lundi 21 avril 2014

Le jour où Marie-Madeleine est décisive...

Il y a toujours le risque d'être déçu dans l'ancienne liturgie, lorsque l'on célèbre Pâques et que l'on médite sur l'Evangile qui nous est proposé, ce texte de saint Marc dans lequel trois femmes, Marie de Magdala dite Madeleine, Marie femme de Clopas et Salomé, venues oindre le corps du Seigneur dans un élan de fidélité viscérale, ne voient que le tombeau vide. La pierre "qui était fort grosse" a été écartée ? Elles ont eu la vision d'un ange ? Mais le Christ qu'elles venaient honorer une dernière fois ? Où se cache-t-il ? Il n'est pas là. "Il vous précède en Galilée, c'est là que vous le verrez". L'Eglise n'occulte pas le tombeau vide, ni le fait que c'est ce vide d'abord qui frappe les premiers témoins.

Dans le petit groupe des hommes restés fidèles au Seigneur, on ne prend pas au sérieux les dires de ces femmes. Ce sont des racontars témoignent les disciples d'Emmaüs. Propos de femmes excitées, qui voient des anges parce que l'homme qu'elles aimaient par dessus tout, "ils l'ont enlevé et on ne sait pas où ils l'ont mis". La misogynie est très partagée à cete époque sur les bords de la Méditerranée. Mais les femmes ne veulent pas en démordre, sauf Madeleine, qui est repartie nourrir et cacher son chagrin dans le Jardin. Que d'émotions contradictoires chez les protagonistes de ce Mystère qu'est la Résurrection !

Pierre et Jean vont au tombeau. Eux, ils ne voient rien ni personne. Et pourtant, Jean, qui rapporte la scène avec le sens du récit qui est le sien, note sa propre attitude : "Il vit et il crut". Qu'a-t-il... vu ? Les linges soigneusement pliés ? L'image du Maître imprimé sur le linceul ? Ou bien s'est-il souvenu en un éclair de la Transfiguration ? A-t-il vu revenir à sa mémoire toutes les paroles du Christ, qui les avait prévenus de sa mort : il leur en avait donné l'explication définitive, lors de la première messe, qui avait eu lieu au Cénacle, le jeudi précédent les événements. Quelle est la foi de Jean a cet instant ? Et qu'a-t-il vu ? Que signifie cet emploi intransitif du verbe voir en une pareille occurrence ?

Sans doute devons-nous dire nous aussi aujourd'hui : "Je vois et je crois". C'est l'expression d'une sorte d'évidence : je vois, je crois. La foi n'est pas une croyance arrachée au doute. Elle est forcément de l'ordre de l'évidence, puisqu'elle correspond à ce que nous sommes, face au mystère de notre destinée. Je ne prétends pas ici cependant que les dogmes soient évidents. Les dogmes sont juste des barrières, des limites qui nous empêchent d'extravaguer. On n'a pas besoin de comprendre les barrières. Il faut seulement les accepter. Mais la foi dans le Christ Fils de Dieu... Quand on a compris que rien d'autre ne nous est proposé, que c'est la seule explication de notre vie, que c'est le Christ ressuscité ou l'absurdité radicale de l'être pour la mort... Il n'y a plus de choix... Je peux dire, je dois dire : je vois et je crois.

Le verbe voir employé de manière intransitive sans complément d'objet, est ici pour préciser le genre de foi qui s'est emparé du coeur de Jean : une foi qui relève non du calcul mais de l'évidence.

Cette foi si belle de l'apôtre Jean ne lui a pas mérité tout de suite de voir Jésus. Il devra attendre, comme les autres apôtres. Attendre quand on possède l'évidence, ce n'est pas si difficile.

Madeleine ne pouvait pas attendre. Le Christ s'est montrée à elle tout de suite, mais de dos (comme Dieu autrefois à Moïse cf. Ex 33). Elle l'a pris pour le Jardinier... C'est quand elle l'a hélé ("Monsieur, ils ont enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où ils l'ont mis"), c'est quand il s'est retourné, c'est quand il l'a appelé par son nom - Marie, qu'elle l'a reconnu : - Rabbouni : mon petit maître. Les femmes n'ont vu qu'un ange. C'est Madeleine et Madeleine seule, seule avec son chagrin, avec son amour qui voit Jésus ressuscité. Les Evangile évoque une apparition à Pierre dont on ne sait rien. La Tradition a toujours pensé que Jésus s'était montré à sa mère. Mais ce que l'Evangile nous rapporte, c'est qu'avant même de se manifester au chef des apôtres ou aux pèlerins d'Emmaüs, parmi lesquels Clopas, le mari de... l'autre Marie), Jésus a voulu se montrer à la prostituée repentie, à la courtisane apaisée. A celle qui avait aimé, au point d'en être incongrue, a-sociale, refaisant deux fois le même geste d'oindre ses pieds avec du parfum et de les essuyer avec ses cheveux.

Aux exégètes puristes qui veulent que deux femmes aient fait le même geste dans la vie du Christ, deux femmes avec le même prénom mais pas le même pedigree, une femme pécheresse et une femme respectable, Marie de Magdala et Marie de Béthanie, je dis que ces super spécialistes ne comprennent sans doute pas grand chose à la nature humaine et à ses excès : comment une autre femme aurait-elle pu se donner le ridicule de rejouer la scène ? Je me protège pour dire cela derrière l'autorité du Père Lacordaire et peut être surtout derrière l'intuition du Père Bruckberger.

Ce n'est pas la foi de Jean qui a mérité de voir Jésus, c'est l'amour de Madeleine. Si nous n'ouvrons pas notre coeur à cet amour, si nous ne ressentons pas le Crucifié comme notre ami ou au moins comme notre amour impossible... nous ne pourrons pas le voir. Madeleine, en ce Jardin, nous a expliqué l'abbé Baumann tout à l'heure, c'est Eve, Eve que l'amour a guéri, Eve qui est la première dans la vérité, parce que c'est à l'amour que la vérité se donne... Eve-Madeleine ne comprend rien, mais elle aime et donc elle voit. Elle n'a plus besoin de "comprendre", elle témoigne, elle se fait immédiatement l'apôtre des apôtres.

Son "voir" à elle n'est pas celui de Jean, ce voir intransitif qui est encore de l'ordre de la foi : elle voit le Jardinier en personne, le Jardinier de notre Paradis, elle voit Jésus. Ce qui lui reste interdit ? Toucher. "Ne me touche pas, car je ne suis pas encore retourné vers mon Père et votre Père". C'est la lumineuse paternité de Dieu, et elle seule qui nous permettra de toucher Jésus dans sa gloire.

Thomas lui-même plus tard (vous savez Didyme, celui que l'on appelait le Jumeau du Christ) n'aura droit de toucher que ses plaies, c'est-à-dire les cicatrices de ses souffrances. Celui qui se rend ainsi accessible à la prière de Thomas, de ce grand missionnaire que devait devenir Thomas, c'est encore le Crucifié, et non pas celui qui était retourné, corps glorieux, "à la droite du Père".

4 commentaires:

  1. J’ai toujours été assez surprise de la relation qu’ont les prêtres (et peut-être toute l’Eglise) avec Marie-Madeleine. Il y a quelque chose d’étrange dans l’attachement à cette femme. Elle a aimé, oui, et alors ? Elle n’est pas la seule. Et l’on ne m’enlèvera pas l’idée qu’une certaine image de la femme résiste encore dans cette représentation de la femme repentie. Eve-Madeleine ! C’est bien ça, la Génèse a donné une représentation hyper simplifiée de la gens féminine : La mère et la putain ! Suis pas convaincue non plus pour faire de M.M le clone de Marie de Béthanie ! Je trouve cela simpliste. Que savons-nous des coutumes de l’époque ? Pour finir, tout de même ( !), Thomas a été établi prêtre (consacré) par le Christ le Jeudi Saint au Cénacle, comme tous les autres apôtres, pas Marie-Madeleine (ni même Marie sa mère) ! Qu’elle n’ait pu toucher le Christ ressuscité, on le comprend alors, c’est normal. Aujourd’hui encore les femmes n’ont pas le droit au sacerdoce catholique et, par voie de conséquence n’ont pas le droit de toucher le Corps du Christ dans les hosties consacrées (Il faudrait leur rappeler !!). Il faut juste un peu de logique et moins de sentimentalisme. Quant au dogme, je suis tout à fait d’accord pour dire que ce sont des barrières nécessaires au maintien de la Foi à travers les âges mais par contre tout sera mis un jour en lumière : « Rien de ce qui est caché qui ne doive être découvert » ( Marc, 4-22) Le dogme, c’est une chose, une autre en sont les multiples interprétations. La lumière éclairera ces subjectivités diverses.

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  2. La question me semble être de savoir si "L'évidence chrétienne" relève de l'existentiel ou de l'essentiel intransitif du "voir" qui ne voit rien de Saint-Jean.

    Certes, Marie-Madeleine fait une expérience passionnée de dieu, mais pourquoi l'avertissement du Ressuscité semble-t-il moins lui commander de ne pas le toucher que de "cesser de le tenir", comme si l'on ne pouvait pas mettre la main sur l'Etre?

    Or le Ressuscité n'a-t-Il pas dépassé la catégorie de l'être? Où Se situe-t-Il sur nos échelles qui vont de l'existence à l'Essence? Et quel est le degré de transmissibilité du caractère existentiel de l'expérience du ressuscité? Joyeuses Pâques à tous!

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  3. Um jour, tout sera éclairé. Si Madeleine a beaucoup aimé, c`est important faire attention. Il me semble que l´amour (de Dieu, du prochain...) c´est le plus important dans tout cela. Ce que nous avons besoin aujourd`hui : aimer. Aimer sans frontières, aimer avec de la vérité, sincèrement.
    Petite note : dans la nouvelle messe, il y a les « ministres de l´Eucharistie », dont beaucoup sont des femmes. Manque de prêtres, manque d´hommes pour faire ce travail.
    Mais n´allons pas juger cela : c´est au Seigneur de juger...
    Il me semble, de tout ce que vous avez dit, que le plus important c`est l ´amour. Et il me semble aussi que c`est ce qui manque dans le monde aujourd´hui : aimer sincèrement et croire en la miséricorde divine !...Et prier toujours.

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  4. La matérialité du corps du Christ prend fin dans le tombeau. Le corps que voit Marie-Madeleine, les pèlerins d’Emmaüs, celui que touche Thomas est celui du Christ de la fin des temps. Sa nature nous échappe.

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