Félix Ravaisson, philosophe français né en 1813 et mort en 1900, qui touche en même temps à Balzac, qu'il a fréquenté et à Bergson dont il a été le maître, est un personnage que l'on n'a pas assez écouté.Il représente ce me semble au seuil du XIXème siècle la tradition philosophique vivante, touchant à la fois à Aristote dont il a longuement commenté la Métaphysique, et à Schelling dont il se dit le disciple et qu'il est allé voir en Allemagne. Si l'idée de philosophia perennis a un sens et si l'idée d'un progrès de la réflexion philosophique et d'une vérité de la philosophie a un sens, il me semble que c'est dans son texte, toujours dense, à la fois infiniment respectueux des articulations classiques de la pensée et extraordinairement audacieux dans les analogies intellectuelles qu'il met en place, qu'il faut aller chercher ce sens. A l'instigation de Maxence Caron, les éditions du Cerf viennent de rééditer son travail sur Aristote. Mais tout le monde n'a pas le temps de se plonger dans l'exégèse minutieuse qu'il a donnée d'un des textes cardinaux de l'histoire de la Pensée humaine. On peut aussi se procurer son Testament philosophique, un petit volume publié chez Allia en 2008, et qui, lu attentivement, peut encore provoquer aujourd'hui des vocations philosophiques. Dans ce texte, pas de jargon. Un style clair. Des mots dont on devine qu'ils ont été pesés et soupesés, pour composer un message décisif. il ne faut pas chercher à lire trop vite. Seulement savourer. Votre esprit est spontanément chez lui chez Ravaisson. C'est toute la force de son classicissisme et sans doute le résultat de son invocation initiale (p. 13) et de sa recommandation finale (p. 117) au grand Bossuet : Ravaisson parvient à être consensuel sans être éclectique (il détestait la tambouille approximative de Victor Cousin).
Bossuet a réalisé le tour de force d'être à la fois thomiste et cartésien (sans ménager pour autant certains disciples de Descartes dont le rationalisme lui semblait excessif, même s'il s'agissait d'hommes d'Eglise, que ce soit Malebranche ou Fénelon). Je dirais que Ravaisson unit dans un même acte intellectuel Aristote, le Christ johannique, Descartes, Bossuet, Leibniz et Schelling. Et tout cela sans l'ombre de cet éclectisme dont il a dénoncé le caractère hétéroclite et le repli sur les acquis de la culture au détriment de l'élan de la pensée. Ajoutons, last but not least, l'extraordinaire humanité de sa pensée, perceptible dans la conclusion de son Testament philosophique.
Voici son... dernier mot : "Les héros disait le vieil Hésiode, veillent au salut des mortels. C'est une idée qui a pris sa place parmi les espérances chrétiennes. Détachement de Dieu, retour à Dieu, clôture du grand cercle cosmique, restitution de l'universel équilibre, telle est l'histoire du monde. La philosophie héroïque ne construit pas le monde avec des unités mathématiques et logiques, et finalement des abstractions détachées des réalités de l'Entendement ; elle atteint par le coeur, la vive réalité vivante, âme mouvante, esprit de feu et de lumière".
Philosophie héroïque, c'est le nom que revendique pour elle, sans fausse modestie, cette synthèse puissante. Si vous cherchez une belle initiation à la philosophie, procurez-vous ce Testament philosophique, qui aurait pu s'appeler, comme un autre texte de la même époque : J'entre dans la vie.
Bossuet a réalisé le tour de force d'être à la fois thomiste et cartésien (sans ménager pour autant certains disciples de Descartes dont le rationalisme lui semblait excessif, même s'il s'agissait d'hommes d'Eglise, que ce soit Malebranche ou Fénelon). Je dirais que Ravaisson unit dans un même acte intellectuel Aristote, le Christ johannique, Descartes, Bossuet, Leibniz et Schelling. Et tout cela sans l'ombre de cet éclectisme dont il a dénoncé le caractère hétéroclite et le repli sur les acquis de la culture au détriment de l'élan de la pensée. Ajoutons, last but not least, l'extraordinaire humanité de sa pensée, perceptible dans la conclusion de son Testament philosophique.
Voici son... dernier mot : "Les héros disait le vieil Hésiode, veillent au salut des mortels. C'est une idée qui a pris sa place parmi les espérances chrétiennes. Détachement de Dieu, retour à Dieu, clôture du grand cercle cosmique, restitution de l'universel équilibre, telle est l'histoire du monde. La philosophie héroïque ne construit pas le monde avec des unités mathématiques et logiques, et finalement des abstractions détachées des réalités de l'Entendement ; elle atteint par le coeur, la vive réalité vivante, âme mouvante, esprit de feu et de lumière".
Philosophie héroïque, c'est le nom que revendique pour elle, sans fausse modestie, cette synthèse puissante. Si vous cherchez une belle initiation à la philosophie, procurez-vous ce Testament philosophique, qui aurait pu s'appeler, comme un autre texte de la même époque : J'entre dans la vie.
Aïe! Je vois que personne n'a osé s'attaquer à Ravaisson et à Bossuet, pendant le week-end, comme on dit sur....RC! Ben, c'est pas moi qui vais le faire: là cher Père GdT, nous vous regardons d'en-bas, faire les exercices de haute-voltige, que vous nous offrez si généreusement, même si nous avons un peu de mal à vous suivre, mais avec quel plaisir d'apprendre de vous.
RépondreSupprimerUn merci tout particulier pour ce billet sur Félix Ravaisson, dont je n'avais strictement jamais entendu parler, ni même lu son nom, c'est passionnant et la photo très intéressante, il devait être un vrai personnage, que vous avez tiré de l'oubli, pour nous.
Monsieur l'Abbé connaitrait-il le commentaire que fit Ravaisson sur la Métaphysique d'Aristote? J'aimerais bien le lire. Merci
RépondreSupprimerCher FGSA, sachez que le commentaire que fit Ravaisson de La Métaphysique d'Aristote a été réédité sous ce titre par les éditions du Cerf. On peut aussi se procurer son rapport sur la philosophie italienne, dans la collection Corpus chez Fayard.
RépondreSupprimerMerci beaucoup Monsieur l'Abbé- en fait, n'ayant point fait d'études philosophiques (académiques)je cherche un point de départ pour étudier la Métaphysique du Stagyrite. Je me sers d'un vieux manuel de Métaphysique Générale par un certain Père Rickaby, jésuite anglais (fin 19ème siècle) qui est bien loin de me satisfaire en termes de progrès concrets dans la matière. Encore merci.
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