Très belle conférence mardi dernier au CSP. Et très peu d'auditeurs pour l'entendre : le happy few, que n'avaient découragé ni les vacances, ni la neige, ni la... difficulté du sujet. Sylvie Chabert d'Hyères venait évoquer ses trouvailles exégétiques. Spécialiste de ce que l'on nomme le Texte Occidental, contenu dans le Codex de Bèze, gardé jalousement jusqu'au XVIème siècle par l'Eglise de Lyon, elle voulait évoquer non la naissance du Christ mais son baptême par jean Baptiste, qui marque le commencement de sa vie publique.
Nous allons célébrer le baptême du Christ le 13 janvier prochain dans la liturgie extraordinaire. J'avoue que cet épisode présent dans les quatre évangiles m'a toujours fasciné. Mais j'ai encore aujourdhui du mal à comprendre son sens profond. Je me souviens d'un article du Père Spicq dans la Revue Biblique. J'avais sauté dessus, espérant des éclairages inédits. Le développement du Père Spicq n'est pas sans intérêt, mais le moins que l'on puisse dire est qu'il n'emporte pas la conviction... Il est... oui... poussif.
Eh bien ! Poussive, cette conférence ne l'était pas. Mais c'est en se ralliant à une variante proposée par le Codex de Bèze (Vème siècle) que l'on comprend la portée absolue de cette scène qui est le commencement de la prédication chrétienne.
Dans la version ordinairement retenue, pour les Paroles du Pères, manifestant son Fils, on a : "Celui ci est mon Fils bien aimé, en qui j'ai mis mes complaisances". La même formule que dans le récit de la transfiguration (Lc 9). "Fils bien aimé" : la formule renvoie au sacrifice d'isaac "fils bien aimé" d'Abraham. Elle contribue à manifester l'atmosphère sacrificielle de l'épisode de la Transfiguration. Pour endurcir ses trois apôtres contre le spectacle de sa souffrance et de sa mort, le Christ leur manifeste sa divinité et sa supériorité sur Moïse et sur Elie, sur la Loi et les prophètes. Rien de tel au moment du Baptême...
Encore que... S'il n'est pas question du Sacrifice, il est question de génération, c'est-à-dire (comme toujours au fond dans l'Evangile) de vie et de mort. Dans le Codex de Bèze, la Voix du Père reprend la Parole du Psaume 2 : "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré". Le sens peut paraître proche à une lecture superficielle. Comme toujours, les variantes du Codex de Bèze sont apparemment peu de chose. Mais cette variante pousse tout de même à la réflexion.
De quelle génération s'agit-il ? De la génération du Fils dans la Trinité ? Non. Il n'y aurait pas lieu d'écrire "aujourd'hui, je t'ai engendré". Le processus n'est pas éternel, mais temporel. De plus, la présence du Saint Esprit ne s'expliquerait pas, s'il était question uniquement de la génération du Fils dans l'éternité.
De quelle génération s'agit-il ? De la génération de l'homme Jésus, premier né d'une multitude de frères et désigné par le Père, dans l'Esprit Saint comme l'Aîné de toute l'humanité, comme le premier homme qui accomplisse pleinement son destin, comme le premier homme-Dieu ou plutôt comme l'Homme-Dieu qui divinise tous ceux qui seront baptisés en lui. Au fond, le baptême du Christ, c'est... son incarnation, du Père et de l'Esprit Saint, qui est rendue visible par le geste de Jean-Baptiste, appelant la voix céleste et la colombe.
Jean-Baptiste, lui qui se définit couramment comme n'étant pas digne de dénouer la courroie de la chaussure de cet homme-là, n'en est pas le véritable baptiseur. Son baptême à lui, Jean, est un baptême de pénitence et de conversion. Rien à voir avec ce qui se passe dans l'eau du Jourdain en ce moment : la manifestation d'une naissance. "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré". Ce qui est né de la Vierge Marie (quod natum est ex te sanctum), est né saint, est né baptisé. Le baptême dans le Jourdain est la visibilisation de l'Incarnation comme mystère trinitaire.
Jean avait été appelé le baptiseur. Tant que le baptême est la pure manifestation extérieure d'une pénitence intérieure, ce nom n'est pas usurpé. Baptiser signifie "laver". Se faire baptiser par jean, c'est subir un... lavement spirituel. Mais dans la scène du baptême du Christ, il s'agit de bien autre chose. Alors "s'accomplit toute justice", c'est-à-dire toute sainteté. Ce qui était caché à Bethléem à tout autre qu'aux bergers (ces marginaux qui gardent leurs troupeaux hors de la Ville) ou aux Mages (ces étrangers vraisemblablement zoroastriens que personne n'attendait) devient manifeste à ceux qui seront les futurs disciples du Christ. Le baptême du Christ, c'est le Bethléem des apôtres, la manifestation visible de l'Incarnation du Verbe, né saint de la Vierge Marie... Et le véritable baptiseur n'est pas celui qu'on pense. On imagine que c'est Jean. Mais Jean tient la place de Dieu pour que la Justice se manifeste en plénitude, pour que, en Jésus (et en tous ceux qui seront baptisés après lui et en lui) soit signifié à tous l'accomplissement divin de l'humanité de l'homme : "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré". Cet accomplissement ne peut être qu'un don gratuit de Dieu. En cela, Dieu est le baptiseur.
Et cela est vrai jusqu'à aujourd'hui. Le baptême chrétien n'est pas une simple cérémonie manifestant l'attachement au Christ. C'est un rite qui transforme celui qui le reçoit (un sacrement), en lui permettant d'envisager un autre destin, celui de fils ou de fille de Dieu : Tu es mon fils, tu es ma fille aujourd'hui je t'ai engendré(e). Il n'y a pas d'âge pour recevoir ce don sublime de la vie éternelle, où se reproduit, en quelque sorte à l'envers, l'Incarnation du Christ. Mais ce don est forcément offert à une liberté. Pour les petits enfants, cette liberté humaine qui reçoit le don de Dieu, c'est celle des parents, qui donnent ainsi la vie une deuxième fois à leur enfant, comme l'explique Cajétan. Plus tard, au fur et à mesure de son développement, c'est la liberté de chacun ou de chacune qui, en quelque sorte, proportionne le don de Dieu.
Le baptême du Christ est ainsi la manifestation de son Incarnation de Spiritu sancto, "de l'Esprit saint". C'est la manifestation de sa sainteté proprement divine (il est celui en qui s'accomplit toute justice) et du destin éternel qu'une telle sainteté (que cette sainteté proprement divine) mérite ou conquiert sur le néant.
J'ai interprété un peu librement les éléments que nous a apporté avec tant de précision, de compétence et de prudence Sylvie Chabert... Je ne suis pas sûr qu'elle théologise ainsi la scène. Mais je ne crois pas être infidèle, ce disant, au mouvement de sa pensée.
Nous allons célébrer le baptême du Christ le 13 janvier prochain dans la liturgie extraordinaire. J'avoue que cet épisode présent dans les quatre évangiles m'a toujours fasciné. Mais j'ai encore aujourdhui du mal à comprendre son sens profond. Je me souviens d'un article du Père Spicq dans la Revue Biblique. J'avais sauté dessus, espérant des éclairages inédits. Le développement du Père Spicq n'est pas sans intérêt, mais le moins que l'on puisse dire est qu'il n'emporte pas la conviction... Il est... oui... poussif.
Eh bien ! Poussive, cette conférence ne l'était pas. Mais c'est en se ralliant à une variante proposée par le Codex de Bèze (Vème siècle) que l'on comprend la portée absolue de cette scène qui est le commencement de la prédication chrétienne.
Dans la version ordinairement retenue, pour les Paroles du Pères, manifestant son Fils, on a : "Celui ci est mon Fils bien aimé, en qui j'ai mis mes complaisances". La même formule que dans le récit de la transfiguration (Lc 9). "Fils bien aimé" : la formule renvoie au sacrifice d'isaac "fils bien aimé" d'Abraham. Elle contribue à manifester l'atmosphère sacrificielle de l'épisode de la Transfiguration. Pour endurcir ses trois apôtres contre le spectacle de sa souffrance et de sa mort, le Christ leur manifeste sa divinité et sa supériorité sur Moïse et sur Elie, sur la Loi et les prophètes. Rien de tel au moment du Baptême...
Encore que... S'il n'est pas question du Sacrifice, il est question de génération, c'est-à-dire (comme toujours au fond dans l'Evangile) de vie et de mort. Dans le Codex de Bèze, la Voix du Père reprend la Parole du Psaume 2 : "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré". Le sens peut paraître proche à une lecture superficielle. Comme toujours, les variantes du Codex de Bèze sont apparemment peu de chose. Mais cette variante pousse tout de même à la réflexion.
De quelle génération s'agit-il ? De la génération du Fils dans la Trinité ? Non. Il n'y aurait pas lieu d'écrire "aujourd'hui, je t'ai engendré". Le processus n'est pas éternel, mais temporel. De plus, la présence du Saint Esprit ne s'expliquerait pas, s'il était question uniquement de la génération du Fils dans l'éternité.
De quelle génération s'agit-il ? De la génération de l'homme Jésus, premier né d'une multitude de frères et désigné par le Père, dans l'Esprit Saint comme l'Aîné de toute l'humanité, comme le premier homme qui accomplisse pleinement son destin, comme le premier homme-Dieu ou plutôt comme l'Homme-Dieu qui divinise tous ceux qui seront baptisés en lui. Au fond, le baptême du Christ, c'est... son incarnation, du Père et de l'Esprit Saint, qui est rendue visible par le geste de Jean-Baptiste, appelant la voix céleste et la colombe.
Jean-Baptiste, lui qui se définit couramment comme n'étant pas digne de dénouer la courroie de la chaussure de cet homme-là, n'en est pas le véritable baptiseur. Son baptême à lui, Jean, est un baptême de pénitence et de conversion. Rien à voir avec ce qui se passe dans l'eau du Jourdain en ce moment : la manifestation d'une naissance. "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré". Ce qui est né de la Vierge Marie (quod natum est ex te sanctum), est né saint, est né baptisé. Le baptême dans le Jourdain est la visibilisation de l'Incarnation comme mystère trinitaire.
Jean avait été appelé le baptiseur. Tant que le baptême est la pure manifestation extérieure d'une pénitence intérieure, ce nom n'est pas usurpé. Baptiser signifie "laver". Se faire baptiser par jean, c'est subir un... lavement spirituel. Mais dans la scène du baptême du Christ, il s'agit de bien autre chose. Alors "s'accomplit toute justice", c'est-à-dire toute sainteté. Ce qui était caché à Bethléem à tout autre qu'aux bergers (ces marginaux qui gardent leurs troupeaux hors de la Ville) ou aux Mages (ces étrangers vraisemblablement zoroastriens que personne n'attendait) devient manifeste à ceux qui seront les futurs disciples du Christ. Le baptême du Christ, c'est le Bethléem des apôtres, la manifestation visible de l'Incarnation du Verbe, né saint de la Vierge Marie... Et le véritable baptiseur n'est pas celui qu'on pense. On imagine que c'est Jean. Mais Jean tient la place de Dieu pour que la Justice se manifeste en plénitude, pour que, en Jésus (et en tous ceux qui seront baptisés après lui et en lui) soit signifié à tous l'accomplissement divin de l'humanité de l'homme : "Tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré". Cet accomplissement ne peut être qu'un don gratuit de Dieu. En cela, Dieu est le baptiseur.
Et cela est vrai jusqu'à aujourd'hui. Le baptême chrétien n'est pas une simple cérémonie manifestant l'attachement au Christ. C'est un rite qui transforme celui qui le reçoit (un sacrement), en lui permettant d'envisager un autre destin, celui de fils ou de fille de Dieu : Tu es mon fils, tu es ma fille aujourd'hui je t'ai engendré(e). Il n'y a pas d'âge pour recevoir ce don sublime de la vie éternelle, où se reproduit, en quelque sorte à l'envers, l'Incarnation du Christ. Mais ce don est forcément offert à une liberté. Pour les petits enfants, cette liberté humaine qui reçoit le don de Dieu, c'est celle des parents, qui donnent ainsi la vie une deuxième fois à leur enfant, comme l'explique Cajétan. Plus tard, au fur et à mesure de son développement, c'est la liberté de chacun ou de chacune qui, en quelque sorte, proportionne le don de Dieu.
Le baptême du Christ est ainsi la manifestation de son Incarnation de Spiritu sancto, "de l'Esprit saint". C'est la manifestation de sa sainteté proprement divine (il est celui en qui s'accomplit toute justice) et du destin éternel qu'une telle sainteté (que cette sainteté proprement divine) mérite ou conquiert sur le néant.
J'ai interprété un peu librement les éléments que nous a apporté avec tant de précision, de compétence et de prudence Sylvie Chabert... Je ne suis pas sûr qu'elle théologise ainsi la scène. Mais je ne crois pas être infidèle, ce disant, au mouvement de sa pensée.
Quel Mystère en effet fascinant et confondant que celui du baptême du christ, deuxième temps de Son Epiphanie selon les orthodoxes après la manifestation aux mages et avant les noces de cana! A ma grande honte, j'avoue avoir longtemps interprété cet épisode comme l'entrée du Christ dans Son propre Système. Mais de quel Système s'agit-il, à supposer qu'on puisse retenir le mot? Un système où il ne suffit pas, pour plagier Beaumarchais, de ne s'être "donné que la peine de naître", un système de renaissance et de reconnaissance où la Création, le biologique, l'organique semblent quasiment tenus pour quantité négligeable s'ils ne servent de point d'appui, pour qu'elles viennent s'y superposer, à la Rédemption, la rédimation, la régénération, la recréation (ou Création par surcroît), l'ajout de la Grâce à la nature, comme une seconde nature, de nature spirituelle, à la nature charnelle du bios. Devant ce Mystère, on reste coi: pourquoi Dieu n'Aime-t-Il pas immédiatement ce qu'Il a créé? Sans doute, la question est-elle mal posée. Aussi reformulons-la: pourquoi à Dieu Qui seul Se Suffit et qui a créé sans besoin, ne suffit-il pas ce qu'Il a créé, ou pourquoi ne Lui suffit-Il pas d'avoir créé, au point qu'à un premier Mystère de génération, de filiation, c'est-à-dire de répression, de soumission à un ordre prérequis, il Lui faille en ajouter un autre? Peut-être ici, commençons-nous de tenir une clef de la réponse: il Lui faut en ajouter un autre parce que cette filiation nouvelle ne reposera pas cette fois sur une soumission, ni sur une répression dont il est naturel que l'on se venge, nous dirait freud, mais sur un acquiescement, l'acquiescement du don le plus précieux que Dieu nous ait fait: celui de la liberté humaine, la liberté humaine se voyant proposer de suivre celui qui n'est jamais appelé dans la bible "le fils de Dieu", mais Qui ne cesse de Se désigner Lui-Même comme "le fils de l'Homme" pour nous montrer le chemin de l'Homme parfait, de la plénitude humaine, de l'homme accompli. Nous sommes de descendance royale et christique ; l'aspect coutumier du baptême qui se transmet des parents aux enfants nous rappelle que le baptême est un sacrement de génération, ceci est inscrit très profondément dans nos âmes et dans notre sensus fidei; et pourtant, ce sacrement ne peut se recevoir que si cette génération repose sur une conversion personnelle, une conversion de la conscience, du regard et du comportement. Telle est la demande qui nous est adressée par le Fils de l'Homme dont la venue nous sera annoncée, dans la première lecture de ce soir, non seulement comme celle du "Prince de la Paix, mais du "Père eternel" (ceci figure en toutes lettres dans la liste des nom glorieux que porte le serviteur). Oui, le Verbe Eternel qui vient s'incarner chez nous en ce mémorial que nous célébrons aujourd'hui ne fait qu'un avec le Père Eternel. C'est à cette éternité du dessein créateur de dieu qu'il nous faut acquiescer de toute notre liberté humaine. Aujourd'hui est le moment favorable, joyeux Noël !
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