectant sa psychologie propre et en se gardant de toute intrusion dans le caractère de la personne. C'est le travail du prêtre : il consiste à "prendre les gens comme ils sont", sans chercher à changer le monde. Selon le mot de saint Paul il faut "se faire tout à tous", ce qui signifie : avoir accepté chacun tel qu'il est pour lui proposer que, dans le Christ, sa vie devienne un destin.

Pour les amateurs de métaphysique, je dirais simplement - ils comprendront - que le psychique renvoie à l'essence et le spirituel à l'existence humaine. Mélanger les deux, dans une même approche, c'est risquer une emprise totale et donc totalitaire sur l'être humain, c'est violer sa liberté. Il y a des détresses humaines qui paraissent justifier cette confusion. Mais rien ne justifie jamais vraiment un totalitarisme quelconque.

Les exercices spirituels de saint Ignace ne font pas dans la psychologie. Plusieurs saisissent ce constat pour en faire un grief. C'est une force. Il faut bien sûr que le prédicateur ne réduise pas le psychique au spirituel (ce serait un autre totalitarisme : faire du religieux à l'état pur). Mais dans la mesure où il sait ménager la psychologie de ses retraitants, il leur offre la perspective spirituelle la plus belle, la plus vraie, la plus complètement chrétienne que je connaisse. Ce qu'il prêche : la vie (pas la poésie), mais la vie dans le chemin, dans l'appel du Christ, à charge à chacun de moduler cet appel selon son naturel et ses dons. "Tout homme qui fait usage de son jugement et de sa raison ne peut balancer à s'offrir généreusement à tous les travaux"... Voilà l'idée, voilà l'épure ! N'est-ce pas magnifique. Je ne connais que le Pari de Pascal pour donner une tel sentiment de l'urgence de notre destinée et pour transformer nos (bonnes) pensées en actions...

4 commentaires:

  1. Monsieur l'abbé, pour une fois, qui n'est pas coutume, je reste un peu sur ma faim, en lisant cette phrase:

    "Pour les amateurs de métaphysique, je dirais simplement - ils comprendront - que le psychique renvoie à l'essence et le spirituel à l'existence humaine. Mélanger les deux, dans une même approche, c'est risquer une emprise totale et donc totalitaire sur l'être humain, c'est violer sa liberté."...sauf que je me sens le pôt-de-terre contre le pôt-de-fer, sans doute suis-je parmi ceux qui ne "comprennent pas"?

    Je me représente plutôt le spirituel, comme un continuum de la Psychée, et les séparer me semble arbîtraire. Peut-être aurez-vous l'occasion d'y revenir, si ma remarque n'est pas trop simpliste et qu'elle peut avoir le moîndre intérêt, ce dont je ne suis pas convaincu moi-même, ne disposant pas des bases philosophiques nécessaires, pour aborder un tel sujet.

    Merci de nous avoir informés de vos occupations à Poitiers, ce qui a certainement fait plaisir à toutes et à tous, ici, oûtre le grand profît de vous lîre.

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  2. "L'âme est spirituelle" et l'esprit est psychique. L'étymologie semblerait pourtant nous assurer du contraire. Je ne suis pas non plus persuadé de comprendre en quoi le spirituel relève de l'existentiel, mais le psychique relève à coup sûr du biologique, du technique. Est-ce que le spirituel relie organiquement notre nature humaine à dieu? Peut-être.

    Mais curieusement, autant je ne rejoins pas Thierry pour croire qu'il y a un contunuum entre le psychique et le spirituel, autant le spirituel, en tant qu'il se rapporte à l'âme, et autant l'âme elle-même me donnent l'impression d'une continuité, comme le rêve d'un lac dans lequel, paradoxalement, c'est le technique du psychique qui viendrait semer la tempête, nous donner des éléments de contraste et le sentiment que nous avons un destin. Le psychique nous donne peut-être existentiellement le sentiment que notre vie est un destin, tandis que le spirituel nous redonnerait essentiellement le sens de notre destinée. Ce disant, j'ai bien conscience de dire en partie le contraire de ce que vous affirmez, mais ce n'est pas à dessein de vous contredire.

    Quoi qu'il en soit, je suis hanté depuis quelques jours par cette idée que le deutéronome nous sert une tautologie bien utile quand dieu nous y enjoint de "(choisir) la vie pour que (nous vivions)". C'est le psychologique qui peut nous donner cette première adhérence aux donnéées du biologique. Car on peut naître en refusant de vivre et, si on ne vainc pas ce refus initial et natif, peut-être congénital, génétique, atavique, on ne peut pas avancer bien loin dans la vie.

    Avancer, car le mouvement se prouve en marchant comme la vie spirituelle se prouve en oeuvrant. Vous lancez quelques piques contre les "retraites poétiques", dans cette préférence où vous porte votre complexion à être du côté de la métaphysique plutôt que de la mystique. Mais vous nous avez appris par ailleurs à devenir "les poètes de nos oeuvres". Oh je sais, je vous chicane: ce mot de "poésie" n'a pas le même sens ici et là.

    Bonne retraite à vous et à tous ceux que vous prêchez!

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  3. Ayant vécu il y a un an ma première retraite de Saint Ignace - mieux vaut tard que jamais:je suis grand-mère!- je me suis tout à fait retrouvée dans votre article.On est dans une tout autre dimension ; beaucoup plus exigeante et beaucoup plus riche aussi au niveau des fruits.
    Véritable remise en question de sa vie et de sa pratique chrétienne, de son orientation , de ses choix et décisions.Un seul regret ; celui de ne pas l'avoir fait plus tôt! Comme cela m'aurait aidée en certaines périodes de ma vie : choix de vocation, périodes de doutes concernant ces choix...
    Et pourtant, des retraites j'en ai fait de nombreuses, une par an , souvent deux ou trois...mais de celles que vous qualifiez de "poétique", où, c'est vrai, on apprend énormément de choses passionnantes sur la Bible, la théologie, mais où il n'est quasiment jamais possible de rencontrer le prédicateur ni de se confesser - quand il s'agit d'un prêtre- car les participants sont trop nombreux et on a l'impression de déranger...Au retour, il faut redescendre de la montagne et on reprend le train-train de sa vie qui ne change guère. Avec Saint Ignace, c'est un peu rude, il faut s'accrocher, mais on ne peut faire autrement que d'avancer avec la grâce de Dieu!
    L'expérience en vaut la peine, surtout pour les jeunes!
    Bon courage aux hésitants!
    Anne

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  4. Moi aussi, je me retrouve dans votre article sauf que je ne connais que les exercices de St Ignace, n'ayant fait que ces retraites. Je voulais simplement préciser que, à chaque fois que l'on recommence les exercices de St Ignace, la démarche nous travaille toujours en profondeur, comme s'il n'y avait pas de fond! ça décape encore et toujours!!
    Inutile d'arriver avec des idées toutes faites ou des intentions quelconques- mêmes les plus pieuses- Dieu nous attend au tournant et le travail se fait sans notre contrôle!
    Fatigué ou pas, paresseux à l'exercice, rien n'empêchera la contrition de nos péchés et les larmes amères.
    Les fruits? Ils arriveront avec la même surprise. Au retour, on perçoit toujours une nouvelle conversion. De quoi retrouver l'humilité nécessaire et salutaire car nos péchés sont toujours et encore"devant nous".
    Je ne connais pas les retraites "sirupeuses" et me demande ce qu'il en est de celles dites "Salésiennes"?
    Au sujet de la prise de pouvoir sur l'individu, si l'on mélange le psychique et le spirituel, je suis tout à fait d'accord et je crois que des communautés charismatiques proposent ce genre de choses. Danger!
    Comme il peut aussi avoir d'autre formes de "pouvoir" dés que l'on s'éloigne de l'enseignement du Magistère et de la Tradition. Je me souviens d'avoir voulu faire une retraite avec des Jésuites et d' être partie "en courant" après avoir entendu un discours étonnement différent de celui transmis habituellement. J'étais comme torturée "spirituellement" et même si cette expression peut paraître bizarre, je ne peux pas en trouver d'autres pour exprimer cette "distorsion" que l'on voulait faire à ma Foi.
    Je ne crains pas de dénoncer ça et là les abus car c'est mon devoir de catholique. Je ne dénonce d'ailleurs que ce que je connais.
    C.B

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