"C'est moi, n'ayez pas peur !" Mc 6, 50
C'est la quatrième veille de la nuit (3H-6 H du matin). Les apôtres souquent au large pour se rapprocher des côtes, mais ils sont au milieu du lac de Génésareth, pris dans des vents contraires. Jésus est parti prier, cette nuit-là, dans la montagne, après avoir multiplié les pains. Il les rejoint en marchant sur la mer. A un moment, il semble les dépasser, comme s'ils voulaient provoquer leur interrogation. Les apôtres, "croyant que c'était un fantôme" (phantasma dit le texte latin calquant le grec), manifestent leur peur.
Jolie "composition de lieu" dirait saint Ignace. Nous pouvons d'autant plus facilement nous imaginer dans cette situation d'efforts physiques, de vents contraires et d'un Jésus qui semble nous fuir que dans notre vie, parfois, il peut en aller ainsi, mutatis mutandis. Nous prenons des risques, nous ne nous en sortons pas, nous nous sentons abandonnés, seuls au milieu de la vie, dans les vents contraires, comme les apôtre à 4 H du matin au milieu de la mer, alors qu'ils sont partis, dit le texte, sur une injonction du Seigneur qui les a "contraint" à prendre le bateau dans la soirée. Incompréhension, lassitude, peur.
C'est ce moment que choisit le Christ pour leur rappeler sa véritable identité : Ego eimi. Je suis. En français, on ne peut pas rendre le sublime jeu de mot du Christ. On ne lit pas et on ne dit pas : "Je suis", on dit seulement : "C'est moi". Ainsi l'on passe à côté de ce rappel crypté mais terriblement fort pour des juifs pieux, qui entendent le nom de Dieu dans la bouche du Christ. Les Paroles de l'Exiode 3, 15 résonnent dans leur mémoire, la scène du Buisson ardent, Dieu parle dans le buisson et dit à Moïse : "Tu diras à tes frères que Je suis m'envoie vers vous". Ce n'est sans doute pas la première fois que les apôtres entendent leur Maître décliner tranquillement son dentité divine. En tout cas ce n'est pas la dernière. Edouard Delebecq, éminent helléniste, a écrit il y a vingt ans, sur la récurrence de ces deux mots dans la bouche du Christ et sur la portée théologique de ce leit-motiv. Je suis. Jésus ne se contente pas de le leur dire. Il le leur montre puisque au moment où "il monte auprès d'eux dans la barque", le vent tombe. Décidément, leur dit-il, je vous le répète : "N'ayez pas peur".
Nous oublions si facilement de qui nous avons l'honneur d'être les disciples. Notre foi est intellectuelle (au mieux) ou routinière. Elle manque de tripes, elle manque de coeur, oui de coeur à l'ouvrage, elle manque d'assurance en réalité. Le Christ nous le demande : "N'ayez pas peur". Lorsque l'Eglise déboussolée, l'Eglise de 1978 a entendu ces paroles comme les premières paroles d'un nouveau pape, elle a reconnu la voix du Maître. Obscurément. Mais encore faudrait-il que chacun d'entre nous, nous prenions pour nous cette apostrophe : "N'ayez pas peur".
Si nous pensons à nos passions, nous voyons immédiatement une passion qui nous flatte finalement : la concupiscence charnelle. Et nous oublions la peur, si présente pourtant, et qui parfois se cache en se redoublant : la peur de la peur peut nous immobiliser, sans même que nous ayons l'impression d'avoir peur.
Nos maux de chrétiens tièdes, nos bobos à l'âme, cette failure que nous sentons en nous-mêmes (je pense au post de l'un d'entre vous), tout cela, c'est la peur. Le péché nous fait peur, avec sa terrible logique qui vient de notre impuissance. Il nous fait peur, comme il fit peur à Adam et à Eve qui se cachèrent après avoir mangé le fruit de l'arbre. Ils avaient peur de Dieu. Ils avaient peur d'eux-mêmes et de leur propre nudité. Une peur panique qui les poussa à se faire des vêtements de feuilles de figuier.
N'ayez pas peur !
Je pense en écrivant cela à un travail récent que j'ai publié dans Monde et Vie pour saluer les vingt ans de la mort de Mgr Lefebvre (25 mars 1991). Il m'a fallu relire le récit de ses derniers instants pour me rendre compte que les dernières paroles de l'évêque de fer - celui qui avait fait trembler Rome sur ses bases et que je ne cherche nullement à canoniser ici - sont d'une confiance désarmante : "Nous sommes tous ses petits enfants". C'était sans doute le secret de son assurance.
Il me semble que l'exercice que nous pouvons faire aujourd'hui, à tel ou tel moment de la journée, plusieurs fois, pourrait être de nous répéter cette parole : "Nous sommes tous ses petits enfants". Ou, si cette enfance vous est trop difficile, trop peu sensible, vous pouvez dire : "Je suis dans la main de Dieu". Georges Bernanos employait beaucoup cette expression dans la correspondance de ses dernières années. mais il lui donnait une suite : "Je suis dans la main de Dieu. Va-t-il serrer ?" - Même pas peur !
C'est la quatrième veille de la nuit (3H-6 H du matin). Les apôtres souquent au large pour se rapprocher des côtes, mais ils sont au milieu du lac de Génésareth, pris dans des vents contraires. Jésus est parti prier, cette nuit-là, dans la montagne, après avoir multiplié les pains. Il les rejoint en marchant sur la mer. A un moment, il semble les dépasser, comme s'ils voulaient provoquer leur interrogation. Les apôtres, "croyant que c'était un fantôme" (phantasma dit le texte latin calquant le grec), manifestent leur peur.
Jolie "composition de lieu" dirait saint Ignace. Nous pouvons d'autant plus facilement nous imaginer dans cette situation d'efforts physiques, de vents contraires et d'un Jésus qui semble nous fuir que dans notre vie, parfois, il peut en aller ainsi, mutatis mutandis. Nous prenons des risques, nous ne nous en sortons pas, nous nous sentons abandonnés, seuls au milieu de la vie, dans les vents contraires, comme les apôtre à 4 H du matin au milieu de la mer, alors qu'ils sont partis, dit le texte, sur une injonction du Seigneur qui les a "contraint" à prendre le bateau dans la soirée. Incompréhension, lassitude, peur.
C'est ce moment que choisit le Christ pour leur rappeler sa véritable identité : Ego eimi. Je suis. En français, on ne peut pas rendre le sublime jeu de mot du Christ. On ne lit pas et on ne dit pas : "Je suis", on dit seulement : "C'est moi". Ainsi l'on passe à côté de ce rappel crypté mais terriblement fort pour des juifs pieux, qui entendent le nom de Dieu dans la bouche du Christ. Les Paroles de l'Exiode 3, 15 résonnent dans leur mémoire, la scène du Buisson ardent, Dieu parle dans le buisson et dit à Moïse : "Tu diras à tes frères que Je suis m'envoie vers vous". Ce n'est sans doute pas la première fois que les apôtres entendent leur Maître décliner tranquillement son dentité divine. En tout cas ce n'est pas la dernière. Edouard Delebecq, éminent helléniste, a écrit il y a vingt ans, sur la récurrence de ces deux mots dans la bouche du Christ et sur la portée théologique de ce leit-motiv. Je suis. Jésus ne se contente pas de le leur dire. Il le leur montre puisque au moment où "il monte auprès d'eux dans la barque", le vent tombe. Décidément, leur dit-il, je vous le répète : "N'ayez pas peur".
Nous oublions si facilement de qui nous avons l'honneur d'être les disciples. Notre foi est intellectuelle (au mieux) ou routinière. Elle manque de tripes, elle manque de coeur, oui de coeur à l'ouvrage, elle manque d'assurance en réalité. Le Christ nous le demande : "N'ayez pas peur". Lorsque l'Eglise déboussolée, l'Eglise de 1978 a entendu ces paroles comme les premières paroles d'un nouveau pape, elle a reconnu la voix du Maître. Obscurément. Mais encore faudrait-il que chacun d'entre nous, nous prenions pour nous cette apostrophe : "N'ayez pas peur".
Si nous pensons à nos passions, nous voyons immédiatement une passion qui nous flatte finalement : la concupiscence charnelle. Et nous oublions la peur, si présente pourtant, et qui parfois se cache en se redoublant : la peur de la peur peut nous immobiliser, sans même que nous ayons l'impression d'avoir peur.
Nos maux de chrétiens tièdes, nos bobos à l'âme, cette failure que nous sentons en nous-mêmes (je pense au post de l'un d'entre vous), tout cela, c'est la peur. Le péché nous fait peur, avec sa terrible logique qui vient de notre impuissance. Il nous fait peur, comme il fit peur à Adam et à Eve qui se cachèrent après avoir mangé le fruit de l'arbre. Ils avaient peur de Dieu. Ils avaient peur d'eux-mêmes et de leur propre nudité. Une peur panique qui les poussa à se faire des vêtements de feuilles de figuier.
N'ayez pas peur !
Je pense en écrivant cela à un travail récent que j'ai publié dans Monde et Vie pour saluer les vingt ans de la mort de Mgr Lefebvre (25 mars 1991). Il m'a fallu relire le récit de ses derniers instants pour me rendre compte que les dernières paroles de l'évêque de fer - celui qui avait fait trembler Rome sur ses bases et que je ne cherche nullement à canoniser ici - sont d'une confiance désarmante : "Nous sommes tous ses petits enfants". C'était sans doute le secret de son assurance.
Il me semble que l'exercice que nous pouvons faire aujourd'hui, à tel ou tel moment de la journée, plusieurs fois, pourrait être de nous répéter cette parole : "Nous sommes tous ses petits enfants". Ou, si cette enfance vous est trop difficile, trop peu sensible, vous pouvez dire : "Je suis dans la main de Dieu". Georges Bernanos employait beaucoup cette expression dans la correspondance de ses dernières années. mais il lui donnait une suite : "Je suis dans la main de Dieu. Va-t-il serrer ?" - Même pas peur !
Je ne sais si c'est volontaire, mais "fêlure" retranscrit en "failure"( échec, en globish)c'est très joli.
RépondreSupprimerJe n'oublie pas que le Maître a dit "Je suis" au moment même de son arrestation, quand c'était à Son tour de monter sur le radeau de bois de la Croix dans une pire tempête que sur le lac...
Cela dit, il avoua sa peur ( Gethsémani)..avant de s'"abandonner" en lutteur " robustus"...
Réserve : le "n'ayez pas peur" papal prononcé au moment ou autour de la mise en scène spectaculaire mondiale de la pseudo "chute" du "communisme" (une variété parmi tant d'autres!) ...ne m'a jamais beaucoup rassuré au contraire...Beaucoup estiment que le mur est tombé du mauvais côté... certains ont peut-être prié, mais veillent-ils?
(voir Ph. Héduy "2000ans après", très convaincant)
Reste que dans l'agonie de l'Eglise, "Je SUIS" continue à Se prononcer... pour son Père, pour son Eglise( du moins la triomphante et la souffrante, car la "militante"???) et pour nous, pauvres riens du ...Tout!
A.S. Anti SPectacle
"Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi?" (Mt 8,26). Oui. avec en corollaire ce dicton populaire :" La peur est mauvaise conseillère.". Les soldats des troupes de choc le savent, qui apprennent à maîtriser sans cesse leur peur. Georges Bernanos, ce mal commode, avait tout compris :"Je suis dans la main de Dieu. Va-t-il serrer?"
RépondreSupprimerContinuez vos chroniques, mon Père; vous touchez juste.
Willy
Merci Monsieur l'abbé de ces propos si vrais: peur paralysante que seuls des mots d'enfant confiant peuvent vaincre...merci de ces commentaires assortis d'un exercice simple: "Seigneur, je ne suis pas digne...", "nous sommes tous ses petits enfants..."; le Carême devient plus concret...
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