samedi 11 septembre 2010

Ce que Houellebecq ne nous avait jamais dit

Article repris de Minute du 8 septembre 2010

Le personnage irrite. Il accumule les procès. Chacun prophétise sa mort artistique. Mais chaque livre de lui est un événement. Au fil du temps, Michel Houellebecq s’affirme comme un incontournable de notre littérature. Il marque son territoire.

J’en parlais encore dimanche soir avec un ami, qui me dit dédaigneusement: Houellebecq? Un géographe, un sociologue, mais pas un homme de lettres. Pas un romancier. Je ne sais pas ce que c’est qu’un homme de lettres. Mais je crois savoir ce que l’on peut attendre aujourd’hui d’un romancier. Le roman est cette forme littéraire, la plus souple qui soit, à travers laquelle, en racontant une histoire, on se met en quête de vérité. Le style? Balzac n’en avait pas plus que Houellebecq. La construction? Il n’y a dans ce domaine que des figures libres. La psychologie? Certains s’y attardent mais ce n’est pas l’objet du roman. La réalité? Elle peut être copiée, rêvée ou fantasmée. Peu importe! Le roman raconte une crise et propose un dénouement: voilà l’essentiel. Eh bien! La crise que conte Houellebecq, c’est à la fois celle de l’homme éternel, de l’homme toujours semblable à lui-même, toujours en proie à la vieillesse et à la mort, l’homme qui ne sait pas quoi faire de son désir quand il est là et qui ne sait à quel saint se vouer lorsqu’il s’affaiblit. Mais, dans La Carte et le Territoire, c’est aussi la crise de l’homme d’aujourd’hui, le migrant ou l’autochtone, qui cherche à habiter une terre, non seulement en la transformant profondément comme on l’a cru jusqu’au milieu des années 1970, mais en apprenant à la respecter, à découvrir son harmonie, à conclure avec elle une alliance féconde.

On a connu un Houellebecq pessimiste, faisant du sexe le signe avant-coureur de la pulsion de mort, dans Les Particules élémentaires ou dans Plateforme. On a découvert un Houellebecq résistant et répétant: « Il existe, au milieu du temps, la possibilité d’une île ». S’est-il converti? Le Houellebecq nouveau est étonnamment optimiste. Même en matière sexuelle: « Les gens ont besoin d’optimisme sexuel à un point incroyable », note-t-il quelque part sans se moquer. On a même l’impression ici ou là qu’il croit à l’amour désormais: « L’amour… L’amour, c’est rare, on ne vous l’avait jamais dit? » Non, Houellebecq ne nous l’avait jamais dit, lui qui s’amusait à choquer le bourgeois en faisant du chien le seul objet d’amour accessible à l’homme.
Houellebecq se raconte deux fois
Je ne veux pas dire que vous ne trouverez pas trace du Houellebecq éructant son mal-être, en en faisant pour l’humanité un destin unique. Mais quelque chose a changé avec La Carte et le Territoire. Ne serait-ce que parce que l’auteur nous annonce, à nous Français, un bonheur à portée de la main. Moi qui suis un incurable optimiste, je vous proposerai volontiers les trois prophéties qui constitueront ce bonheur entrevu comme possible. Première prophétie de Houellebecq: le dépeuple ment des campagnes aura une fin. Deuxième prophétie de Houellebecq: l’immigration aura une fin: celle du système des aides sociales. Troisième prophétie de Houellebecq: la France, riche de son agriculture et de ses terroirs, ne connaîtra jamais de crise et deviendra toujours davantage une destination pour le tourisme mondial.

Comment expliquer ce nouvel optimisme? La place me manque pour vous raconter ce livre, dans lequel Houellebecq se raconte deux fois, une première fois sous les traits de Jed Martin, photographe et pein tre dont les oeuvres vont atteindre une cote formidable, et qui s’en sert pour acheter un vaste domaine dans la Creuse, en nous rejouant La Possibilité d’une île. Il y a un deuxième personnage qui fait irrésistiblement penser à Houellebecq dans La Carte et le Territoire, c’est… Houellebecq lui-même.

L’auteur se met en scène. Il met en scène sa propre mort. Est-ce l’image d’une conversion? Peut-on dire que Houellebecq, avec ce dernier roman, est à la fois vivant, mort et ressuscité… Allez savoir. Sur ce point délicat, on en est réduit à la rumeur: « On avait appris [post mortem évidemment] et cela avait été une surprise pour tous, que l’auteur des Particules élémentaires, qui avait sa vie durant affiché un athéisme intransigeant, s’était fait très discrètement baptisé dans une église de Courtenay six mois auparavant. » Si non e vero
On a beaucoup accusé Michel Houellebecq de simplisme, voire de schématisme ou d’unilatéralisme. Dans ce livre il s’amuse à se montrer au lecteur sous différentes facettes, qui sont sans doute comme autant de destins possibles entre lesquels il se veut en état d’hésitation.

Joël Prieur


Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, éd. Flammarion, 430 pp., 27 eurosport compris. Commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.

4 commentaires:

  1. Houellebecq serait un excellent écrivain s'il éliminait le sexe de ses romans; franchement, il est très visionnaire dans son regard sur la société humaine et son évolution future (eg l'individualisation à outrance enfermant l'homme devant son écran comme seul et unique moyen de contact avec d'autres + les hordes barbares au stade de l'homme préhistorique survivant dehors, hors la civilisation des individus isolés - ceux du devant les écrans - dans "La possibilité d'une île"; idem pour d'autres romans, toujours une idée pertinente, voire plusieurs), mais cette obsession d'entrelacer le tout de sa vision du sexe, très voyeuriste et exhibitionniste en même temps, gâche TOUT.

    Car on s'en fiche de ce que les autres vivent dans le domaine, on n'a pas envie de les observer à traver les lignes, les épier, les guetter, s'en repaître comme les fameux "peeping Toms" des anglo-saxons (des simplets qui s'adonnent au voyeurisme sur la voie publique...ou privée). On a notre propre vie sexuelle et ce que les autres font dans leur intimité ne nous intéresse franchement pas.

    J'hésite de lire son nouveau roman, pour ne pas subir encore une fois toute cette laideur se déversant sur le lecteur, brr, argh... !!
    Rien contre les joies du corps , au contraire, c'est bien pour cela que je pense que l'on est suffisamment bien dans le domaine avec la personne qui partage notre propre intimité, aucun besoin d'envahir ni s'immerger, se noyer dans celle des autres.
    Rien à voir avec la pruderie ou la chasteté obsessionnelle des célibataires vertueux, qui sont finalement plus proches de la vision de Houellebecq de la sexualité.

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  2. Vos commentaires, cher Anonyme de 19h14, sur Houellebecq dont je n'ai rien lu ou presque mais qui m'apparait comme l'un des meilleurs romanciers de sa génération, mintéressent beaucoup: je les fais miens en ce qui concerne un garçon irrésistible d'intelligence et de culture qui est Phillipe Sollers, que je connais un peu mieux mais dont les textes sont truffés de trucs sur....le sexe. C'est très bien écrit, souvent très drôle et bien vu, à un moment ça devient TROP et finit malheureusement par gâcher un peu le reste. Son bouquin sur la Beauté en Art (je suis sûr qu'il est pour Murakami à Versailles, ce coquin), reste quand même une mine inépuisable de réflexions sur le sujet.
    Je vais me mettre à Houellebecq, qui semble d'un incroyable talent littéraire, vraies originalité et personnalité, quand même.

    P.S. De même, j'ai beaucoup aimé les livres de Jacques de Bourbon-Busset, à une époque mais je m'en étais lassé...toujours le côté ronronnant autour de son "Lion", certes une splendide saga avec son épouse Laurence mais c'est vrai que le côté répétitif nuit parfois à l'ensemble. En ce qui le concerne, sur un mode d'une très grande élégance morale, pas l'ombre d'une gaudriole sollersienne ou houellebecquienne !!!

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  3. A Thierry de l'anonyme 19h14 : d'accord sur Sollers, son "Vivan Denon" par exemple c'est dans le genre de ce que vous dites. Mais Houellebecq va nettement plus loin dans l'obscène et l'immonde, c'est comme une frustration non rattrapable d'un gamin qui a vieilli et qui sait qu'il ne vivra plus rien de tout cela, sauf éventuellement à coup de gros argent, ce qui est sans intérêt.
    Mais lisez "La possibilité d'une île" ou la "Plateforme",voire les "particules", en enlevez le 9/10mes et le 1/10è sera incomparable.

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  4. Moi aussi j'ai été très gêné par l'omniprésence du sexe dans les romans de Houellebecq, mais j'ai fini par comprendre que c'était un ressort indispensable de son oeuvre qui dénonce notre époque érotisée à outrance, de misère amoureuse et sexuelle.

    J'ai d'abord cru que c'était du raccolage mais on ne peut comprendre notre époque sans insister sur cette omniprésence de la pornographie et de la pression sexuelle.

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