Article repris de Minute du 1er septembre 2010
Laurent Gaudé a eu le prix Goncourt pour Sous le soleil des Scorta en 2004. Tous les deux ans à peu près, il remet ça, avec un nouveau roman où le lyrisme est toujours au rendez-vous.
Nous sommes à la Nouvelle-Orléans. Un typhon arrive. Tout le monde va tout perdre et chacun se retrouvera avec ce qui résiste à l’ouragan, avec ce que l’on conserve envers et contre tout, avec ce que l’on emporte jusque dans la mort: sa fidélité. L’exergue, citation de cet admirable écrivain qu’est le Hongrois Sandor Maraï, indique clairement le propos du livre: « Lorsque tout est achevé, on répond avec l’ensemble de sa vie aux questions que le monde vous a posées. Les questions auxquelles il faut répondre sont: Qui es-tu? Qu’as-tu fait? A qui es-tu resté fidèle? » Dans l’éternel dilemme entre être et avoir, Laurent Gaudé choisit l’être.
Chacun des héros de ce livre représente une forme de fidélité, exacerbée par la tempête et par l’atmosphère de fin du monde, où l’eau des digues qui s’effondrent remplacerait le feu promis aux damnés. Il y a des fidélités épouvantables, celle des bandits échappés du bagne, qui, s’étant rendus à l’armurerie abandonnée, ont tout ce qu’il faut et tuent… pour tuer. Ne sont-ils pas fidèles à eux-mêmes ainsi? Il y a le révérend aumônier de la prison, qui est devenu complètement fou après avoir vu monter les alligators dans les rues de la ville et qui, désormais, veut tuer comme Dieu tue et participer à la purification de la vil le. Un cas clinique de fanatisme humanitaire! Il y a la vieille Négresse Joséphine, fidèle à sa négritude, envers et contre tous, « sac d’os » hors d’usage, qui ne peut pas s’empêcher de rester en vie: c’est comme ça. Et puis il y a les amants qui se retrouvent à la faveur de l’ouragan…
Mais ne déflorons pas cette jolie fable sur la condition humaine, ce petit traité de la nécessité des ouragans… Retenons simplement cette confidence dans un claque. « Une fille aux seins lourds » livre son secret à Keanu Burns, le héros théâtral de cette histoire de vérité: il y a, lui dit-elle, « quelque chose que tu ne peux pas imaginer, et ça me rend forte et belle, parce que tu ne pourras jamais l’atteindre ». Elle continue à parler et c’est comme une révélation pour lui, il est stupéfait et boit ses paroles, « “tu comprends, une chose à laquelle je suis fidèle et ça t’efface, ça efface chacun d’entre vous, et le whisky, et les clopes aussi, parce que c’est en moi et que je le tiens là“. Et elle tape sur son coeur et il se met à rire ».
La fidélité qu’évoque Laurent Gaudé est horrible quand elle est simplement une fidélité à soi et à son image; fidélité des bagnards, fi délité du révérend: les deux extrêmes se touchent dans la même folie. Mais les gens ordinaires, qui ne se prennent pas pour ce qu’ils ne sont pas, ont des fidélités qui les dépassent, fidélité cachée au fond du coeur, qui, les sortant d’eux-mêmes, d’une manière ou d’une autre les sauve.
Il faut reconnaître que pour un homme comme Laurent Gaudé, qui fait profession de n’avoir aucune religion, sa manière d’évoquer une moderne descente aux enfers dans son roman précédent, La Porte des enfers (2008), avait paru… pour le moins étrange. Cette fois, cette histoire d’ouragan et de simulation pour de vrai d’une fin du monde doit avoir quelque chose de franchement agaçant pour la bien-pensance matérialiste et consumériste. Mais qu’importe! N’hésitons pas à le suivre. Même s’il ne sait sans doute pas lui-même où il nous mène, son périple littéraire est certainement l’un des plus vrais que puisse nous offrir la littérature française actuelle.
Joël Prieur
Laurent Gaudé, Ouragan, éd. Actes sud, 192 pp., 23 euros port compris. Commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.
Laurent Gaudé a eu le prix Goncourt pour Sous le soleil des Scorta en 2004. Tous les deux ans à peu près, il remet ça, avec un nouveau roman où le lyrisme est toujours au rendez-vous.
Nous sommes à la Nouvelle-Orléans. Un typhon arrive. Tout le monde va tout perdre et chacun se retrouvera avec ce qui résiste à l’ouragan, avec ce que l’on conserve envers et contre tout, avec ce que l’on emporte jusque dans la mort: sa fidélité. L’exergue, citation de cet admirable écrivain qu’est le Hongrois Sandor Maraï, indique clairement le propos du livre: « Lorsque tout est achevé, on répond avec l’ensemble de sa vie aux questions que le monde vous a posées. Les questions auxquelles il faut répondre sont: Qui es-tu? Qu’as-tu fait? A qui es-tu resté fidèle? » Dans l’éternel dilemme entre être et avoir, Laurent Gaudé choisit l’être.
Chacun des héros de ce livre représente une forme de fidélité, exacerbée par la tempête et par l’atmosphère de fin du monde, où l’eau des digues qui s’effondrent remplacerait le feu promis aux damnés. Il y a des fidélités épouvantables, celle des bandits échappés du bagne, qui, s’étant rendus à l’armurerie abandonnée, ont tout ce qu’il faut et tuent… pour tuer. Ne sont-ils pas fidèles à eux-mêmes ainsi? Il y a le révérend aumônier de la prison, qui est devenu complètement fou après avoir vu monter les alligators dans les rues de la ville et qui, désormais, veut tuer comme Dieu tue et participer à la purification de la vil le. Un cas clinique de fanatisme humanitaire! Il y a la vieille Négresse Joséphine, fidèle à sa négritude, envers et contre tous, « sac d’os » hors d’usage, qui ne peut pas s’empêcher de rester en vie: c’est comme ça. Et puis il y a les amants qui se retrouvent à la faveur de l’ouragan…
Mais ne déflorons pas cette jolie fable sur la condition humaine, ce petit traité de la nécessité des ouragans… Retenons simplement cette confidence dans un claque. « Une fille aux seins lourds » livre son secret à Keanu Burns, le héros théâtral de cette histoire de vérité: il y a, lui dit-elle, « quelque chose que tu ne peux pas imaginer, et ça me rend forte et belle, parce que tu ne pourras jamais l’atteindre ». Elle continue à parler et c’est comme une révélation pour lui, il est stupéfait et boit ses paroles, « “tu comprends, une chose à laquelle je suis fidèle et ça t’efface, ça efface chacun d’entre vous, et le whisky, et les clopes aussi, parce que c’est en moi et que je le tiens là“. Et elle tape sur son coeur et il se met à rire ».
La fidélité qu’évoque Laurent Gaudé est horrible quand elle est simplement une fidélité à soi et à son image; fidélité des bagnards, fi délité du révérend: les deux extrêmes se touchent dans la même folie. Mais les gens ordinaires, qui ne se prennent pas pour ce qu’ils ne sont pas, ont des fidélités qui les dépassent, fidélité cachée au fond du coeur, qui, les sortant d’eux-mêmes, d’une manière ou d’une autre les sauve.
Il faut reconnaître que pour un homme comme Laurent Gaudé, qui fait profession de n’avoir aucune religion, sa manière d’évoquer une moderne descente aux enfers dans son roman précédent, La Porte des enfers (2008), avait paru… pour le moins étrange. Cette fois, cette histoire d’ouragan et de simulation pour de vrai d’une fin du monde doit avoir quelque chose de franchement agaçant pour la bien-pensance matérialiste et consumériste. Mais qu’importe! N’hésitons pas à le suivre. Même s’il ne sait sans doute pas lui-même où il nous mène, son périple littéraire est certainement l’un des plus vrais que puisse nous offrir la littérature française actuelle.
Joël Prieur
Laurent Gaudé, Ouragan, éd. Actes sud, 192 pp., 23 euros port compris. Commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris.
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