samedi 2 avril 2011

Vingt et unième billet de carême Samedi de la Troisième semaine

"Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre"

L'épisode de la femme adultère se trouve actuellement au chapitre 8 de l'Evangile de saint Jean. Il y est vraisemblablement interpolé. Dans le Codex de Théodore de Bèze, manuscrit lyonnais remontant au Vème siècle, c'est dans saint Luc que l'on découvre ce texte, au chapitre 21, v. 38. Détail superflu ? Je ne crois pas. Cet épisode se situe vraisemblablement non pas au début du ministère du Christ comme le laisse penser sa place actuelle dans saint Jean mais tout prêt de la Passion, et à Jérusalem, sur le Parvis des gentils, aors qu'il en a chassé les changeurs. L'ambiance, à ce moment-là, à Jérusalem, est absolument surchauffée.

Pourquoi cette interpolation ? Saint Augustin le disait déjà : ce texte est gênant. Je traduits comme je peux le De conjugiis adulterinis du grand Docteur africain (PL 40, 474) : "Naturellement cet épisode est extrêmement choquant pour ceux qui n'ont pas la foi, de sorte que quelques personnes de peu de foi ou plutôt ennemis de la foi véritable, et, je crois, craignant qu'une impunité dans le péché ne soit donnée à leurs femmes... [eh bien !] ce que le Seigneur a fait - cette indulgence envers la femme adultère - ils l'ont enlevé de leurs livres. Comme s'il avait donné la permission de pécher, celui qui a dit : "A partir de maintenant, ne pèche plus !". Ou bien alors, c'est que la femme n'aurait pas dû être guérie par le Dieu-médecin, en recevant le pardon de son péché, pour que [soi disant] ne soient pas contaminés des hommes qui sont eux-mêmes déjà sans aucune santé [insani]".

Admirable Augustin que l'on dit misogyne. J'ai un tout petit peu forcé la traduction pour en faire ressentir tout le sel. Si ce texte s'est promené à divers endroits du grand Livre, c'est que les hommes en ont eu peur. Lisez bien notre Auteur. Ces hommes ont eu peur que leurs femmes ne leur échappent en revendiquant une impunité pour leurs frasques. Ils ont prétexté une pureté à conserver, eux qui étaient dans l'impureté jusqu'au cou... La liberté finale de la femme prise en flagrant délit d'adultère - liberté donnée par le Christ - leur est apparue comme quelque chose de dangereux.

Vous me direz : à notre époque cela fait rire... De ce côté-ci de la Méditerranée, peut-être !

Il y a une question qui me tarabuste : pourquoi cette femme, surprise en flagrant délit est-elle seule devant le Christ ? Pourquoi son amant n'est-il pas déféré au Maître ? La Loi prévoit en effet un sort similaire à celui de sa compagne mariée, pour l'amant en cas de preuve formelle d'adultère (Lévitique 20, 10) ou de flagrant délit (Deut. 22, 22). Le Père Léon-Dufour s'est posé cette question de la solitude de la femme. Il en profite pour donner au récit un sens figuratif, en faisant de cette femme adultère une image d'Israël, analogue à celles que l'on trouve chez les prophètes (Osée). Le récit me semble beaucoup trop précis pour être figuratif.

Je remarque en outre que cette femme n'est pas vraiment l'objet de l'intervention des "scribes et des Pharisiens". C'est à peine s'ils la regardent Jésus sera le premier à lui parler. Pour ses accusateurs le sort de cette femme est scellé par la Loi. C'est la réaction de jésus qui les intéresse. Ils lui tendent un véritable piège. Ils ont conscience de tendre un piège à sa miséricorde. Comme le dit Cajétan, dans un latin très dense, c'est un véritable piège que l'on tend au Christ, et il s'en sort admirablement, en disant "Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre. Voici cajétan : "Quelle réponse ! Elle est très habile, ni contraire à la Loi, ni étrangère à la clémence. C'est plutôt un chemin vers la clémence. Sans atteinte à la Loi,et avec la confusion des méchants". beaucoup d'interprètes parlent de ce piège. Certains disent même que si Jésus, comme on s'en souvient, se penche et écrit par terre, c'est pour se donner le temps de la réflexion. L'explication ne tient pas, car dans le récit, Jésus se penche deux fois pour écrire à terre, avant de répondre et après qu'il ait répondu cette fameuse phrase sur celui qui n'a jamais péché.

Il me semble que cette façon d'écrire par terre, si ostensible, si visuelle, qu'elle a frappé le scripteur, peut recevoir une explication psychologique plus profonde. Jésus se détourne des accusateurs parce qu'il est dans une extrême colère contre eux. Il se contient en écrivant au sol. Ce geste, l'Evangéliste peut lui donner un sens théologique ; on cite la parole de Jérémie 17, 13 : "Ceux qui se détournent de moi [Yahvé] seront inscrits sur le sol". Mais il faudrait imaginer la scène comme une sorte de pièce de théâtre. Or ce n'est pas du théâtre. La tension est extrême. Si le texte se trouve bien dans saint Luc comme nous le disions en commençant, il s'agit du dernier geste de la Vie publique du Christ. La polémique enfle. Il a chassé les marchands du Temple. Il est traité de tous les noms, on le voit dans saint Jean : "Tu es un Samaritain [en fait un Galiléen, mais pour ces gens c'est pareil : que peut-il venir de bon de Galilée]. "Tu as en toi un démon". Et aussi, à deux reprises au moins, nous verrons comment : "Tu es un enfant naturel, un bâtard, le fils de la prostitution (porneia)". J'ai tourné et retourné la question. Elle me semble évidente. Ce n'est pas cette femme que l'on accuse, c'est Jésus. Si on lui amène seulement la femme - pas l'homme - contre ce que précise la Loi (Deut. 22, 22)... Vous comprenez... Vous me suivez... Les scribes et les Pharisiens traitent Jésus de fils de... "Nous nous ne sommes pas nés de la prostitution" (Jean 8, 41). De là sa colère... On s'en prend à sa mère, à travers cette femme. Et le terrible piège : tu la soutiens, tu l'absous, c'est bien normal... Voyez aussi l'insinuation en 8, 19 : "Où est-ce qu'il est ton père ?" (voir la note de Delebecque), quelques lignes après cette scène. Quelle grossièreté ! Parce que le Christ appelle Dieu son Père, il est lui... fils de personne ! C'est de manière obsessionnelle l'unique reproche sérieux du Talmud (cf. en français L'évangile du Ghetto chez Berg), Origène le notait déjà... Il faut remarquer que le Coran se refuse à porter cette accusation... contre Marie.

Le Christ est dans une colère noire contre ses accusateurs, qui se servent de cette femme pour le toucher lui, au plus profond de son affection filiale. Est-ce un autre signe ? Il appelle l'adultère "femme" dans le bref dialogue qu'il a avec elle, comme il le fait lorsqu'il parle à sa propre Mère (Jean 2 et Jean 18).

Implicitement donc, c'est bien lui l'accusé. Et il renverse l'accusation, intimidant ses accusateurs par cette autorité surhumaine dont on sait qu'elle lit dans les coeurs : "Que celui qui n'a jamais péché lui lance la première pierre. Ils s'en allèrent tous en commençant par les plus agés".

J'ai vu ici ou là de bons auteurs expliquer que le Christ, ce disant, fait appel à la conscience de ceux qui accusent cette femme. Jolie supputation ! Mais il me semble clair que l'accusé réel dans cette scène, c'est le Christ. Il se défend donc. Pour moi, les sycophantes ont peur du grand déballage et ils partent, en commençant par les plus vieux, ceux dont la mémoire est la plus chargée. C'est un vrai sauve qui peut, après l'agression manquée. Et c'est seulement une fois qu'ils sont partis, les accusateurs avec leur haine, que Jésus peut s'adresser à cette femme : "- Où sont-ils ?" Et là encore, soit il faut imaginer une vraie colère, qui a absorbé toutes les facultés humaines du Christ et il revient à lui en sentant que la situation a changé, soit on comprend cette interrogation : Où sont-ils ? comme un pur jeu de scène, mais alors tout devient horriblement artificiel.

Enfin dans le "Femme, personne ne t'a jugé en mal ?" je vois, comme Delebecque un titre messianique. La situation est messianique. On pense à la malédiction du Serpent en Genèse 3, 15 : "Je mettrai une inimitié entre toi et la Femme". Il y a d'un côté les accusateurs de Jésus qui sont comme possédés par un esprit malin et tentent de se servir de cette femme pour le déstabiliser, en la lui amenant jusque sur le Parvis du Temple. Ceux là sont les pécheurs les plus durs, car le péché est de refuser la foi (Jean 16, 10). Et pourtant ils prétendent exercer le Jugement que le Père a solennellement remis au Fils (Jean 5). Ce sont des antichrists (I Jean). Leurs noms ont été écrits dans la poussière (selon l'interprétation théologique du geste du Christ) et ils ont disparu.

Le péché de la femme est infiniment moins grave que celui de ses accusateurs. Vous en voulez encore une preuve ? Alors que les accusateurs appellent Jésus simplement "maître", elle, elle le nomme par son nom propre, elle le reconnaît comme "Seigneur" (v. 11). Elle a la foi et c'est cela qui la sauve de son péché.

Texte trop long, mais cela valait la peine d'essayer de le comprendre vraiment.

Une intention pratique tout de même, suggérée par la suite du texte de saint Augustin citée plus haut : que les époux n'aient pas PEUR de se pardonner mutuellemnt du fond du coeur. Ce pardon, dit saint Augustin est impossible à celui qui ne croit pas. Il n'est concevable que dans la foi, qui bannit la crainte et ramène la confiance, la foi dont il est un des plus beaux fruits.

4 commentaires:

  1. Dans son ouvrage un peu complexe et mal ficelé, "Moi, je ne juge personne", Lyta basset situe comme vous l'épisode (dit de la femme adultère) entre le moment où Jésus a chassé les marchands du Temple et la punition que ce geste va lui valoir: son arestation au mont des oliviers. Elle se demande même si la scène n'a pas lieu au "jardin des olives".

    Pour autant qu'on reste dans une hypothèse un peu plus littéraliste que celle que vous proposez, d'une colère de Jésus qui le saisit jusqu'aux entrailles, il y a, de ce que Jésus écrit sur le sable, une supputation intéressante à mon avis: Il égrénerait toutes les prescriptions qui pourraient accuser les accusateurs de la femme, qui sont aussi Ses accusateurs à l'évidence.

    Jésus, l'accusé, le diable est dans son rôle. Et réversiblement, c'est l'Eglise qui n'est pas dans le sien quand elle accuse les hommes personnes beaucoup plus que leurs péchés.

    Jésus traité d'"enfant naturel", vous avez bien raison de dire que c'est là l'obsession du talmud, qui avait même imaginé un amant à Marie, en la personne d'un soldat romain nommé Pantera. De sorte que le talmud appelle Jésus en maintes occurrences le "fils de Pantera".

    Vous montrez fort bien que Jésus instaure une relation entre la "femme" et le "seigneur" qui, si l'on tient compte de la solitude dans laquelle est laissée la femme non mariée face à la maternité, comme de la solitude dans laquelle est laissé l'enfant naturel, restaure l'un et l'autre dans leur condition: toute femme porte un potentiel de maternité, et tout homme, tout petit d'homme est "fils de femme". Il l'est d'autant plus quand il ne sait pas de quelle femme Il est né. C'est la mesure du problème qu'a prise Jésus qui me fait ne pas apprécier le patrimonialisme familialiste de l'eglise. Parmi ces blessures que Jésus a endossées, il y a celle de l'enfant seul au monde, cet enfant à qui l'eglise ne parle plus, puisqu'elle ne pense plus qu'en termes de famille, dans le repli clanique que vit notre société aux familles disloquées.

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  2. Merci Monsieur l'Abbé pour cette belle explication qui,en ce qui me concerne, éclaire cet Evangile.... tout est pardonné à condition d'avoir la Foi et de reconnaître en demandant pardon.

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  3. Merci mon père pour cet éclairage intelligent de la femme adultère. Cette vision est en effet beaucoup plus interressante que l'interprétation ordinaire. Comme vous, j'ai toujours trouvé que ces hommes accusateurs et probablement en colère contre une pécheresse, n'auraient pas dû partir si facilement, si ce n'est qu'ils étaient face à un homme(Dieu) d'une autorité naturellecertainement hors paire. Votre interprétation a un sens plus profond et explique mieux les événements y compris l'écriture au sol.
    Si ce texte n'est pas à sa place originelle dans l'Evangile, qui peut soutenir comme vous cette thèse ? Et serait-il possible qu'une version réordonnée puisse voir le jour ?
    Très éclairant.
    Clément d'Aubier (pseudo de rêverie)

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  4. Le Christ "dans une colère noire", et "qui se contient" contre les Pharisiens, cela ne me convainc ni ne me plaît.
    Par contre, étudions les termes précis de la scène:
    -"Il se mit à écrire avec son doigt sur le sol" me semble devoir être mis en parallèle avec Ex 31, 18 "Il lui remit les deux tables du Témoignage, tables de pierre écrites du doigt de Dieu".
    Pour les Juifs, le geste de Jésus pendant qu'ils rappellent la Loi, c'est très parlant et c'est scandaleux. Voilà que de son doigt, il écrit comme Dieu dans la pierre (on remarquera qu'elle est ici pulvérisée en poussière, que l'Homme est d'abord poussière et qu'il en est tiré.)
    C'est Lui, effectivement, qu'ils ont voulu mettre à l'épreuve mais en écrivant ainsi 2 fois, le Christ persiste et signe. "ce que vous dites, ce n'est que la Loi et j'en suis maître".
    Alors, à la fin du chapitre, ils le lapident.
    - Par deux fois Jésus répète son geste. Par deux fois il est décrit comme se baissant puis se redressant.
    Quand les Juifs rappellent la Loi, les tables de pierre, il se baisse et écrit par terre.
    A chaque fois qu'Il répond, et répond à la Loi par une personnalisation, Il se redresse. La 1ère fois: "Que celui qui n'a jamais péché...", la 2ème fois: "Qui t'a condamné?"
    - Il oppose donc à la pierre -la Loi ancienne- sa Personne. A la condamnation par la Loi sur la pierre, le jugement d'une personne par une personne.
    Il ne dit pas "est-ce que la Loi te condamne?" Il dit "Qui t'a condamnée?"
    Personne finalement.
    Lui qui s'est redressé, personne qui juge, non plus ne la condamne. Lui qui s'est relevé d'entre les morts, Homme debout, Seigneur, maître de cette Loi de pierre qui condamnait. Lui qui redresse cette femme et lui dit qu'elle en est capable: "va et désormais ne pèche plus".
    - "Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter"(fin du chapitre): que de pierres, que de pierre, ces tables de pierre que l'on se jette à la tête ! Et de ces pierres de condamnation, Jésus va faire une pierre vivante: une personne: Pierre, qui aura le pouvoir de lier et de délier d'autres personnes.
    Lui-même Jésus, la pierre d'angle rejetée des bâtisseurs.

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