mardi 29 avril 2014

Kundera, le voyeur impassible

Milan Kundera a-t-il écrit tout ce qu'il avait à dire dans L'insoutenable légèreté de l'être, ce roman qui a été porté à l'écran, avec Juliette Binoche dans le rôle de Teresa? Il me semble que son dernier opus La fête de l'insignifiance montre que son diagnostic est de plus en plus vrai : ceux qui survivent dans la société actuelle sont ceux qui sont capable de supporter cette légèreté insoutenable de l'être moderne. Sauf que dans L'insoutenable, il y avait une issue : le super dragueur (Tomas) surpris, désorienté par l'amour exclusif de Teresa, finissait par s'assagir. La leçon n'était pas : ils se marièrent et ils eurent beaucoup d'enfant, car à la fin du roman un accident de voiture vient interrompre le lever du bonheur... Mais enfin ça en prenait tout le chemin ! Dans La fête de l'insignifiance, il n'y a pas de chemin. Ce qui est recommandé : la bonne humeur, une bonne humeur inaltérable, feinte au besoin, qui permette à ces célibataire jouisseur déjantés désenchantés de dépasser le stade de la gueule de bois permanente.

Le seul rapport un peu profond entre deux personnages dans ce dernier roman est la relation que tisse Alain avec sa mère. Détail : cette relation est purement onirique, même si elle prend beaucoup de place dans sa vie. Il n'a pas vu sa mère depuis qu'il a dix ans et qu'elle est partie, sans explication. Il se contente donc, le bon Alain de vivre devant sa photos et d'imaginer des destins à cette mère de rêve : suicide raté, meurtre réussi etc. Quelle vie !

L'histoire se passe au jardin du Luxembourg et dans quelques appartements friqués du Sixième arrondissement. Les personnages y promènent avec nonchalance ou vanité leur... insignifiance. Une bouteille de cognac millésimée tombe du haut d'une armoire pour signifier... que tout est rien. Les gens font la queue pour voir les expositions si courues de l'Orangerie du Château. Rien qu'à voir leur tête on devine qu'ils sont là, pas pour Chagall, non, Chagall est le prétexte qui permet de passer le temps. Ramon n'a pas envie de faire la queue : "Allons dans le parc, je me sens mieux. Bien sûr, l'uniformité règne partout. Mais dans le Parc, elle dispose d'un plus grand choix d'uniformes. Tu peux ainsi garder l'illusion de ton individualité...". Suit une conversation sur l'érotisation récente du nombril féminin, qui est justement ce qui est le moins féminin et le moins personnel. Le triomphe de l'uniformité.

Il est comme cela Kundera, voyeur impassible, parce qu'il préfère rire tout seul... En cachette. Ses meilleurs lecteurs doivent pourtant l'entendre rire. Ce rire est la preuve que l'intelligence n'est pas encore morte, et que la plaisanterie (que cultivait Staline, qui s'invite d'ailleurs et pas incognito à cette fête de l'insignifiance) a encore, quel que soit le régime, de beaux jours devant elle. Même si elle doit être de plus en plus cryptée... Et réservée à un happy few qui n'habite pas forcément le Faubourg Saint-Germain.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire