Jacqueline de Romilly, éminente helléniste, qui a si bien divulgué son savoir et que l'Académie avait su distinguer en lui offrant le fauteuil de Marguerite Yourcenar, nous a quitté à l'âge de 97 ans. Elle s'était définitivement convertie au christianisme en 2008 (on pense à la conversion très tardive et tout aussi sincère de Ernst Junger). Grâce à Emmanuel Delhoumme, j'ai découvert les circonstances de cette adhésion tardive. Jacqueline de Romilly, née Jacqueline David, avait été baptisée en 1940 dans des circonstances que l'on peut deviner. Et... elle en était resté là. C'est le Père Mansour Labacky, rencontré par hasard lors d'une vente de livres, qui lui a permis d'aller plus loin. Voici l'entretien qu'ils eurent au dégotté - et ses suites :
"Madame, je vais vous poser une question embarrassante : où en êtes vous de votre foi ? Excusez-moi pour cette question. Je sais qu'un prêtre français n'agirait pas de la sorte, mais je suis Libanais. Elle m'a répondu : "Mon Père, je suis au seuil - N'y a-t-il pas moyen de franchir ce seuil ? - Cela va être difficile. Je me suis fait baptiser en 1940... Et puis c'est tout. Plus tard, elle m'a téléphoné pour me dire : "Père, pouvez-vous passer chez moi ? Je voudrais que vous me parliez un peu du christianisme". Nos échanges étaient très libres et pleins d'humour. Elle s'est confessée. Le jour de sa première communion, son regard était celui d'une enfant de dix ans.
Elle m'a appelé plus tard pour me dire : "Père, vous êtes chargé de mon âme maintenant. Or vous savez que je ne suis pas confirmée". Nous avons poursuivi ce cheminement ensemble. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de lui donner la communion. Après sa confirmation, elle disait volontiers : "Je suis maronite maintenant".
Le Père Labaky est un merveilleux conteur. Mais ce qu'il nous conte, c'est la réalité nue : l'histoire d'une âme. La conversion de l'académicienne ? Ce n'était pas une question de raisons ou de raisonnement. Simplement une question de temps. La grâce, cette impulsion mystérieuse qui nous fait remonter jusqu'à Dieu et à son éternité, est un mouvement profondément temporel. Saint paul parlait à ce propos du Kairos : c'est maintenant le temps favorable ! C'est maintenant le jour du salut. J'ai rencontré tout à l'heure un jeune homme se demandant s'il ne devait pas recevoir le baptême et je lui ai fait la même réflexion, avec une image un peu plus martiale : "Vous avez une fenêtre de tir, il faut en profiter". C'est maintenant ! Dieu ne repasse pas forcément les plats quand il se voit dédaigné. Mais il faut aussi savoir attendre ce "maintenant". Jacqueline de Romilly l'a attendu quatre-vingt quinze ans. Ernt Jünger un peu plus. Mais pour d'autre le "Maintenant" intervient plus tôt, à 25 ans ou à 50 ans, et parfois par surprise. "C'est à une heure où vous n'y pensez pas que le Fils de l'homme viendra" : il ne faut pas manquer ce rendez-vous avec la grâce de Dieu qui ne se représentera pas forcément de sitôt.
Jacqueline de Romilly, avec sa merveilleuse culture grecque, aurait pu descendre devant le Styx, ce fleuve infernal où le passeur Charron fait payer trop cher le passage. Mais elle a rencontré le Christ, cet homme nommé "Salut" ("Jésus"). Et cette rencontre, à entendre le Père Labaky, lorsqu'elle a eu lieu pour la première fois dans l'eucharistie, a fait rajeunir son regard de... 85 ans.
On l'imagine dans l'aujourd'hui de cette rencontre avec le Christ, perçant le Ciel de Dieu de ses yeux très bleus dans la même éternelle première fois.
"Madame, je vais vous poser une question embarrassante : où en êtes vous de votre foi ? Excusez-moi pour cette question. Je sais qu'un prêtre français n'agirait pas de la sorte, mais je suis Libanais. Elle m'a répondu : "Mon Père, je suis au seuil - N'y a-t-il pas moyen de franchir ce seuil ? - Cela va être difficile. Je me suis fait baptiser en 1940... Et puis c'est tout. Plus tard, elle m'a téléphoné pour me dire : "Père, pouvez-vous passer chez moi ? Je voudrais que vous me parliez un peu du christianisme". Nos échanges étaient très libres et pleins d'humour. Elle s'est confessée. Le jour de sa première communion, son regard était celui d'une enfant de dix ans.
Elle m'a appelé plus tard pour me dire : "Père, vous êtes chargé de mon âme maintenant. Or vous savez que je ne suis pas confirmée". Nous avons poursuivi ce cheminement ensemble. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de lui donner la communion. Après sa confirmation, elle disait volontiers : "Je suis maronite maintenant".
Le Père Labaky est un merveilleux conteur. Mais ce qu'il nous conte, c'est la réalité nue : l'histoire d'une âme. La conversion de l'académicienne ? Ce n'était pas une question de raisons ou de raisonnement. Simplement une question de temps. La grâce, cette impulsion mystérieuse qui nous fait remonter jusqu'à Dieu et à son éternité, est un mouvement profondément temporel. Saint paul parlait à ce propos du Kairos : c'est maintenant le temps favorable ! C'est maintenant le jour du salut. J'ai rencontré tout à l'heure un jeune homme se demandant s'il ne devait pas recevoir le baptême et je lui ai fait la même réflexion, avec une image un peu plus martiale : "Vous avez une fenêtre de tir, il faut en profiter". C'est maintenant ! Dieu ne repasse pas forcément les plats quand il se voit dédaigné. Mais il faut aussi savoir attendre ce "maintenant". Jacqueline de Romilly l'a attendu quatre-vingt quinze ans. Ernt Jünger un peu plus. Mais pour d'autre le "Maintenant" intervient plus tôt, à 25 ans ou à 50 ans, et parfois par surprise. "C'est à une heure où vous n'y pensez pas que le Fils de l'homme viendra" : il ne faut pas manquer ce rendez-vous avec la grâce de Dieu qui ne se représentera pas forcément de sitôt.
Jacqueline de Romilly, avec sa merveilleuse culture grecque, aurait pu descendre devant le Styx, ce fleuve infernal où le passeur Charron fait payer trop cher le passage. Mais elle a rencontré le Christ, cet homme nommé "Salut" ("Jésus"). Et cette rencontre, à entendre le Père Labaky, lorsqu'elle a eu lieu pour la première fois dans l'eucharistie, a fait rajeunir son regard de... 85 ans.
On l'imagine dans l'aujourd'hui de cette rencontre avec le Christ, perçant le Ciel de Dieu de ses yeux très bleus dans la même éternelle première fois.
Petite erreur :Madame de Romilly n'a pas succédé à Marguerite Yourcenar mais le 24 novembre 1988, à André Roussin (7e fauteuil) lui-même successeur de Pierre-Henri Simon.
RépondreSupprimerLa confusion (fréquente dans la presse) provient sans doute du fait que Madame de Romilly était la deuxième femme élue à cet illustre cénacle.
C'est Jean-Denis Bredin qui avait succédé à Marguerite Yourcenar au fauteuil n° 3.
Je regrette que dans cet article, on ne rappelle pas son rôle auprès de l'Association Guillaume Budé dont elle fût Présidente.
RépondreSupprimerBudé et Calvin .... l'oubli serait-il de cet ordre ?
Merci
Décidément, c'était une grande dame, érudite et à la fois enfantine face à la foi trouvée. Le Seigneur nous demade-t-il pas d'être comme de petits enfants ?
RépondreSupprimerJ'ai découvert madame de Romilly grâce à Radio Courtoisie et ai pu voir un beau reportage sur elle à la télé. C'est là que j'ai découvert sa cécité. Quel exemple ! Agée et aveugle, elle travaillait encore !
Je lui souhaite de voir... Jésus et le Père !
Clément d'Aubier (pseudo de rêverie)
On se fiche un peu des fauteuils de L'Académie française .
RépondreSupprimerMerci pour ce développement sur le " maintenant " ,si mystèrieux .
Qu'importe le temps, l'époque ou l'âge! Ce qui est merveilleux, c'est la grâce que Jacqueline de Romilly, cette grande dame, a su tout simplement saisir.
RépondreSupprimerWilly
Dans "Les révélations de la mémoire" paru en 2009, J de Rommilly. faisait délicatement allusion à sa foi "On reconnaîtra alors qu'à côté de l'ici il y a un ailleurs et qu'à côté du maintenant il y a un toujours" (p.113). On ne peut mieux dire. Colette
RépondreSupprimerCe prête Libannais a tout compris et a eu l'audace charitable d'aller chercher une belle ame . Et si tous nos prêtes étaient comme lui?
RépondreSupprimersigne ANDEGAVANIA
Bonjour,
RépondreSupprimerconcernant le premier commentaire sur la succession à l'académie Française, si Jacqueline de Romilly a occupé le fauteuil de André Roussin, il n'empêche (et c'est de là que vient la succession) qu'elle était la première femme à entrer à l'académie depuis la mort de Marguerite Yourcenar. En tant que femme élue à l'académie, elle succédait bien à Marguerite Yourcenar... D'où la confusion fréquente dans les médias...