lundi 7 juin 2010

Une Eglise qui doute d'elle-même...

C'est une véritable souffrance de lire l'entretien (voir ici le récent post du webmestre) que Mgr Dominique Lebrun a donné à l'hebdomadaire Témoignage chrétien, qui conclut ainsi l'année du sacerdoce (clôture officielle le 19 juin). Souffrance et non indignation. On sent que cet évêque est sincère. On devine quels sont les terribles problèmes auxquels il doit faire face. Mais comment est-il possible que l''évêque prenne sur lui la responsabilité de redéfinir la mission de l'Eglise, au lieu de se contenter de la réguler, avec tous les moyens dont il peut disposer ?

Comment se fait-il que - volens nolens, qu'il en ait conscience ou non - il touche aux finalités mêmes de l'Eglise, au lieu de présider à son fonctionnement dans le diocèse qui lui est imparti ? Il prend une responsabilité qu'il n'a pas sur la nature même du service de l'Eglise et il ne prend pas la seule responsabilité qui lui revient de droit : celle du succès ou de l'échec des mesures prises pour le bon fonctionnement de l'Eglise telle qu'elle est.

Mais voici ce qu'il dit sous le titre entre guillemets : "Oublions le mot paroisse". "Je crois, déclare-t-il, que nous devons amplifier nos propositions catéchuménales, mais diminuer notre offre sacramentelle". Et de préciser : "A la Pentecôte, j'ai fait un rassemblement diocésain sans eucharistie". on sait comment se passent désormais ces "rassemblements diocésains". On supprime les messes à des km à la ronde et on oblige les gens à venir assister à la messe de l'évêque. Petite précision : pour la Pentecôte, pour la fête du Saint Esprit qui rend présent le Christ dans l'eucharistie... il n'y a pas d'eucharistie. Pas de messe. Simplement une proposition catéchuménale amplifiée.

Si les choses ont un sens, cela signifie que l'évêque préfère faire passer sa parole avant la présence réelle dans l'eucharistie. Et pourtant quelle meilleure manière d'évangéliser que de donner l'eucharistie ? "Je préfère faire ainsi que célébrer devant des gens qui n'y sont pas prêts". Pas prêts à l'eucharistie, les pratiquants du diocèse de Saint-Etienne ? C'est possible. Mais alors cela demande un sérieux examen de conscience de la part de leur évêque. Si la messe n'apporte plus rien aux gens, on doit se demander comment elle est célébrée. Le problème regarde les prêtres qui sont responsables de l'eucharistie et non pas les laïcs, auxquels elle est due, quelles que soient les préférences personnelles de tel ou tel.

L'Eglise telle que la rêve Mgr Lebrun est une Eglise qui s'est profondément réformée elle-même. Une Eglise qui a fait son deuil de... la messe, en dehors des grandes circonstances bien entendu. Même les ADAP (Assemblées dominicales en l'absence de prêtres) sont encore trop proches de la vieille messe : "Les ADAP ont échoué dans leur forme, déclare Mgr Lebrun. Les intuitions étaient justes, mais ces cérémonies étaient trop calquées sur la messe". Raison de cet échec. C'est Sylvain Brison qui la donne dans le dossier de témoignage Chrétien, qu'il faut se procurer intégralement : "elles peuvent induire une confusion, un sentiment de consommation". On doit redouter l'ADAP [avec distribution de la communion] parce qu'elle "chosifie l'eucharistie".

Mgr Lebrun "ne veut plus de carcan" explique doctement TC. Il pense que la réforme de l'Eglise se passera "facilement" et qu’un autre modèle d’Eglise naitra sans heurts : "Nous vivons sur le modèle paroissial depuis le concile de Trente, c'est inscrit dans les gènes. Nous en sommes à la deuxième ou troisième réforme : du latin au français, du prêtre aux laïcs. Le nouveau changement fera moins de problème".

Moins de problème ? Certes on a toutes les raisons pour qu'il n'y ait plus de prêtres dans les paroisses et que des laïcs, reconnus par l’évêque, tiennent les communautés. Contra factum non fit argumentum. « Cela fera moins de problème », peut-être, sur le terrain. Mais pour l'Eglise, ce sera simplement un changement de nature. Pour reprendre l'analogie de proportionnalité induite par Mgr Lebrun, s'il reste autant de prêtre après le deuxième changement qu'il est resté de latin après le premier, on ne reconnaîtra pas le visage de l'Eglise. Ce sera... une autre Eglise, si cela continue à être seulement quelque chose.

Car la première Eglise, l’Eglise des prêtres, est divine dans sa constitution. La seconde, cette Eglise où les prêtres seront très peu nombreux et où les messes seront rares, est pour l'instant un rêve de Mgr Lebrun... Rêve humain trop humain...

Et surtout rêve trop « clérical ». Quand on y réfléchit, le dilemme qui est posé entre une offre plus sacramentelle et une offre plus catéchuménale est le choix qui se pose entre une Eglise qui donne libéralement le surnaturel divin par le moyen de cet instrument du Christ qui est le prêtre et une Eglise de « clercs » (même si ce sont des « clercs » laïcs), une Eglise de parleurs, qui n’ont rien à donner que leurs propres paroles ou leurs interprétations à n’en plus finir de la parole de Dieu et qui risquent fort à l’usage de faire écran entre le Christ et la piétaille des fidèles que nous sommes.

Que d’hommes ! Que d’hommes entre Dieu et moi soupirait Jean Jacques, le Vicaire savoyard. En tant que protestant, on comprend qu’il ait eu à passer par quantité d’ »enseignants de la parole » qui devaient lui paraître plus ou moins stimulant. L’Eglise catholique, elle, ne propose pas seulement la parole et le torrent des docteurs, plus ou moins auto-proclamés, qui l’interprètent. Elle propose le silence d’une Présence. Elle propose l’accès immédiat et personnel de chacun à la présence de Dieu. Et cette présence, au moins dans le rite traditionnel, elle ne cherche pas d’abord à l’expliquer par d’interminables commentaires. Elle la manifeste en la rendant sensible par la beauté et par les gestes, en conduisant chacun à son propre sanctuaire intérieur, depuis lequel il offre, avec le Christ, le sacrifice parfait.

Faut-il « préparer » les gens à la messe ? A la messe selon le rite rénové, sans doute, parce qu’elle a été largement dé-ritualisée par les réformateurs. Mais j’ai expérimenté des centaines de fois en 20 ans de sacerdoce, le choc que représente, même dans des locaux modestes comme ceux du Centre Saint Paul, petite communauté de base traditionaliste au cœur de Paris, la manifestation de Dieu dans la liturgie traditionnelle. Je l’ai vu en particulier en Afrique, pendant mes deux premières années de ministère. Et je crois que, dans les banlieues, cette liturgie, à la fois démonstrative et silencieuse, aurait un véritable impact.

L’échec que décrit Mgr Lebrun est certainement très réel. Loin de moi l’idée de mettre en doute les belles intentions du Pasteur. Mais il représente avant tout me semble-t-il, l’échec d’une liturgie qui ne se porte pas par elle-même, dans laquelle il faut tout expliquer et qui se présente elle-même non comme un acte sacré, mais comme une longue explication, toujours différente d’ailleurs d’une prière eucharistique à une autre, et finalement lassante.

Le dossier sur le sacerdoce dans TC, dossier auquel participe Mgr Lebrun à plusieurs reprises, évoque le « carcan eucharistique » dont l’Eglise serait prisonnière. Je comprends de quel carcan il s’agit – celui d’une liturgie trop explicative et pas assez démonstrative.

N’est-ce pas là le vrai problème ? Dimanche soir (Fête Dieu), je suis passé devant Saint-Leu Saint Gilles : une église comble, de gens à genoux devant le Saint Sacrement exposé. La Présence muette de Notre Grand Dieu et sauveur Jésus Christ valait toutes les offres catéchuménales du monde !

8 commentaires:

  1. Merci monsieur l'abbé pour cette belle admonestation fraternelle... qui est en même temps une belle réponse à tous ceux qui prétendent que l'abbé de Tanoüarn aurait changé.

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  2. La conclusion est sans doute juste, cette forme liturgique est inadaptée, ou plutôt, la façon dont elle est célébrée est inadaptée... j'ai assisté à une messe en rit extra par un prêtre qui improvisait et j'ai failli éclater de rire lorsqu'il a dit 'Ite missa est' avec le ton qu'il prenait habituellement pour dire 'passez un bon dimanche' ! C'était ridicule et cela prouve que la disposition du célébrant peut tout faire ! Mais aussi la disposition des fidèles : ils sont souvent tellement déchristianisés qu'il faut leur expliquer point par point le déroulement de la cérémonie et je pense que si les catholiques d'avant le concile avaient mieux maîtrisé les étapes de la messe et leur signification profonde, ils auraient sans doute moins facilement accepté les changements liturgiques...
    Une grosse erreur dans votre propos : la cérémonie sans messe de Pentecôte avait lieu le samedi soir avec une "célébration de la parole" à 17 H. Le lendemain, messe de confirmation de l'évêque à la cathédrale... Cela change un peu le fond du procès que vous intentez à Mgr Lebrun, dont il faut préciser que la sollicitude dont vous l'entourez tient sans doute autant à ses liens familiaux avec l'abbé Laguérie qu'à son enfance au sein de la FSSPX et du MJCF ?

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  3. Selon sa bio sur le site officiel de l'épiscopat fraçais Mgr Dominique Lebrun est le fils d'un haut magistrat et sa mère est entrée dans les ordres.

    Il a fait ses études à Rome mais toute sa carière de prêtre dans le 93 où il a exercé des fonctions très imoportantes.

    Si durant son enfance il était proche de la FSSPX et du MJCF il semble avoir bien changé car il est devenu un apparratchik de l'aile avancée de l'eglie offcielle dans un diocèse spécialement créé par Paul 6 en 1971 et connu pur ses orientations d'avant-garde (tout comm ele diocèse du Havre qui lui est contemporain).

    Bref un personnage qui n'inspire guère confiance a priori.

    Au moins il a levé le masque.

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  4. Il est aussi l'évêque français qui a participé à la Marche pour la Vie. En donc: chapeau.

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  5. Monsieur l'abbé,
    si je suis d'accord avec vous sur le fond de votre propos, je regrette quelques petites choses :
    tout d'abord les erreurs factuelles, ou qui pourraient tromper votre lecteur. Ainsi, le samedi soir à 17hOO en la vigile de pentecôte, le rassemblement proposé n'a pas été une messe : l'objectif était catéchétique... les catholiques pratiquants sont bien entendu allés à la messe le dimanche. D'autre part, vous savez que les titres sont entre guillemets sont des artifices éditoriaux, qui orientent la lecture sans être pour autant toujours vrai.

    Ensuite, je trouve dommage de critiquer justement Mgr Lebrun, qui comme le faisait remarquer M. Luc Perrin sur le forum catholique, ne fait rien d'autre que proposer d'utiliser les mêmes méthodes que Mgr Lefebvre : un "centre de messe", avec "prêtres mobile" en mesure de catéchiser ou de visiter les malades.

    Enfin, il ne faut pas oublier que si son diocèse compte aujourd'hui environ 60 prêtre en activité pour 323 anciennes paroisses, ce n'est pas sa faute... et que nonobstant le problème d'intégration de notre extraordinaire forme du rite, les français de la FSSPX ne pourrait pas "armer" ce diocèse comme il l'était en 1970 (325 diocésains et 59 prêtres religieux).

    Pour conclure, penser que Mgr Lebrun n'a pas dans l'idée que les meilleurs armes sont la prière et l'adoration... c'est mal le connaïtre.

    Son erreur est surtout d'avoir accorder une interview à ce "Témoignage (pseudo)Chrétien"

    In Xsto
    Bigor

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  6. Une Eglise qui doute...., mais surtout les fidèles potentiels qui doutent ou qui ne doutent plus et vont puiser en face : dans l'islam.
    Je soulève ce problème car viens de lire un article sur les Bleus (foot) qui, à près de la moitié, seraient musulmans (dont les convertis blancs comme Ribéry etc). Ce phénomène est très répandu dans le sport dit "viril" à tous les niveaux, le top + les divisions secondaires nationales ou locales(confirmé par un kiné du sport). Surtout dans le football, mais aussi dans la boxe, athlétisme etc.

    L'islam est perçu comme viril et fascine ces sportifs de compétition qui ont besoin de faire appel à une force plus grande que ce qui est à portée de l'homme. L'islam les fascine ou en tout cas leur apparaît comme une transcendance qui répond au mieux à ce qu'ils cherchent. Vu le rôle du sport aujourd'hui, cela n'ira que croissant....

    Une "curiosité" : dans les sports plus artistiques et féminins, c'est l'inverse que l'on observe : suivant l'exemple des gymnastes russes, bulgares, roumaines, polonaises, espagnoles, grècques (ce sont les meilleures, surtout en GRS), les gyms des pays plus déchristiannisés s'intéressent plus à la foi chrétienne, cherchent à savoir, on en voit de plus en plus faire signe de croix avant d'entrer sur le praticable lors des compétitions; les petites croix ou médailles autour du coup sont de plus en plus courantes, aussi chez les danseuses et patineuses.

    Qu'en dit M.l'abbé ?
    Ces deux phénomènes témoignent quand même d'un regain des jeunes pour la spiritualité (les sportifs sont jeunes!) que le laïcisme acharné n'a pas réussi à éradiquer.

    Mais ces jeunes-là sont-ils un terreaux pour faire vivre les paroisses ? Mgr Lebrun n'a pas donné son avis, ni orientations, ni préconisations, il a exprimé une inquiétude....

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  7. A l'anonyme de 17:47

    Les footballers convertis à l'Islam sont moins nombreux qu'on ne le pense, même s'il y a quelques exemples illustres.

    Fervent de foot je vois souvent des joueurs faire le signe de la croix (occidental ou oriental) en pénétrant sur le terrain.

    Si beaucoup de musulmans sont adeptes du foot c'est tout simplement parce qu'il s'agit d'un sport populaire que toutes les classes sociales peuvent pratiquer. Le Rugby est beaucoup plus élitiste et moins à la portée des milieux modestes financièrement ou culturellement ; et je ne parle pas du tennis.

    Votre explication par le caractère "viril" du foot ne tient pas la route (le Rugby est tout aussi viril ce me semble).

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  8. regardez les chiffres ici; certes le site un peu exalté, mais quand même ils n'ont pas pu tout inventer :

    http://pasidupes.blogspot.com/2010/06/fifa-laicite-et-proselytisme-musulman.html

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