samedi 27 février 2010

Abbé Philippe Laguérie "Dieu permet-Il les choses?"

Repris du site de l'abbé Philippe Laguérie
Cette question me travaille et je crois qu’elle est généralement mal présentée. Ou plutôt que sa réponse est vraiment au niveau concierge de quartier. A chaque fois qu’il arrive un bien, (ou du moins ce que nous croyons tel) le doute n’est pas possible : c’est Dieu qui s’est emmêlé. Soit. Et quand il arrive un mal (ou du moins…) nous nous contentons de dire : « Dieu l’a permis ». C’est pieux, c’est gentil, c’est propre. Humain.

D’autant qu’avec nos subjectivités sans borne, le moi joue le rôle de catalyseur et multiplie l’ampleur de ces affirmations. Mon bien est toujours voulu de Dieu, forcément, et mon mal ne peut être que permis par Lui. Sinon, quelle méchanceté aurait Dieu à mon égard, qui voudrait mon mal et mon malheur. Absit !

Puisqu’on est dans la subjectivité, restons-y. Je pense que tout homme un tant soit peu honnête avec lui-même, doit pouvoir se dire, quand quelque pépin lui survient, qu’il en a fait suffisamment pour expliquer ce revers (en vérité, bien davantage, n’est-ce pas ?). Tandis qu’il serait passablement présomptueux d’affirmer, en cas de survenance heureuse, que c’est justice (divine bien-sûr) de son action et de ses efforts, de son mérite. Première constatation : ça ne colle pas. Car à vouloir traiter toutes choses selon la justice, celle de Dieu, qui seule me préoccupe ici, serait à géométrie variable.

Ma question n’a rien à voir avec la justice humaine. Si un homme blesse gravement un autre en justice, c’est toujours un grave mal moral de son côté, auquel Dieu répugne évidemment. Il pèche et ce mal tombe sous la justice divine comme sous la justice humaine (parfois). Mais du côté du receveur, innocent on suppose, ça n’explique rien. Au contraire, ce geste semble étranger au contrôle divin et on va dire …que Dieu permet. Autrement dit, on conclue que Dieu permet quand on ne comprend rien. Comme explication, c’est un peu court. D’ailleurs le Psaume 124 (V. 3) fait justice à Dieu de cette impuissance que vous lui prêtez : « Car le Seigneur ne laissera pas le sceptre des pécheurs sur le sort des justes, de peur que les justes n’aillent étendre leurs mains vers l’iniquité ». Voyez, ça aussi, Dieu le gère parfaitement, comme toutes choses.

Mon professeur de Théologie au registre du « de malo » (un certain abbé…Williamson) affirmait sans ambages que la phrase d’Isaïe : « Y a-t-il quelque mal qui arrive dans la cité sans que Je n’en sois l’Auteur » (c’est Dieu qui parle) ne visait que le mal physique et non le mal moral. Entendu en ce sens que Dieu ne fait pécher personne, ça saute aux yeux. Mais attention, chez les hommes : l’injustice est transitive, elle commence dans une agression physique mais véhicule un mal moral. Elle peut détruire, faire chuter, induire la ruine. C’est un scandale au sens technique.

Vous pouvez vociférer que, ça, Dieu ne l’a pas voulu et qu’Il n’y est pour rien (ce qui est exact, si on parle de la chute morale du prochain), ça n’en existe pas moins. Et les ruines induites de cette injustice première et sans lesquelles elles n’auraient pas eu lieu, c’est toute l’histoire des hommes et des anges. Les uns entrainent les autres au mal par grappes, par pans entiers. Je sais bien que le scandale reçu est toujours fautif : peu importe, il est.

De là à prétendre qu’il y aurait quelque chose échappe à Dieu, un truc qu’Il n’aurait pas contrôlé, une glissade, un dérapage, il n’y a qu’un pas que la théologie nous interdit de franchir. Tout simplement parce que Dieu est Tout-Puissant, cause, absolument parlant, de tout être, d’un bout à l’autre de la Sainte Ecriture. Entre autres, autant que de besoin : « In voluntate tua, Domine, universa sunt posita et non est qui possit resistere voluntati tuae » (Esther 13, 9). Toutes choses sont établies, Seigneur, selon votre volonté et il ne se trouve personne qui puisse résister à cette volonté. Vous êtes le Maître de toutes choses.

Le méchant, l’injuste, le pécheur, (avec leur grabuge inhérent) pas plus que les autres, ce qui serait un comble, n’échappe à l’universel contrôle et efficience divins. C’est peut-être terrible à dire, mais la théologie vous y contraint absolument, sauf à nier le premier des attributs de Dieu (je ne dis pas le plus essentiel : ils le sont tous) : la toute puissance de Dieu. « Yahweh a tout fait selon son but, et le méchant lui-même pour le jour du malheur » (Prov. 16, 4)

Réfléchissez deux minutes. Ce que vous permettez, vous, est la signature même de votre impuissance. Sans quoi vous seriez le complice du mal que vous n’empêchez pas. Dieu Tout-Puissant n’a pas ce refuge de l’impuissance ; Il pourrait évidemment supprimer tout mal et nous faire le monde de Leibnitz alors qu’on tient plutôt celui d’Huxley ! Sauf à nier sa bonté essentielle, sale besogne que nous laissons aux athées, cette très curieuse espèce de gens qui ressortent Dieu du néant quand ils se prennent à vouloir le calomnier.

Aucune impuissance en Dieu, aucune. Il programme le mal dans un plan général qui le fait servir au bien et l’on peut dire, qu’excepté la faute, qui Lui est directement contraire comme le néant l’est à l’être, il est cause de tous les malheurs qui surviennent comme du reste.

Ce point est particulièrement difficile à intégrer dans nos vies et recèle une part insondable de mystère, c’est entendu. Mais il doit l’être absolument. Tout d’abord pour conserver une notion exacte de Dieu et non pas le réduire au rang de spectateur niais d’un très mauvais polar (américain par exemple). Ensuite pour ne pas se scandaliser du mal qui nous environne et accepter la Providence dans toute son ampleur. Il est très consolant de savoir que nos malheurs n’échappent en rien au contrôle divin et qu’ils nous profitent donc. C’est bien le contraire qui serait désespérant. Un Dieu qui n’aurait aucune responsabilité ni efficience sur les maux qui nous frappent pourrait s’en laver les mains, comme on dit. C’est tout le contraire. Dieu connaît par le menu les responsabilités des uns et des autres et rendra à chacun selon ses œuvres. Tout le reste, il l’organise et le fabrique selon sa sagesse, sa Providence qui mène toutes choses à sa fin « suaviter et fortiter ».

Oui, la justice de Dieu est très spéciale, qui ne fait qu’un avec sa bonté infinie qui organise toute chose, mal compris, selon les dessins éternels de sa sagesse toute puissante. C’est ainsi que toutes choses tournent au bien de ceux qui l’aiment. Non, Dieu ne « permet » rien : Il gère tout. Et qui pourrait donc s’en plaindre, sinon les impies ?

3 commentaires:

  1. Vos propos constituent une pilule très amère, mon père; peut-être dites-vous vrai, mais une telle vérité nécessite un dialogue approfondi, et aussi le témoignage de l'Esprit Saint dans les coeurs.
    Dieu qui "programme" le mal, tout de même!

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  2. M. L'abbé Laguérie, votre analyse me laisse mal à l'aise...

    Saint Basile a un très long sermon pour expliquer que celui qui fait Dieu auteur du mal, approche beaucoup de celui qui nie absolument son existence. Il prouve que Dieu n'est pas auteur du mal, parce que bien des choses, que nous regardons comme des maux, ne sont pas des maux, mais sont une suite de notre nature, ou nous sont envoyées par Dieu pour nous éprouver ou nous punir et que le seul véritable mal, c'est le péché et qu'il ne vient pas de Dieu...

    Alors, puisque vous partez d'une citation de la Bible, voilà ce que dit le livre de la Sagesse : Sachez-le, Dieu n'a pas fait la mort, Il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants (Sa. 1-13)

    Mais il est vrai que vous ne traitez pas de la question "Dieu auteur du mal" mais de "Dieu qui autorise le mal" ce qui n'a pas grand chose à voir, sauf quand vous parlez de Dieu cause première, ce qui crée sans doute un peu de confusion...

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  3. Cela me laisse perplexe toutefois j'y attribue
    une réflexion et réclame l'action du St-Esprit sur vos propos envers la nature de Dieu. Le succès se trouve au grand nombre des conseillers et mérite notre ouverture comme fin de saisir justement la grandeur de Dieu dans toutes ses particularités.
    La vie éternel s'est qu'il te connaisse la vrai Dieu.

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