vendredi 25 avril 2014

Philo à donf

Je sais ce n'est pas très commercial comme titre. A donf ? La philosophie ne fait pas recette et quand elle marche c'est pour la très intense et incommunicable satisfaction d'un happy few. Mais enfin j'ai pu croiser à la magnifique journée sur l'être organisée par l'abbé Mathieu Raffray (ibp) plusieurs  des lecteurs-contributeurs de ce blog. Je ne crois pas qu'il soit déplacé d'en parler, même si chez les tradis en ce moment, c'est juste la FSSPX - sa solitude impériale au milieu des canonisations (j'ai dit quant à moi ce que j'en pensais dans la revue Monde et Vie) et l'étrange fuite de l'abbé de Cacqueray au couvent qui font la une.

Pas déplacé d'en parler parce qu'il y avait là des représentants de toute la galaxie thomiste francophone, ou disons de ce qu'il en reste. Le sujet ? L'être. Rien que ça. En principe le sujet le plus consensuel qui soit puisque l'être (ens) est le "primum cognitum", le premier connu pour tous et chacun. En réalité, nous avons tous et chacun quelque chose à dire de l'être, et ce n'était pas si simple de s'écouter les uns les autres. Mais disons que les perspectives sont tout de même foncièrement identiques : distinction réelle entre l'essence et l'existence (savoir ce que c'est que la santé dans toutes ses détermination et jouir de cette santé sont deux choses différentes dit Cajétan), critique de l'essentialisme avicennien et de sa conception de l'essence comme simple fait d'être, quête d'une conception plus globalement ontologique de l'existence comme acte d'être. Cette dernière conception - fondamentale - renvoie à la théorie du Père Fabro : l'esse ut actus que je croyais extrêmement subversive parce que je n'avais lu qu'Etienne Gilson (qui tient sans doute d'Henri Bergson sa détestation de l'essence "menue monnaie de l'être", "éparpillement de l'être" etc.) mais qui dans le texte italien que nous a présenté avec brio Alain Contat semble extrêmement classique considérant deux ordres, l'ordre formel au sein duquel a lieu une première "réalisation essentielle" et l'ordre existentiel où l'essence est en puissance par rapport à l'existence.

Il nous a manqué pourtant (mon avis n'engage que moi) un exposé sur la thèse de Mgr Guérard des Lauriers concernant la tripartition de l'être : essence, existence et subsistance, thèse que semble avoir reprise à son compte Mgr Léonard, actuel archevêque de Maline-Bruxelles. Le Père de Blignière qui a consacré sa thèse au Mystère de l'être, tel que l'expose Guérard, ou encore l'abbé Lucien, fervent  admirateur de cette métaphysique ternaire, aurait pu se lancer... et présenter ce qui me paraît être une lecture toute nouvelle de la métaphysique.

Quant à moi, qui suis un esprit simple (et parfois un peu simpliste), j'ai toujours pensé que le Deux, la dualité était la perspective métaphysique par excellence, une fois que l'on avait pu conjurer les miasmes idéalisant de l'Un (l'Un qui est Dieu et non la créature). C'est ainsi que dans toute anthropologie fondamentale, il faut bien constater une fracture entre ce que l'on est et la manière concrète dont on l'est, la personne étant construite sur cette relation de l'essence à l'existence ("la personne, c'est la ligne terminative de l'essence dans l'ordre de l'existence" dit Cajétan), comme une manière toujours de dépasser et d'intégrer la fracture dans l'existence. C'est cette fracture qui fait de toute vie un risque. Il est vrai réductivement (ou concrètement) de dire que "l'existence de la personne est la personne" (Cajétan). Cela signifie que vivre, c'est jouer son essence aux dés (mais aussi animer sa trajectoire existentielle par un vouloir foncier qui ne se démente jamais lui-même).

Il me semble que les partisans de la métaphysique ternaire imaginentt que cette dialectique entre l'essence et l'existence n'est pas absolument fondatrice ou constitutive et qu'elle est toujours reçue dans un être subsistant que l'on peut appeler "le sujet". Mais cette conception d'un sujet "hors jeu", d'un sujet non constitué par le jeu et le constituant peut-être du dehors mais alors jamais de manière totalement joueuse, oui cette conception, pour sécuritaire qu'elle soit, me paraît justement "n'être pas de jeu". En métaphysique, faut-il siffler les hors-jeu ?

Sommes-nous autre chose que le jeu de notre vie ? L'Apocalypse semble ne pas le penser  : "Heureux ceux qui sont morts dans le Seigneur car leurs oeuvres les suivent" : ils sont jaugés, jugés par elles. Où serait le "sujet" neutre et toujours parfaitement respectable qui ne s'implique pas dans le jeu ? Peut-être dans la théorie d'un salut universel en acte ? Quoi que tu aies fait, tu reste dans ta subsistance infiniment digne et aimable parce que tu es un homme... (voir plus haut nos posts sur la dignité humaine, qui manifestaient déjà mon refus de la ternarité et mon attachement... chrétien à la dualité joueuse).

J'arrête là car le temps manque et peut-être chers liseurs trouverez-vous ces réflexions sur le un, le deux et le trois... parfaitement superfétatoires. N'oublions pas que, depuis la révélation du Christ, "maître du beau savoir" comme l'appelle saint Justin au IIème siècle, la métaphysique est un jeu... Mais la vie aussi...

3 commentaires:

  1. “La méthaphysique est um jeu...” et les écrits de S.Thomas d´Aquin sont « la balle pour frapper », actuellement... car chacun les interprète à sa manière...
    Donc, les différences dans l´interprétation des religieux : modernes, traditionnels ou radicaux... chacun « frappe la balle » selon ses intérêts : cela doit être comme ça, parce que « mon professeur de philosophie a ainsi enseigné », « mon fondateur a ainsi enseigné », « le séminaire a ainsi enseigné », etc, etc.
    La philosophie semble fonctionner selon la tête de chacun... et peut-être ce que S.Thomas voulait dire n´est pas ce qu´ils pensent aujourd´hui, ce qu´ils comprennent aujourd´hui, tous ces gens là.
    En ce sens, la philosophie semble plus embrouiller que éclairer les religieux.
    En effet, avait Christ une philosophie ? Quelque doctrine philosophique ?
    La sagesse de Dieu n´a pas besoin d´aucune philosophie.
    C`est peut-être pourquoi Il dit : « ils ont des oreilles pour entendre et n´entendent pas ; ils ont des yeux pour voir mais ne voient pas... » C´est la sagesse... de Dieu.

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  2. Cher Monsieur l'abbé,

    Je relis pour la seconde fois, à quelques jours de distance, votre article, pour espérer le comprendre et ne pas taper à côté si je le commente.

    IL me semble d'abord qu'il répond en partie à la question que je posais dans ma contribution précédente, à propos de cette rencontre entre Marie-Madeleine et l'ETRE qui a lieu au moment de la résurrection.

    Je demandais de quel ordre de l'Etre relevait le Seigneur ressuscité. Bien qu'il ne semble pas que les participants à votre réunion thomiste aient directement abordé la question, qui me paraît pourtant centrale pour pposer les bases d'une ontologie chrétienne, il me semble, d'après la conception ternaire introduite par mgr Guérard des Lauriers à laquelle vous faites droit sans y adhérer, que le Ressuscité relève de l'Etre Subsistant, mais aussi qu'il est le Seul à en relever totalement. Car j'incline à penser en accord avec vous, non pas que "nos oeuvres nous suivent": mon "je suis" ne se limite pas à ce que "je fais", car je ne puis faire coïncider mes actes avec mes intentions, je ne fais pas ce que je veux, je fais quelquefois le mal que je ne voudrais pas et ne fais pas le bien que je voudrais. Je ne suis pas ce que je fais, mais je suis ce que je veux (je suis mon vouloir foncier), et donc je suis aussi ce que je pense de mes oeuvres. Ou bien j'y adhère sans réserve et crois me justifier par elles, je crois qu'elles me suffisent, ou bien je confesse leur imperfection, je prends la responsabilité de cette imperfection, et je m'humilie devant dieu que j'appelle, souhaite et veux pour Rédempteur.

    Ce disant, je sauvegarde l'inaliénabilité de mon être comme créature, ce que nous appelons à la suite de Jean-Paul II la dignité de la personne humaine; mais je reconnais aussi qu'à côté de cette dignité intrinsèque qui s'attache à ma vie, l'enjeu de ma condition humaine est de me conférer la dignité du vivre, celle qui doit faire de ma vie une oeuvre digne de la Lumière que j'ai reçue en venant dans le monde et que je dois décider de m'engager à refléter, non seulement à travers la trace que je laisserai en quittant ce monde, mais à travers ma volonté de m'unir à jamais à la Lumière.

    Bref, je reconnais que Seul le Christ est ressuscité, que Seul, Il Est de droit cet Etre subsistant, mais qu'Il m'appelle à ressusciter à Sa suite, ce que je fais si je joins à ma dignité intrinsèque de créature, qui peut disparaître avec moi, ma dignité existentielle, la dignité de mon existence, celle de mon idéal et de mes choix.

    Quant à la discussion sur le point de savoir si c'est le Un le deux ou le Trois qui est l'horizon de la métaphysique, je dirai ceci:

    -Le un transféré à la psyché humaine quid devrait retrouver l'unité, fait de qui je suis une monade, un "individu parfait et solitaire". Je ne suis pas Un et ne puis l'être. Je ne suis pas unifiable, même si je dois tendre à l'unité; de même que je suis incurable et dois néanmoins tendre à la guérison;

    -Mais si la dualité est mon horizon indépassable, il y a quelque chose qui manque en moi de la Ressemblance de dieu puisqu'Il est trine: je ne vaudrais que ce que valent mes paradoxes et ma capacité à les résoudre dialectiquement avec les fausses résolutions de l'harmonie. Je serais pétri de paradoxes insolubles que leur insolubilité résoudrait dans la dialectique, cette solution qui me ferait épouser le paradoxe comme fin en soi est paradoxalement beaucoup trop sécurisante.

    (à suivre)

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  3. (Suite)



    -Tandis que, si j'accepte que la solution n'est pas atteignable par mon dualisme dialectique, qui n'est jamais qu'un calculs de paradoxes si donc je passe du deux au Trois, j'entre, non seuleemnt dans le jeu, mais dans l'aventure métaphysique, c'est-à-dire que, non seulement je me libère du connu comme dirait l'autre (Krishna Murti), mais je m'ouvre à l'Inconnu.

    Pour prendre un exemple issu de la récension que vous faites de votre propre livre, si vous décalquez l'amour du mythe de l'androgynie originelle et des deux parties qui doivent s'emboîter ou des deux âmes soeurs qui doivent se retrouver, alors vous faites fi de la dimension la plus mystérieuse de l'amour, qui n'est pas la rencontre avec soi-même (narcissisme), mais l'effet d'entraînement des deux pour réaliser une personnalité tout à fait différente, où aime le mieux celui qui se laisse le plus entraîner vers là où il croyait ne jamais devoir aller, dans l'orbite de l'autre. C'est ce qui m'a fait parler ailleurs de transcendance de l'autre, qui est la plus visible dans l'amour.

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