Connaissez vous Imre Kertesz ? Non? Il faut que vous vous plongiez dans son œuvre. Déporté à Auschwitz, il avait quinze ans. Il se fait passer pour plus âgé de façon à pouvoir revendiquer un travail (et ne pas partir en fumée tout de suite). Son "roman", Être sans destin, est l'un des témoignages les plus VRAIS sur la solution finale dans ses "formalités" concrètes. On ne sort pas indemne d'un tel livre !
Imre Kertesz a récemment publié chez Acte sud L'holocauste comme culture où il affirme deux choses : la "religion" contemporaine de la Shoah est une déformation, non seulement de l'histoire mais du sens de l'histoire, du sens véritable de la Shoah, transformée en "Shoah business". Et deuxièmement : la shoah ne peut être contée que par un travail littéraire. Seule la littérature peut dire la vérité sur ce qui reste comme l'archétype du mal moderne.
Et voilà maintenant traduit en français - en attendant un roman sur lequel il travaille et qu'il faudra lire attentivement - son JOURNAL DE GALERE, un extraordinaire diaire dans lequel il consigne non pas sa vie (qu'est-ce que l'existence en ses mille parcelles éclatées?) mais plutôt les réflexions qui le traversent, à travers lesquelles on arrive à ce qu'il faut bien appeler sa vie... intérieure.
Page 53, je saisis cet éclat, qui, venant d'un juif officiellement athée, et obsédé par Dieu, me semble admirable : "Mon humilité et mon orgueil sont deux infinis".
Admirable? Oui, il est admirable qu'un athée reconnaisse, sans périphrase, que sa vie intérieure se place sous le signe de l'infini. Combien de cathos se contentent du code de la route ! Combien de gens "bien" se contentent d'être des gens "bien" et oublient que l'essentiel de cette vie, c'est d'aller vers l'autre vie, c'est de se préparer au contact avec l'infini.
Imre Kertesz dit cela avec une grande économie de moyen, en quelques mots. et il dit plus encore. Il dit que ce qu'il découvre en lui d'infini, c'est son orgueil, sa révolte, sa volonté d'être à lui-même sa propre fin. Et d'une. Le péché n'est pas seulement une erreur de casting. Ce que les vieux prédicateurs appelaient "l'endurcissement", c'est la puissance infinie de la volonté humaine quand elle dit NON à Dieu. Ce NON n'est pas forcément explicite. Ce peut être simplement un OUI... infini à toutes les foutaises, à toutes les tocades de l'Individu, autopromu roi du Monde, roi de son monde. Quelque chose qui commence par un gigantesque : "je vous emmerde!". Voilà le péché: l'infinité de l'orgueil.
Quel est le remède? Les commandements de Dieu? Bien sûr, mais pas comme on les apprend trop souvent au catéchisme (je parle du catéchisme old fashion, que je n'ai pas eu mais que j'ai donné). On oppose pas à l'infini de l'orgueil un simple code de la route. Ca ne fait pas le poids. C'est toute la lucidité de Kertesz que d'opposer à l'infini de l'orgueil ce qu'il appelle lui-même l'humilité comme infini.
Mais comment l'humilité peut-elle être infinie ? S'agit-il de se voir soi-même infiniment petit pour ne pas se désirer infiniment grand ? On risque la fausse modestie (cet horrible pharisaïsme) à tous les tournants ! Quel sens peut avoir cette "humilité infinie" ? Il n'y en a qu'un seul de plausible : le sentiment qui saisit notre coeur devant Dieu. Face à l'Infini, nous sommes néant. C'est ce que l'on appelle l'adoration. Adorer Dieu, cela signifie ouvrir à l'infini le spectre de l'analogie et comprendre que devant l'Être, nous ne sommes, nous-mêmes, par nous-mêmes, que du non-être. Rien de faux dans ce constat. Aucune enflure. Juste le risque de se mesurer à l'Infini. Risque que peu de gens acceptent de prendre, tant le résultat, tant le résultat est patent, tant la proportion est sans proportion. Il ne s'agit pas de VOULOIR ETRE d'une humilité infinie : quel orgueil ce serait. Il s'agit simplement de prendre l'Infini comme mesure de sa propre finitude. Le compte est vite fait.
Ce que ne dit pas Kertezs, mais qui va de soi : entre l'orgueil infini, que nous ressentons souvent et que nous observons, ne serait-ce que lorsque nous nous prétendons seul maître et seule fin de notre existence [en permanence quoi !] et l'humilité infinie, que nous éprouvons lorsque nous nous mesurons à Dieu, il faut faire un choix.
Kertesz n'emploie pas le terme de "choix". Mais immédiatement, il explique que, pour ceux qui ont choisi, il y a une issue. Laquelle ? Je lui laisse... le choix, au moins, de ses termes. Que reste-t-il à celui qui a essayé de choisir la vérité de l'humilité sans (trop) céder aux mensonges de l'orgueil ? "La vie privée, ce triomphe plein de défaites, d'où monte finalement une sorte d'hymne timide vers le ciel". Cette phrase nominale, jetée là, en plein dilemme par Imre Kertesz, ne me semble pas seulement admirablement laissée au papier. Elle est un témoignage vécu. Elle transcrit cette vérité de nos vie que, sans la foi, seule la littérature est capable de produire.
"La vraie vie c'est la littérature" disait Proust, l'esthète. Je dirais au contraire : seule la littérature nous parle de la vraie vie, celle qui, du plus profond de nos coeurs, tend, d'une manière ou d'une autre, orgueil ou humilité, à l'infini.
Imre Kertesz a récemment publié chez Acte sud L'holocauste comme culture où il affirme deux choses : la "religion" contemporaine de la Shoah est une déformation, non seulement de l'histoire mais du sens de l'histoire, du sens véritable de la Shoah, transformée en "Shoah business". Et deuxièmement : la shoah ne peut être contée que par un travail littéraire. Seule la littérature peut dire la vérité sur ce qui reste comme l'archétype du mal moderne.
Et voilà maintenant traduit en français - en attendant un roman sur lequel il travaille et qu'il faudra lire attentivement - son JOURNAL DE GALERE, un extraordinaire diaire dans lequel il consigne non pas sa vie (qu'est-ce que l'existence en ses mille parcelles éclatées?) mais plutôt les réflexions qui le traversent, à travers lesquelles on arrive à ce qu'il faut bien appeler sa vie... intérieure.
Page 53, je saisis cet éclat, qui, venant d'un juif officiellement athée, et obsédé par Dieu, me semble admirable : "Mon humilité et mon orgueil sont deux infinis".
Admirable? Oui, il est admirable qu'un athée reconnaisse, sans périphrase, que sa vie intérieure se place sous le signe de l'infini. Combien de cathos se contentent du code de la route ! Combien de gens "bien" se contentent d'être des gens "bien" et oublient que l'essentiel de cette vie, c'est d'aller vers l'autre vie, c'est de se préparer au contact avec l'infini.
Imre Kertesz dit cela avec une grande économie de moyen, en quelques mots. et il dit plus encore. Il dit que ce qu'il découvre en lui d'infini, c'est son orgueil, sa révolte, sa volonté d'être à lui-même sa propre fin. Et d'une. Le péché n'est pas seulement une erreur de casting. Ce que les vieux prédicateurs appelaient "l'endurcissement", c'est la puissance infinie de la volonté humaine quand elle dit NON à Dieu. Ce NON n'est pas forcément explicite. Ce peut être simplement un OUI... infini à toutes les foutaises, à toutes les tocades de l'Individu, autopromu roi du Monde, roi de son monde. Quelque chose qui commence par un gigantesque : "je vous emmerde!". Voilà le péché: l'infinité de l'orgueil.
Quel est le remède? Les commandements de Dieu? Bien sûr, mais pas comme on les apprend trop souvent au catéchisme (je parle du catéchisme old fashion, que je n'ai pas eu mais que j'ai donné). On oppose pas à l'infini de l'orgueil un simple code de la route. Ca ne fait pas le poids. C'est toute la lucidité de Kertesz que d'opposer à l'infini de l'orgueil ce qu'il appelle lui-même l'humilité comme infini.
Mais comment l'humilité peut-elle être infinie ? S'agit-il de se voir soi-même infiniment petit pour ne pas se désirer infiniment grand ? On risque la fausse modestie (cet horrible pharisaïsme) à tous les tournants ! Quel sens peut avoir cette "humilité infinie" ? Il n'y en a qu'un seul de plausible : le sentiment qui saisit notre coeur devant Dieu. Face à l'Infini, nous sommes néant. C'est ce que l'on appelle l'adoration. Adorer Dieu, cela signifie ouvrir à l'infini le spectre de l'analogie et comprendre que devant l'Être, nous ne sommes, nous-mêmes, par nous-mêmes, que du non-être. Rien de faux dans ce constat. Aucune enflure. Juste le risque de se mesurer à l'Infini. Risque que peu de gens acceptent de prendre, tant le résultat, tant le résultat est patent, tant la proportion est sans proportion. Il ne s'agit pas de VOULOIR ETRE d'une humilité infinie : quel orgueil ce serait. Il s'agit simplement de prendre l'Infini comme mesure de sa propre finitude. Le compte est vite fait.
Ce que ne dit pas Kertezs, mais qui va de soi : entre l'orgueil infini, que nous ressentons souvent et que nous observons, ne serait-ce que lorsque nous nous prétendons seul maître et seule fin de notre existence [en permanence quoi !] et l'humilité infinie, que nous éprouvons lorsque nous nous mesurons à Dieu, il faut faire un choix.
Kertesz n'emploie pas le terme de "choix". Mais immédiatement, il explique que, pour ceux qui ont choisi, il y a une issue. Laquelle ? Je lui laisse... le choix, au moins, de ses termes. Que reste-t-il à celui qui a essayé de choisir la vérité de l'humilité sans (trop) céder aux mensonges de l'orgueil ? "La vie privée, ce triomphe plein de défaites, d'où monte finalement une sorte d'hymne timide vers le ciel". Cette phrase nominale, jetée là, en plein dilemme par Imre Kertesz, ne me semble pas seulement admirablement laissée au papier. Elle est un témoignage vécu. Elle transcrit cette vérité de nos vie que, sans la foi, seule la littérature est capable de produire.
"La vraie vie c'est la littérature" disait Proust, l'esthète. Je dirais au contraire : seule la littérature nous parle de la vraie vie, celle qui, du plus profond de nos coeurs, tend, d'une manière ou d'une autre, orgueil ou humilité, à l'infini.
Reste à comprendre et à combattre (en pensée, en parole, en action et sans omission, de toute notre âme, de tout notre esprit, de tout notre coeur, de tout notre corps, personnel et communautaire) , en nous même et sur tous els terrains... le rapetissement , le rabougrissement non pas du "old fashion"(merci encore pour l'angliche, décidément obsessionnel!) non pas de la "nouvelle manière" , mais de leur commun soubassement...
RépondreSupprimerCe qui m' a fait pendant dix ans complets dévorer à longueur de loisirs( heureusement j'en avais peu !!!) les traductions de Haï-de-guerre, comme une absolue nouveauté (la "pensée de l'Etre" ) comme amorce d' approche de contact avec le seuil de l'Infini !
Sinon, nous continuerons à faire partir en fumée les Merveilles de la Révélation, ce qui fait aussi partie du "mal moderne", qui malheureusement n'a pas d'archétype ( sauf à vouloir éclipser un mal par un autre...encore un rabougrissement bien déplorable !)
La mort spirituelle programmée est bien pire que toutes les "vies détruites" ( comme disait Quelqu'Un " ne craignez pas ceux qui ne peuvent tuer que le corps ..." )
Mais le matérialisme catholique doit avoir, là encore, frappé
A.S. A-Spirituel ...
Votre article est simplement magnifique, pour une fois je suis laconique.
RépondreSupprimerCa n'a aucun rapport mais je regrette d'être trop loin pour vous donner ma première confession après presque vingr ans, abbé Guillaume de Tanoüarn...
RépondreSupprimerLa "vraie vie"... je ne puis être d'accord avec votre dernière phrase en contrepoint de celle de Proust. La vraie vie on la prend souvent en pleine "gueule" et cela fait mal. Il faut beaucoup de recul, de temps et d'espace pour la digérer et, sous réserve d'être doué, de l'écrire. On commence par "Courrier Sud", on s'évade dans "Le Petit Prince" et on philosophe dans une "Citadelle" inachevée.WILLY
RépondreSupprimerLa citation, un peu tronquée, que fait l'abbé de Tanouärn de Marcel Proust est extraite du Temps retrouvé. Je pense qu'il n'est pas inutile de replacer la pensée de Marcel dans son contexte en citant l'intégralité du paragraphe :
RépondreSupprimer"La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature. Cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables clichés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas «développés». Notre vie ; et aussi la vie des autres car le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun. Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini, et bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont il émanait, qu'il s'appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial".
Proust voulait nous dire qu'effectivement la vraie vie n'est pas la vie sociale et superficielle mais la vie intérieure ; c'est l'art qui nous révèle le monde réel et non pas la spéculation philosophique.
Ce texte est fréquemment proposé en dissertation aux élèves de terminale (18 ans !) dans le but de leur faire réfléchir sur l'opposition entre l'art et la philosophie.
Dans un article citant Michel Butor à propos de La Modification on peut lire que "c'est la trajectoire - entendez l'acte même d'écrire - qui donne son sens au but que l'on croyait s'être assigné au départ".
RépondreSupprimerCeci dit je ne vois pas en quoi l'abbé de Tanoüarn serait en ontradiction avec Proust. Il exprime la même pensée : la vraie vie c'est la littérature ou l'art et non la philosophie car l'art décrit le réel.
Je vais prendre un exemple topique. Pour moi il n'y a pas de sermon ou commentaire qui exprime mieux la réalité des pèlerins d'Emmaus que le tableau du Titien qui se trouve au Louvree. On peut d'ailleurs lire dans un site américain consacré à la peinture : "The realism of the still-life is also somewhat in the Lombard taste and anticipates not only Caravaggio but also the sacramental realism of Zurbaran." A côté de ce tableau tous les sermons paraissent fades (c'est d'aileurs pourquoi je n'écoute jamais les sermons).