A. Claude,
Dans tous ces posts, il y en a chaque fois un peu pour tout le monde, et j'espérai bien que quelqu'un me réponde sur le concept de "foi athée" que je propose à partir de certains texte de Nietzsche, pris en particulier dans Le crépuscule des idoles. Je pense par exemple au n°49 des Flâneries inactuelles.
Nietzsche prend en exemple Goethe, dans l'oeuvre de qui il voit "une tentative grandiose de vaincre le XVIIIème siècle par un effort pour s'élever au naturel de la Renaissance" (Pourquoi le cacher ? Cet antiilluminisme fondé sur la virtu renaissante me plaît énormément, même si je n'y mettrais pas la même chose que Nietzsche).
Et voilà le Goethe fantasmé par Nietzsche : "Un tel esprit libéré apparaît au centre de l'Univers, dans un fatalisme heureux et confiant, avec la FOI (c'est l'auteur qui souligne) qu'il n'y a de condamnable que ce qui existe isolément, et que, dans l'ensemble, tout se résout et s'affirme. Il ne nie plus... Mais une telle foi est la plus haute de toutes les fois possibles. Je l'ai baptisée du nom de Dionysos".
Magnifique texte ! Nietzsche essaie de penser un athéisme qui, au-delà de son sens étymologique, ne soit pas la "négation de Dieu". Il ne PEUT PAS être la négation de quoi que ce soit, puisque en vérité, "il ne nie plus...". Pour Nietzsche, Dionysos et ses corybantes ne s'opposent pas au Christ (voir la fin de Ecce Homo). Ils se substituent à lui. Foi contre foi. Foi dans le temps et l'éternel retour qui enseigne au sage à rester impavide... contre foi dans l'éternité et sa permanente nouveauté, qui nous apprend que, comme dit Pascal "toute sagesse ramène à l'enfance". Soit le Fini, qui n'a rien d'effrayant parce que l'on en a toujours déjà fait le tour... soit l'Infini, forcément surprenant parce qu'il se donne comme toujours un Autre à celui qui tente de le comprendre.
Foi contre foi ? Je pense encore à Pascal : "Incompréhensible que Dieu soit et incompréhensible qu'il ne soit pas" (Br. 230).
Et j'en entends certains le traiter de fidéiste pour cette formule. Il pose effectivement - à égalité d'ignorance quant à leurs objet - la foi en Dieu et la foi athée. C'est la démarche préliminaire du Pari. Cela ne signifie pas que la Raison ne puisse pas SE PRONONCER sur Dieu Mais cela signifie que la raison ne peut jamais COMPRENDRE ni l'existence de Dieu, ni non plus sa non-existence. Face à ces deux possibilités, on se trouve dans une forme de foi naturelle, parce que quoi qu'on dise, que l'on dise "Dieu est" ou que l'on... affirme : "Dieu n'est pas", on ne SAIT jamais vraiment ce que l'on dit. Dans les deux cas, on CROIT le savoir.
Dans les deux cas, il y a un in-dicible et un im-pensable. C'est à cause de cet au-delà du dire que Nietzsche peut parler de foi athée, en prêchant comme sa figure la plus plausible, ce qu'il nomme "le réalisme de l'éternel retour". C'est à cause de cet au-delà du dire que Pascal enseigne le monde de la ressemblance et de l'analogie comme le monde qui dit Dieu. Voyez sa lettre à Jacqueline (sa soeur préférée) du 1 avril 1648. Ce n'est pas un poisson : "Les choses corporelles ne sont qu'une image des spirituelles, et Dieu a représenté les choses invisibles dans les visibles. Cette pensée est si générale et si utile, qu'on ne doit point laisser passer un espace notable de temps sans y penser avec attention".
J'ai appelé l'indicible que dit la foi naturelle en Dieu : analogie, c'est-à-dire ressemblance universelle et semblance mystérieuse de cette ressemblance.
Comment nommer l'objet indicible de la foi athée (car il faut nommer l'indicible sous peine de le perdre) ?
Je propose d'emprunter à Gilles Deleuze, qui s'y connaissait en matière de foi athée, l'expression de dissémination que l'on trouve dans son gros ouvrage Différence et répétition. Analogie ou dissémination, il faut choisir. Soit les ressemblances sont toutes fortuites, et ce qui domine c'est la Diversité pure (mais je ne peux pas croire cela et je serais incapable de le vivre), soit je peux comprendre les différences comme différences en les pensant au sein d'une ressemblance universelle dont les grands agents s'appellent l'être, le vrai et le bien... Il me semble que l'on ne peut pas imaginer d'autre choix.
C'est sa croyance en la dissémination universelle, planquée sous le vocable rassurant d'éternel retour, c'est sa foi athée, c'est Dionysos qui a rendu fou Nietzsche, cherchant, au dernier moment, vous le savez, à rompre sa solitude essentielle en tentant de plonger son regard dans le regard souffrant d'un cheval de fiacre turinois, rossé par son cocher. Mon interprétation ? Au dernier moment de sa lucidité, Nietzsche a cherché l'analogie dans la souffrance, je veux dire : il a cherché l'analogie de sa souffrance et de celle du cheval, dans la croisée de leurs deux regards... et sans doute dans le partage du fouet.
A propos d'analogie, je ne peux pas m'empêcher de vous communiquer celle-là : le Psalmiste avait dit, il y a bien longtemps déjà : Ut jumentum factus sum apud te, et ego semper tecum. Tenuisti manum meam...(Ps. 72) Je suis devenu comme un cheval devant toi. Mais je suis toujours avec toi et tu me tiens par la main. Gustave Thibon dans son Nietzsche ou le déclin de l'esprit n'est pas loin de penser que, touché par l'entièreté (l'honnêteté) de sa foi athée, Dieu au dernier moment a tenu la main de Nietzsche.
Est-ce parce que N. au dernier moment de sa raison, avait compris sa vérité personnelle par analogie, dans le regard d'un cheval battu ? Etrange retour du sacrifice sur les ailes de l'analogie...
En écrivant cela, je pense à A. Claude, mais aussi à Alain, à Georges et à beaucoup d'autres...
Dans tous ces posts, il y en a chaque fois un peu pour tout le monde, et j'espérai bien que quelqu'un me réponde sur le concept de "foi athée" que je propose à partir de certains texte de Nietzsche, pris en particulier dans Le crépuscule des idoles. Je pense par exemple au n°49 des Flâneries inactuelles.
Nietzsche prend en exemple Goethe, dans l'oeuvre de qui il voit "une tentative grandiose de vaincre le XVIIIème siècle par un effort pour s'élever au naturel de la Renaissance" (Pourquoi le cacher ? Cet antiilluminisme fondé sur la virtu renaissante me plaît énormément, même si je n'y mettrais pas la même chose que Nietzsche).
Et voilà le Goethe fantasmé par Nietzsche : "Un tel esprit libéré apparaît au centre de l'Univers, dans un fatalisme heureux et confiant, avec la FOI (c'est l'auteur qui souligne) qu'il n'y a de condamnable que ce qui existe isolément, et que, dans l'ensemble, tout se résout et s'affirme. Il ne nie plus... Mais une telle foi est la plus haute de toutes les fois possibles. Je l'ai baptisée du nom de Dionysos".
Magnifique texte ! Nietzsche essaie de penser un athéisme qui, au-delà de son sens étymologique, ne soit pas la "négation de Dieu". Il ne PEUT PAS être la négation de quoi que ce soit, puisque en vérité, "il ne nie plus...". Pour Nietzsche, Dionysos et ses corybantes ne s'opposent pas au Christ (voir la fin de Ecce Homo). Ils se substituent à lui. Foi contre foi. Foi dans le temps et l'éternel retour qui enseigne au sage à rester impavide... contre foi dans l'éternité et sa permanente nouveauté, qui nous apprend que, comme dit Pascal "toute sagesse ramène à l'enfance". Soit le Fini, qui n'a rien d'effrayant parce que l'on en a toujours déjà fait le tour... soit l'Infini, forcément surprenant parce qu'il se donne comme toujours un Autre à celui qui tente de le comprendre.
Foi contre foi ? Je pense encore à Pascal : "Incompréhensible que Dieu soit et incompréhensible qu'il ne soit pas" (Br. 230).
Et j'en entends certains le traiter de fidéiste pour cette formule. Il pose effectivement - à égalité d'ignorance quant à leurs objet - la foi en Dieu et la foi athée. C'est la démarche préliminaire du Pari. Cela ne signifie pas que la Raison ne puisse pas SE PRONONCER sur Dieu Mais cela signifie que la raison ne peut jamais COMPRENDRE ni l'existence de Dieu, ni non plus sa non-existence. Face à ces deux possibilités, on se trouve dans une forme de foi naturelle, parce que quoi qu'on dise, que l'on dise "Dieu est" ou que l'on... affirme : "Dieu n'est pas", on ne SAIT jamais vraiment ce que l'on dit. Dans les deux cas, on CROIT le savoir.
Dans les deux cas, il y a un in-dicible et un im-pensable. C'est à cause de cet au-delà du dire que Nietzsche peut parler de foi athée, en prêchant comme sa figure la plus plausible, ce qu'il nomme "le réalisme de l'éternel retour". C'est à cause de cet au-delà du dire que Pascal enseigne le monde de la ressemblance et de l'analogie comme le monde qui dit Dieu. Voyez sa lettre à Jacqueline (sa soeur préférée) du 1 avril 1648. Ce n'est pas un poisson : "Les choses corporelles ne sont qu'une image des spirituelles, et Dieu a représenté les choses invisibles dans les visibles. Cette pensée est si générale et si utile, qu'on ne doit point laisser passer un espace notable de temps sans y penser avec attention".
J'ai appelé l'indicible que dit la foi naturelle en Dieu : analogie, c'est-à-dire ressemblance universelle et semblance mystérieuse de cette ressemblance.
Comment nommer l'objet indicible de la foi athée (car il faut nommer l'indicible sous peine de le perdre) ?
Je propose d'emprunter à Gilles Deleuze, qui s'y connaissait en matière de foi athée, l'expression de dissémination que l'on trouve dans son gros ouvrage Différence et répétition. Analogie ou dissémination, il faut choisir. Soit les ressemblances sont toutes fortuites, et ce qui domine c'est la Diversité pure (mais je ne peux pas croire cela et je serais incapable de le vivre), soit je peux comprendre les différences comme différences en les pensant au sein d'une ressemblance universelle dont les grands agents s'appellent l'être, le vrai et le bien... Il me semble que l'on ne peut pas imaginer d'autre choix.
C'est sa croyance en la dissémination universelle, planquée sous le vocable rassurant d'éternel retour, c'est sa foi athée, c'est Dionysos qui a rendu fou Nietzsche, cherchant, au dernier moment, vous le savez, à rompre sa solitude essentielle en tentant de plonger son regard dans le regard souffrant d'un cheval de fiacre turinois, rossé par son cocher. Mon interprétation ? Au dernier moment de sa lucidité, Nietzsche a cherché l'analogie dans la souffrance, je veux dire : il a cherché l'analogie de sa souffrance et de celle du cheval, dans la croisée de leurs deux regards... et sans doute dans le partage du fouet.
A propos d'analogie, je ne peux pas m'empêcher de vous communiquer celle-là : le Psalmiste avait dit, il y a bien longtemps déjà : Ut jumentum factus sum apud te, et ego semper tecum. Tenuisti manum meam...(Ps. 72) Je suis devenu comme un cheval devant toi. Mais je suis toujours avec toi et tu me tiens par la main. Gustave Thibon dans son Nietzsche ou le déclin de l'esprit n'est pas loin de penser que, touché par l'entièreté (l'honnêteté) de sa foi athée, Dieu au dernier moment a tenu la main de Nietzsche.
Est-ce parce que N. au dernier moment de sa raison, avait compris sa vérité personnelle par analogie, dans le regard d'un cheval battu ? Etrange retour du sacrifice sur les ailes de l'analogie...
En écrivant cela, je pense à A. Claude, mais aussi à Alain, à Georges et à beaucoup d'autres...
Je crois malheureusement que le sacrifice est à Dionysos.
RépondreSupprimerCe dieu tyran, descendant en droite ligne du Saturne dévorateur de ses propres enfants..
Cela dit, les mythes grecs ne mettent en scène que les fantasmes intérieurs quand ceux-ci se donnent libre cours. Si l'on n'est pas passé à l'analogie qui permet l'altérité (par identification) et qu'on n'a pas trouvé sa juste place dans l'univers (...en passant, ne méprisons pas le langage psychanalytique, la méthode analytique ne procède-t-elle pas par analogie ?).
Si le "moi" a pris toute la place au centre de l'univers, il est dans le leurre et, s'il est heureux ce ne l'est que fatalement, comme le nourrisson au sein, béat, croyant être une part de sa mère ou plutôt croyant que sa mère est à lui, en lui, lui-même.
La fatalité n'est pas la confiance mais l'abandon forcé, aveugle.
Il est bien archaïque, finalement, le "bonheur" fantasmatique dont Nietszhe rêvait.
Or, c'est bien vrai qu'on peut-être tyran à soi-même, "il y a toujours quelque chose qui manque qui me persécute" disait Camille Claudel à son frère Paul.
Au bout de la route d'une foi athée, il y a toujours une perte qu'elle soit collective, qu'elle soit individuelle; elle sacrifie aux dieux.
On ne confondra cependant pas la "position philosophique" de celui qui cherche en toute...bonne foi, avec la position déclarative, agressive et triomphante de ces perdus, fidèles de Dionysos ou adorateurs de la Renaissance et du retour à l'Antique à qui je dédie cette oeuvre du peintre Goya
http://entreleslignes.over-blog.fr/article-saturne-devorant-l-un-de-ses-enfants-38804418.html
"Ein solcher freigewordner Geist steht mit einem freudigen und vertrauenden Fatalismus mitten im All, im Glauben, dass nur das Einzelne verwerflich ist, dass im Ganzen sich Alles erlöst und bejaht — er verneint nicht mehr… Aber ein solcher Glaube ist der höchste aller möglichen Glauben: ich habe ihn auf den Namen des Dionysos getauft."
RépondreSupprimer"avec la FOI qu'il n'y a"
"la foi que" : je me demande si cela est bien français ; Glaube serait peut-être ici mieux rendu par croyance ou conviction.
Cher A. Claude : en traduisant Die Glaube par croyance, vous renforcez encore mon propos. L'athéisme comme la foi relèvent de la catégorie "croyance".
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