Dans l’aventure de toute société, la route est jalonnée de ces pierres d’achoppement dont parle Saint Paul dans l’Epître aux Romains (« Ils se sont heurtés contre la pierre d’achoppement »). Mais faisons d’emblée ici une parenthèse. On le sait, le symbolisme de la pierre est très présent dans l’Ecriture. Pour en saisir toute la portée à notre époque technicienne quelque peu éloignée des réalités concrètes, n’oublions pas que, dans ce symbolisme, la pierre, inerte par nature, est toujours envisagée par rapport au mouvement, celui de l’humanité en marche vers le salut. C’est donc l’aventure humaine qui est ainsi interrogée par le moindre caillou. Parmi ces divers symboles, la pierre d’achoppement est l’obstacle qui fait trébucher, voire chuter définitivement, elle peut donc mettre fin à la marche. A cet égard, elle renvoie à la mort. De fait, la pierre, c’est aussi la pierre de la lapidation, pratiquée à l’époque du Christ, et que subira un saint Etienne sous les yeux d’un certain Paul. Mais, à l’opposé, la pierre est également l’appui vital, le socle, le roc sur lequel l'Evangile nous recommande de bâtir notre maison. C'est le noble matériau dont on fait les cathédrales. Plus encore, c'est la pierre d’angle qu’est le Christ. Enfin, la pierre angulaire de l’Eglise, autrement dit l’apôtre…Pierre.
Reprenons. A l’échelle de notre belle mondialisation, moins radieuse que ne le proclamaient il y a peu encore les faux prophètes à la mode, ces pierres d’achoppement prennent parfois la forme d’immenses rochers qui rebondissent en dévastant les situations les mieux établies. Ainsi de ces crises dont l’onde de choc ne cesse de se répercuter. Naturellement, il ne s’agit pas seulement d’économie, pas seulement d’une crise de confiance dans la valeur du crédit, née un beau jour sous le soleil trompeur de Californie. Lehman Brothers ne doit pas masquer le fond anthropologique de l’affaire.
Car dans ce contexte, c’est par une défiance inavouée à l’égard des modèles du vivre-ensemble, depuis les communautés traditionnelles prospérant à l’ombre de la Cité temporelle jusqu’au modèle évangélique de la communion des saints, que les individus se sont mis à emprunter la voie tyrannique de ces mécanismes impersonnels qui triomphent un peu plus chaque jour. Kerviel vous le dirait sans doute, entre deux audiences. Nous sommes à l’ère étonnante de l’immédiat, sacralisé en finitude grotesque, où la vie de la personne réelle est condamnée sans que soit menacée sa vie biologique. « Etre sans destin », selon le titre d’un ouvrage d'Imre Kerstesz, tel s’impose désormais le leitmotiv général.
Là, les petites pierres d’achoppement sont à l’origine des grandes. Faute d’élan pour les dépasser, elles détournent de la route exaltante vers le salut et, en définitive, la transforment en cette grande marche des âmes grises, « monstrueusement disponibles », selon l’expression de Bernanos. Disponibles pour quoi ? Les projets les moins humains à terme, toujours la vieille quête d’idoles intérieures ou extérieures, la danse circulaire avec ces chimères aux recompositions illusoires qui se déploient au fond de l’âme ou sur des horizons de carton-pâte. Dans cette fuite en avant, prennent ainsi place les investissements aveugles, les normes-tentacules, et l’autocélébration de l’individu platement consommateur, parodiant à l’infini son véritable destin pour mieux nier l’infirmité de la Chute. Pourquoi ce vieux réflexe de la fuite ? Recherche maladroite d’un nouvel appui, d’un roc de fondation ?
C’est faute d’horizon suffisamment large, faute d’une « orientation personnaliste et communautaire ouverte sur la transcendance », pour reprendre les termes de « Caritas in veritate », ce texte capital paru voici un an et dont l’écho mérité est encore à venir, que naît insensiblement dans les masses un désir commun d’aliénation. Dans la même encyclique, Benoit XVI mettait ainsi l’accent sur la liberté de la personne foulée aux pieds par les grands systèmes humains, trop humains, au point de nier l’humanité réelle qu’est le sujet personnel tendu vers son Modèle, le Christ, le roc, la pierre d'angle. Le Christ, en la personne duquel se déploie la mystérieuse dualité des symboles, puisqu'il est aussi la principale pierre d’achoppement pour le monde, ses puissances et ses principautés.
Laurent Tollinier
Reprenons. A l’échelle de notre belle mondialisation, moins radieuse que ne le proclamaient il y a peu encore les faux prophètes à la mode, ces pierres d’achoppement prennent parfois la forme d’immenses rochers qui rebondissent en dévastant les situations les mieux établies. Ainsi de ces crises dont l’onde de choc ne cesse de se répercuter. Naturellement, il ne s’agit pas seulement d’économie, pas seulement d’une crise de confiance dans la valeur du crédit, née un beau jour sous le soleil trompeur de Californie. Lehman Brothers ne doit pas masquer le fond anthropologique de l’affaire.
Car dans ce contexte, c’est par une défiance inavouée à l’égard des modèles du vivre-ensemble, depuis les communautés traditionnelles prospérant à l’ombre de la Cité temporelle jusqu’au modèle évangélique de la communion des saints, que les individus se sont mis à emprunter la voie tyrannique de ces mécanismes impersonnels qui triomphent un peu plus chaque jour. Kerviel vous le dirait sans doute, entre deux audiences. Nous sommes à l’ère étonnante de l’immédiat, sacralisé en finitude grotesque, où la vie de la personne réelle est condamnée sans que soit menacée sa vie biologique. « Etre sans destin », selon le titre d’un ouvrage d'Imre Kerstesz, tel s’impose désormais le leitmotiv général.
Là, les petites pierres d’achoppement sont à l’origine des grandes. Faute d’élan pour les dépasser, elles détournent de la route exaltante vers le salut et, en définitive, la transforment en cette grande marche des âmes grises, « monstrueusement disponibles », selon l’expression de Bernanos. Disponibles pour quoi ? Les projets les moins humains à terme, toujours la vieille quête d’idoles intérieures ou extérieures, la danse circulaire avec ces chimères aux recompositions illusoires qui se déploient au fond de l’âme ou sur des horizons de carton-pâte. Dans cette fuite en avant, prennent ainsi place les investissements aveugles, les normes-tentacules, et l’autocélébration de l’individu platement consommateur, parodiant à l’infini son véritable destin pour mieux nier l’infirmité de la Chute. Pourquoi ce vieux réflexe de la fuite ? Recherche maladroite d’un nouvel appui, d’un roc de fondation ?
C’est faute d’horizon suffisamment large, faute d’une « orientation personnaliste et communautaire ouverte sur la transcendance », pour reprendre les termes de « Caritas in veritate », ce texte capital paru voici un an et dont l’écho mérité est encore à venir, que naît insensiblement dans les masses un désir commun d’aliénation. Dans la même encyclique, Benoit XVI mettait ainsi l’accent sur la liberté de la personne foulée aux pieds par les grands systèmes humains, trop humains, au point de nier l’humanité réelle qu’est le sujet personnel tendu vers son Modèle, le Christ, le roc, la pierre d'angle. Le Christ, en la personne duquel se déploie la mystérieuse dualité des symboles, puisqu'il est aussi la principale pierre d’achoppement pour le monde, ses puissances et ses principautés.
Laurent Tollinier
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