vendredi 17 août 2012

L'Eglise dans le débat public

Je voudrais citer Benoît XVI dans le Motu proprio La Porte de la foi. Mais je requiers votre attention, parce qu'avec notre cher pape, il faut toujours creuser derrière les mots pour leur donner tout leur sens. D'abord il cite saint Paul : "La foi du coeur obtient la justice et la confession des lèvres le salut" (Romains 10, 10). Puis il commente : "Le coeur indique que le premier acte par lequel on vient par la foi est don de Dieu et action de grâce, qui agit et transforme la personne jusqu'au plus profond d'elle-même". Il emploie le mot coeur dans le sens biblique. Dieu donne à Salomon "un coeur intelligent" (I Sam. 2). Saint Augustin reprend ce terme, où il voit la réalisation de chaque homme dans un amour lucide sur le mal et désireux du bien. C'est ainsi qu'il faut comprendre Pascal : "C'est le coeur qui sent Dieu, non la raison".

Mais Benoît XVI ne s'arrête pas là ; il commente ensuite la deuxième partie de la formule de saint Paul. Je cite : "Par 'la profession des lèvres', il faut entendre que la foi [venant du coeur] implique un témoignage et un engagement publics. Le chrétien ne peut jamais penser que croire est un fait privé".

Voilà bien les chrétiens : éternels empêcheurs de danser en rond. Au lieu de garder leur foi pour eux, dans le secret de leur coeur, il savent qu'ils doivent la professer. Leur foi ne les enferme pas, chacun dans sa singularité, chacune dans son insularité. Non ! Il est dans sa nature qu'elle soit professée de bouche, qu'elle ait un impact public sur ceux qui vivent aux côtés des chrétiens. La foi ne peut pas restée cachée.

Encore faut-il lui donner toute son amplitude. Quel est l'objet de la foi, pris dans toute son ampleur ? Il est triple: Il y a les dogmes qu'enseigne infailliblement l'Eglise depuis toujours (je ne parle pas des blablas réactualisés en permanence et qui valent dans l'instant). Ces dogmes ce sont les balises qui nous évitent de nous perdre sur l'Océan infini de la Divinité.

Il y a les événements de notre propre vie, la Providence de Dieu en action. La foi consiste à prendre conscience de l'action de Dieu dans notre vie et de tout faire pour la relayer. Comme le dit très bien le Père de Caussade, "l'instant est l'ambassadeur de la grâce divine".

Il y a enfin, à l'origine de tout, l'ordre du monde, comme a essayé de le montrer Jean-François Mattei dans le livre qui porte ce titre. "L'esprit a tout ordonné" disait Anaxagore cinq siècle avant Jésus Christ. Ce n'est pas le Hasard majusculaire qui domine le monde (si c'était le cas, il y aurait lieu d'avoir peur). Dans son film Crime et délit, Woody Allen a merveilleusement mis en scène ce choix premier que nous avons à faire d'un point de vue moral entre le monde du Hasard (et de la nécessité disait très bien [Jacques] Monod) et le monde de la foi (et de la liberté ajouterais-je).

Dans Crime et délit, on montre bien que ces deux mondes sont incompatibles. On ne peut pas professer extérieurement la divinité du Hasard et intérieurement affirmer la divinité de l'Esprit.La vie nous contraint à des choix. C'est vrai pour chacun d'entre nous, c'est vrai aussi pour la société qui ne peut pas développer en même temps une culture de vie et une culture de mort. En même temps le nihilisme dans tous ses états et la foi en l'ordre du monde.

C'est parce qu'elle a posé ce dilemme entre culture de vie et culture de mort, entre liberté et nécessité, entre calcul et foi, que l'Eglise intervient dans le débat public. Il est de plus en plus apparent aujourd'hui que les problèmes sociétaux débouchent sur des questions morales qui n'ont de solution que spirituelles.

Mais ce dilemme, c'est avec beaucoup de tact que l'Eglise l'a posé, en offrant à Dieu et en mettant dans les mains de tous la prière pour les familles.

Sur Radio Courtoisie, on a demandé à ceux qui participaient à l'émission de ce soir si il n'avaient pas l'impression que cette prière est de l'eau tiède. Réponse : non. Pour quatre raisons : elle englobe immédiatement les politiques, responsables en conscience de leur vote pour une nouvelle législation ; elle intervient avant le débat et force ceux qui vont y entrer à se définir par rapport à elle ; elle est positive avant tout comme est l'Eglise dans ce débat ; enfin elle est une prière et non un simple communiqué d'agence.

Elle s'adresse au Seigneur et elle voudrait être reçue par tous ceux qui, pour reprendre le mot testamentaire de François Mitterrand, "croient aux forces de l'Esprit". A ce stade, ce n'est pas de l'oecuménisme inefficace, c'est une manière décomplexée d'être catholique, c'est-à-dire universel.

8 commentaires:

  1. jean-louis frot17 août 2012 à 09:33

    ce n'est pas Jérôme Monod mais Jacques Monod, le biologiste.

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  2. le biologiste n'est pas Jérôme Monod mais Jacques Monod. Je ne sais pas si l'un vaut plus cher que l'autre...

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  3. Je sens plus que jamais le devoir d’indiquer le Concile comme la grande grâce dont l’Église a bénéficié au vingtième siècle : il nous offre une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du siècle qui commence » [9]. Moi aussi j’entends redire avec force tout ce que j’ai eu à dire à propos du Concile quelques mois après mon élection comme Successeur de Pierre : « Si nous le lisons et le recevons guidés par une juste herméneutique, il peut être et devenir toujours davantage une grande force pour le renouveau, toujours nécessaire, de l’Église » [10].
    Motu proprio du 11 oct.2011.
    Sans commentares.......

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  4. Merci de votre lucide intervention

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  5. Jacques Monod plutôt que Jérôme Monod. Mais je ne sais pas ce que ce biologiste athée vient faire dans ce contexte....

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  6. Vous rendez hommage à la prière demandée par Mgr Vingt-trois... mais vous ne l'avez pas dite au centre Saint-Paul. Elle vous intéresse en tant qu'acte politique, mais pas en tant que prière. Serait-ce donc, M. l'abbé, que vous croyez à l'activisme mais pas à la prière ? ;)

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  7. Selon moi, c'est votre quatrième raison pour laquelle cette "prière pour les familles" n'est pas un robinet d'eau tiède qui pose problème:

    "Enfin elle est une prière et non un simple communiqué d'agence"."

    Une prière, oui, mais une prière ne fait pas tant de bruit, je ne sais pas dans quelles conditions, fuite ou initiative de la Conférence episcopale de france, elle a été diffusée aux médias. J'eusse préféré en tous cas qu'une distinction eût existé entre le message politique des évêques s'élevant contre le mariage gay destiné à nos nouveaux gouvernants, et la recommandation faite au clergé de prier sur ce thème, sans texte normatif, et cela le Jour de l'Assomption, au risque de ramener très bas le Mystère de l'Assomption fêtée en ce 15 août. Quand je dis "très bas", j'entends: des Mystères de la gloire céleste aux avanies de contingences un rien sélectives. Parce qu'en matière de contingences, l'infantilisation de la france au sein de la paupérisation des peuples n'a rien à envier, même s'il s'y inscrit, au mariage homosexuel. Autrement dit, pourquoi ramener l'Eglise à son "obsession sexuelle" plutôt qu'à une critique globale du système, incluant éventuellement ces dérives sexuelles? De plus, cette prière s'opposait plus directement à l'adoption par les couples homosexuels, dont il a déjà été dit ici qu'elle était déjà possible au moyen de l'adoption par des personnes célibataires, et l'Eglise ne s'est jamais faite le fer de lance de la défense de l'adoption des enfants abandonnés... de France et pas seulement du bout du monde. Y a-t-il un scandale à dire que l'adoption internationale n'est pas seulement une bonne chose ni un grand acte de charité de la part des familles qui y consentent?

    Cette "prière pour les familles" était incongruë. Ou bien il aurait fallu également rappeler le voeu de Louis XIII et le relire dans les paroisses, ce qui aurait justifié une "prière pour la france" le jour de l'Assomption.

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  8. Maurras a écrit sur "les Monod" : pas très flatteur! Jérôme a dû être cet ami de Chirac, éphémère politicard. Pour réussir chez les Monod, il faut être protestant... ou athée. Il y a une poignée de Monod catholiques : honneur à eux. Le plus sympa de la bande avec eux a été Théodore Monod, sorte de vieux routard anthropologue.

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