mercredi 8 août 2012

Réponse à Alain P.

Voici son message, qui est une mise en demeure amicale :
"Cher abbé, si mon message vous gêne ne le publiez pas svp. Il peut vous paraître si présomptueux de médiocrité, pardonnez moi. En effet, moi qui suit d'une ignorance abyssale sur ces sujets, je lis votre blog pour combler mes si grandes lacunes. Or sur ce thème depuis quelques semaines je vous trouve aussi imperméable que la nouvelle théologie post vatican 2 de l'homme qui s'est fait Dieu. Vos explications ne sont plus aussi Bibliques et c'est un signe que peut être que le message ne l'est pas non plus. Pourriez-vous reprendre vos explications avec la simplicité et le bon sens du curé d'Ars. Si je vous en fais la demande c'est que je vous en crois ordinairement capable et que vous seriez d'une grande bonté pour les âmes simples ! Tout à vous".
Puis-je transcrire en termes bibliques la question controversée du désir naturel de voir Dieu, dont il est question dans le post qui porte ce titre et dans la Simple réponse à Alain Contat? Il faudrait y arriver. Vais-je y parvenir? Beau défi! J'essaie.
 
Je partirai volontiers du chapitre 3 de l'Ecclésiaste :
"J'ai dit dans mon coeur au sujet des enfants des hommes : Dieu veut leur faire connaître et voir qu'ils sont en eux-mêmes des bêtes. Car le sort des enfant des hommes et le sort des bêtes sont communs aux deux. Telle la mort de l'un, telle la mort de l'autre. Et c'est le même souffle chez les deux. as de supériorité de l'homme sur la bête, car tout est vanité. Les deux vont au même lieu. Les deux viennent de la poussière et retournent à la poussière" (Eccl. 3, 18-20).
Je crois qu'on peut mettre ce texte en parallèle avec le chapitre 3 de l'Evangile de saint Jean :
"En vérité, en vérité, je te le dis, nul s'il ne naît d'en haut [ou, plus conforme au texte : de nouveau] ne peut voir le Royaume de Dieu. Nicodème dit alors : - Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une seconde fois [de nouveau] dans le sein de sa mère et naître ? Jésus répondit : "En vérité je te le dis : nul s'il ne naît de l'eau et de l'esprit [le baptême] ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né de 'esprit est esprit. Ne t'étonne pas que je t'ai dit : Il vous faut naître d'en haut. Le vent [l'Esprit] souffle où il veut et tu entends la voix, mais tu ne sais ni d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il pour quiconque est né de l'Esprit". Nicodème reprit et dit : "Comment cela peut-il se faire ?" Jésus lui répondit : "Tu es docteur en Israël et tu ne connais pas cela ?".(Jean 3, 3-10)
L'homme est tiré de la poussière. Adamah signifie le Terreux. C'est en cela nous dit l'Ecclésiaste qu'il n'est "pas plus" que l'animal, qu'il est "à égalité" avec lui. Les philosophes tentent de démontrer l'immortalité de l'âme. Ils ont du mal à prouver que cette immortalité est personnelle. Et... ce qui est né de la chair est chair... dit le Christ en une sublime tautologie. Pour entrer dans le Royaume des Cieux, il faut renaître. Saint Paul, s'inspirant de l'Ecclésiaste, écrit sublimement : " C'est à la vanité que fut assujetti la création, avec l'espoir seulement" (Rom. 8, 20). L'espoir pour saint Paul, lespérance est une marque, un signe de la prédilection divine. Pas un désir naturel. Seul celui qui est né de l'Esprit désire les biens de l'Esprit. On a beau être Docteur en Israël, si l'on n'est pas né de l'Esprit ou tant que l'on n'est pas rené de lui, on ne comprend pas le monde de l'Esprit !

Voilà pour la problématique générale. Je reste évidemment très sommaire dans cette esquisse anthropologique. A vous de méditer ces textes, et, si vous voulez bien, de les méditer en les prenant ensemble. Il est trop facile de se débarrasser de l'Ecclésiaste qui est un sublime texte sur l'impuissance de l'homme à se tailler un destin dépassant les limites de la temporalité. Saint Paul, avec sa théologie de l'espérance, nous aide à ne pas l'oublier.

Mais l'enfer ? Il en est très souvent question dans l'Evangile. J'ai cité Matthieu 25 : "J'avais faim et vous ne m'avez pas donné à manger. (...)  Allez maudits au feu éternel qui a été préparé pour Satan et pour ses anges". Deux choses paraissent certaines à propos de l'enfer d'après ce texte : l'enfer concerne aussi (et peut-être hélas surtout) des hommes qui ne connaissent pas le Christ, ou en tout cas qui ne connaissent pas sa loi : "Quand est-ce que nous t'avons vu avoir faim ou avoir soif ?" demandent les Maudits. Et en même temps, ce feu éternel correspond à une responsabilité réelle de ceux qui sont condamnés parce qu'ils ont manqué à l'Amour.

Cher Alain P, selon moi, la privation de Dieu que l'on appelle aussi le dam et qui est la principale peine de l'enfer ne vient pas de je ne sais quelle rupture de chacun avec son propre désir naturel de Dieu, comme le pense Alain C. Elle vient de la carence de notre rapport à l'autre (cf. Matth. 25), qui renvoie (mais pas forcément directement et consciemment) à une absence de rapport à Dieu.
 
Obsédés par le miroir, narcissiques à donf, les damnés sont ceux qui n'ont pas su manifester - au moins - la vertu d'attente, car ils n'attendaient qu'eux-mêmes.

Mais cette attente n'est-elle pas le fameux désir naturel de Dieu?
 
Elle n'est pas un instinct... Elle n'est pas non plus je ne sais quelle puissance constitutive de soi. Au contraire ! Cette attente se manifeste en fonction de ce que nous savons de Dieu, à travers une première expérience, que nous avons tous faite : celle du péché, celle de ce bon vieux narcissisme, qui nous porte spontanément à toutes les extrémités de la chair ou de l'esprit.

L'expérience du péché nous donne si nous y résistons le désir de la Justice, qui est forcément, dans la mesure où il est vraiment conscient, un désir de Dieu... Voilà une explication littérale de la Béatitude : "Heureux ceux qui ont faim et soif de justice... parce qu'ils seront rassasiés" (par Dieu, seul juste).
L'expérience du péché peut aussi produire en nous un amour de l'"anomie" (anomia en grec). Nous nous complaisons alors, nous nous reposons dans l'absence de loi (ce que la Bible latine appelle iniquitas, ce que les modernes nomment nihilisme). Dieu est Celui qui, en nous poussant à Le choisir ou à le refuser, nous rend conscient de ce que nous sommes. Et particulièrement le Christ, parce qu'il a été crucifié pour nous, nous force à prendre position. "Sa charité nous presse". "Il éclaire tout homme en venant dans le monde".

Ce qui me sépare des tenants du désir naturel de voir Dieu ? Deux lignes de réflexion différentes.
La première d'abord.
Pour eux ce désir est "naturel" c'est-à-dire que, nativement, initialement, il échappe à la conscience. Son expression consciente demeure donc en soi facultative. Le monde est rempli de chrétiens qui ne savent pas et ne sauront sans doute jamais qu'ils le sont et que sourd de leur coeur un désir qu'ils ne connaissent pas et les sauve.

Pour moi, au contraire, le désir de Dieu est "élicite". Son expression consciente est nécessaire à un moment ou à un autre, ne serait-ce qu'au moment du Jugement particulier, puisqu'il vient de la connaissance que l'on a de Dieu et de la conscience que nous prenons, chacun, de nous-mêmes face à Lui. Ce désir de Dieu est le désir de vérité (Thomas d'Aquin Contra gentes 3, 48-52). Il nous rend conscients de ce que nous sommes vraiment, entre justice et iniquité. Il est avant tout et toujours en nous une Lumière, même si nous pouvons être de ceux qui, alors que "la lumière brille dans les ténèbres, ne l'ont pas reçu", "préférant les ténèbres à la lumière parce que leurs oeuvres étaient mauvaises" (Jean 3, 19).
La seconde ensuite.
Lorsque je réfléchis à ce que je sais de la psychanalyse, en particulier à ce que j'ai compris de Freud et de Lacan, je pense qu'il existe deux schémas du désir.
 
Le désir naturel qui cherche uniquement sa satisfaction : l'appétit, l'instinct sexuel etc. Son but est l'apaisement, le "rien", thanatos. Il se repose dans "la disparition de l'excitation" (Freud).
 
Le désir élicite qui naît de la connaissance qu'il prend de son objet et se repose dans l'objet, devenu pour lui une fin et qu'il apprend donc à... aimer.
 
Le désir de Dieu, dans ce schéma, est évidemment du côté du désir élicite et dans ce que toute la Bible (revenons-y) appelle le coeur. 
 
Les psychanalystes (au moins les lacaniens) sont dans le déni vis-à-vis de ce désir du deuxième type. Ils prétendent ordinairement que l'amour c'est juste... bon pour le transfert. L'amour ? C'est réservé à ton analyste, voyons ! car ta relation avec lui, gouvernée par un logos, est la seule qui ne soit pas impérée par le désir.
 
Mais le déni des psys ne m'empêchera pas d'aimer ailleurs et, par exemple, de me reposer en Dieu par la foi, qui a suscité en moi "un coeur nouveau", ce qui me semble, sur la terre, le terme normal du désir élicite.

Cher Alain P., je sens que je suis à nouveau un peu difficile à suivre. Mais j'espère que les quelques textes que je vous indique pour commencer vous nourriront. Si vous en avez le temps, ouvrez une Bible et lisez-les avec leur contexte. Peu importe la position que vous prendrez dans cette question complexe et technique du désir naturel de voir Dieu, que je prétends rouvrir, quand elle apparaît à beaucoup comme résolue. Mais ce qui importe c'est que cette lecture des textes sacrés vous donne "un coeur intelligent" (I Rois 3, 9) pour "recevoir la révélation des Fils de Dieu" (Rom. 8, 21).

3 commentaires:

  1. Cher abbé merci

    J'avais confiance et vous ne m'avez pas déçu.


    Heureux l’homme qui a son plaisir dans la loi de Yahweh, ... et qui la médite jour et nuit.

    Il est comme un arbre planté près d’un cours d’eau ...: tout ce qu’il fait réussit.

    ...

    Car Yahweh connaît la voie du juste, mais la voie des pécheurs mène à la ruine.

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  2. Peut-être l'expression, "le désir naturel de voir Dieu" n'est pas le plus clair des déclarations. Les yeux désirent naturalmente de connaître leur objet propre, la couleur. L'intellect désire connaître son objet propre "ens". La volonté désire "le bien". C'est parce que nous sommes des êtres rationnels que nous sommes en mesure de déduire (Cependant, la plupart des gens ne peut faire que une déduction partielle [cf Gentils Conta I, 4]) et nous pouvons en arriver à quelque chose que nous appelons Dieu, un absolu, et non pas simplement philosophique, mais existentielle. Ce n'est pas par hasard que les existentialistes souffrent car il n'y a plus aucune absolus en dehors d'eux-mêmes. Dieu des chrétiens n'est pas le dieu que l'on retrouve dans toutes les religions naturelles, mais ce qui est commun, à travers l'histoire et des cultures, et même si Rudolf Otto était un kantien, c'est que l'expérience religieuse est généralement jusqu'à un certain point personnelle, même si elle est vague dans la mesure où elle décrit son objet propre (S.Th. I, 1 ad1), et elle n'en est pas moins "tremendum et fascinans".

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  3. Cher AG2T,
    « …Il disait, voici que le semeur est sorti pour semer. Et comme il semait, des grains sont tombés etc… »
    N’ayant pas votre grande érudition, Monsieur l’Abbé, j’aime revenir aux sources de l’Evangile comme première référence.
    Dans cette bataille désir-naturel contre désir-élicite, il me semble que si l’on prenait en compte d’une manière simple, d’une part, l’état de chute originel et d’autre part, le sauvetage de la Mission du Christ, qu’il n’y aurait pas tant de divergences.
    En effet, Adamah le terreux, premier d’une longue généalogie de cul-terreux, entièrement enlisés dans cette boue de l’ignorance de Dieu et de l’Esprit, n’a certainement plus aucun « désir naturel de Dieu ». Un vague espérance, tout au plus, mais rien qui permet la renaissance dans la vie de l’Esprit, même pour un docteur de la Loi. Plus de désir-naturel, plus de désir-élicite.
    C’est par le Sang du Christ qu’est redonné au monde, le vrai désir de Dieu : « Le semeur est sorti pour semer… »
    Il y a l’idée du Précieux- Sang, comme on le voit bien représenté dans le film « ben-Ur », coulant à flots à travers villes et champs, recouvrant tout sur son passage… Le Semeur a semé dans notre univers entier. Pas un recoin du monde n’y échappe.
    Sa Parole est aussi « semence de Lumière » et celle-ci ne se borne pas à atteindre les oreilles de quelques chanceux. La semence, car étant Esprit, est tombée sur toute la terre et dans les enfers. Tous l’ont entendue, les morts, les vivants ainsi que les générations à venir. La graine a été plantée. A l’état d’embryon certes, mais présente tout de même.
    Le désir de Dieu est semé : Il peut devenir élicite et même naturel.
    Il est remarquable que le premier discours Evangélique soit justement le discours sur la montagne avec comme sujet, les Béatitudes. Ces paroles « crucifient » l’ancien état Adamhique et elles marquent au fer, dans le « pauvre cœur des hommes », le Royaume des Cieux : Les Béatitudes et la Croix, deux moments d’un même Acte ! La Croix est déjà présente dans ces paroles, non explicitement, mais Réellement. C’est cette première Parole publique du Christ, éclairant l’univers de sa Lumière qui peut faire prendre conscience du péché et par voie de conséquence provoquer le désir de Dieu que vous appelez, désir élicite.
    Désir élicite, car il nait et peut à partir de ce moment prendre sa source dans la liberté. C’est un acte libre. Le premier…
    Et, pourtant, une fois mort à lui-même, l’homme ancien peut et doit retrouver ce qu’il a en lui de plus naturel : le désir de Dieu. ( Prologue de Jean)
    Bien que…, la vie en Dieu serait exempte de désirs, même celui de Dieu. On ne désire plus ce qu’on a. On aime.
    Benoîte

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