Non, rassurez-vous, je n'ai pas viré Apocalypse now. Mais je viens de voir le film de Lars von Trier Melancholia et je désire vous faire partager mon admiration pour cette œuvre d'art, centrée sur... la fin du monde.
Oui, je sais Lars n'est pas fréquentable. il a d'ailleurs en 2009 reçu un antiprix du Jury œcuménique de Cannes, tellement son film Antichrist, dans lequel jouait une Charlotte Gainsbourg sulfureuse, était apparu aux chrétiens comme dépassant les bornes des limites... Cette année, sa petite provocation sur Hitler dans l'ambiance ouatée du Festival, ne contribuera pas à le rendre plus fréquentable. Pensez : le grand patron, Gilles Jacob, pour le punir, l'a purement et simplement interdit de festival, lui qui est un des plus puissants réalisateurs d'aujourd'hui... Gageons que c'est une première dans l'histoire de la Croisette.
Mais enfin, tout cela mis à part, reste que son film Melancholia est un grand film sur le nihilisme européen.
Il y avait naguère des fables métaphysiques. Ingmar Bergmann était un spécialiste de ce genre plutôt froid et Bergman est certainement un maître pour Lars von Trier. Je crois que notre homme perfectionne le dispositif, en proposant ce que j'appellerais une fiction métaphysique, non pas un conte surréel, mais une situation qui relève de la science fiction : le choc entre la terre et un astéroïde énorme, Melancholia. Situation purement hypothétique et qui relève elle-même d'une sorte de conte : à part les effets spéciaux, rien ne vient étayer cette hypothèse d'une "planète" (c'est le mot du film) heurtant la terre. Cette collision, de plus, est vécue comme une sorte de huis-clos, dans un château scandinave, loin de tout, par une famille, trois adultes et un enfant, sans aucun lien avec le monde extérieur, sinon Internet, sur lequel on lit seulement cette manchette : Melancholia, danse de la mort avec la terre. Dans cette fiction métaphysique la vraisemblance importe peu ; ce qui compte c'est le huis-clos. Le face-à-face avec la mort, avec le mal, avec la disparition de tout, avec le néant. Voilà le vrai sujet du film.
C'est ce qui explique la première partie, qui est une longue cérémonie de mariage, commençant de manière dérisoire dans une de ces voitures de place immense dont la manœuvre est difficile. Ce mariage est une première parabole du néant : nothing dira la mariée, Justine - éblouissante Kirsten Dunst, prix d'interprétation féminine. Clôturant de façon magistrale cette improbable soirée, elle règle son compte à son beau-père et employeur. Vous êtes Nothing. Le marié, lui-même, sorte d'ectoplasme aimant et mimétique, est d'ailleurs tout aussi insignifiant que son père dans un autre registre... Et on devine, derrière cette double condamnation, une sorte d'arrêt de mort signifié à l'homo festivus festivus dont parlait Philippe Muray, cet individu qui ne pense qu'à faire la fête, le consommateur modèle. La mélancolie de Justine provient d'une perception profonde de cette vanité de la société du spectacle (elle est elle-même publicitaire : ce n'est pas pour rien).
Dans la deuxième partie, on retrouve le personnage de Justine, au comble de la dépression. Et surtout on va assister en direct à la fin du monde. Justine est revenue chez sa soeur Claire qui vit dans le chateau où a eu lieu le mariage, avec son mari et un enfant. Claire porte Justine à bout de bras. Elle la fait monter à cheval et même se laver. Justine semble s'enfoncer dans la crasse de ce monde. Elle peut à peine marcher et ne retrouve un peu de tonus qu'avec son jeune neveu, le fils de Claire Léo. O melancholia ! Et puis, stupeur, plus la Planète bleutée se rapproche, plus la dépressive va bien. Et c'est au tour de sa soeur de sombrer non dans la dépression, mais dans l'angoisse.
Comment accueillir la mort ?
Claire, grande organisatrice du Mariage raté de sa soeur Justine, propose d'organiser la mort. On pourrait, on pourrait... boire un verre de vin (have a cup of wine) en chantant la IXème symphonie. - Sheet ! Ta solution est merdique... lui répond sa soeur métamorphosée par la gravité des circonstances, enfin à la hauteur de sa dépression, c'est-à-dire de sa lucidité. Dans un instant, c'est elle qui construira à l'intention de son jeune neveu, la cabane magique, ultime refuge des sentiments religieux de ces êtres nihilistes, dans laquelle ils attendront le choc bleuté du néant.
Le mari de Claire, lui, a déjà choisi. Après avoir multiplié les propositions rassurantes et scientifiques auprès de sa femme, il s'est suicidé sans prévenir en absorbant la boîte de somnifère que Claire avait rapporté par précaution. Après son départ brusqué, il n'y a plus d'hommes pour faire face. Ce film est un film de femmes, qu'on se le dise ! Il nous donne le choix entre deux paroxysmes féminins - Marthe et Marie dans l'Evangile de Luc : d'un côté, l'anxiété pour faire face à toutes les urgences de l'existence concrète (en oubliant trop souvent l'essentiel). Dans le film Marthe c'est Claire, la sœur attentionnée et gonflante. Et de l'autre côté, la lucidité contemplative, qui se termine en rêve ou en dépression : c'est Justine. Une Marie Madeleine laïcisée et profanisée.
Tout se passe comme si, Lars von Trier, en quête d'un nihilisme sublime, contrastant avec le nihilisme plouc dans lequel se vautre l'Occident, avait voulu dans ce film consulter l'éternel féminin dans le secret de ses paroxysmes. En nous imposant le Tristan et Isolde de Wagner, il nous offre une quête du sublime, qui n'est au fond une fois encore qu'un pâle démarquage de l'Evangile. Mais il me semble qu'il suffit de le remettre à l'endroit, de toucher du doigt la vacuité de ce romantisme du néant, pour découvrir dans cette parabole sur la fin du monde quelque chose de l'Evangile éternel dont parle l'Apocalypse : l'urgence de la question du salut, hors de laquelle tout est rien. Voilà en quelque sorte la vérité de Lars von Trier.
Oui, je sais Lars n'est pas fréquentable. il a d'ailleurs en 2009 reçu un antiprix du Jury œcuménique de Cannes, tellement son film Antichrist, dans lequel jouait une Charlotte Gainsbourg sulfureuse, était apparu aux chrétiens comme dépassant les bornes des limites... Cette année, sa petite provocation sur Hitler dans l'ambiance ouatée du Festival, ne contribuera pas à le rendre plus fréquentable. Pensez : le grand patron, Gilles Jacob, pour le punir, l'a purement et simplement interdit de festival, lui qui est un des plus puissants réalisateurs d'aujourd'hui... Gageons que c'est une première dans l'histoire de la Croisette.
Mais enfin, tout cela mis à part, reste que son film Melancholia est un grand film sur le nihilisme européen.
Il y avait naguère des fables métaphysiques. Ingmar Bergmann était un spécialiste de ce genre plutôt froid et Bergman est certainement un maître pour Lars von Trier. Je crois que notre homme perfectionne le dispositif, en proposant ce que j'appellerais une fiction métaphysique, non pas un conte surréel, mais une situation qui relève de la science fiction : le choc entre la terre et un astéroïde énorme, Melancholia. Situation purement hypothétique et qui relève elle-même d'une sorte de conte : à part les effets spéciaux, rien ne vient étayer cette hypothèse d'une "planète" (c'est le mot du film) heurtant la terre. Cette collision, de plus, est vécue comme une sorte de huis-clos, dans un château scandinave, loin de tout, par une famille, trois adultes et un enfant, sans aucun lien avec le monde extérieur, sinon Internet, sur lequel on lit seulement cette manchette : Melancholia, danse de la mort avec la terre. Dans cette fiction métaphysique la vraisemblance importe peu ; ce qui compte c'est le huis-clos. Le face-à-face avec la mort, avec le mal, avec la disparition de tout, avec le néant. Voilà le vrai sujet du film.
C'est ce qui explique la première partie, qui est une longue cérémonie de mariage, commençant de manière dérisoire dans une de ces voitures de place immense dont la manœuvre est difficile. Ce mariage est une première parabole du néant : nothing dira la mariée, Justine - éblouissante Kirsten Dunst, prix d'interprétation féminine. Clôturant de façon magistrale cette improbable soirée, elle règle son compte à son beau-père et employeur. Vous êtes Nothing. Le marié, lui-même, sorte d'ectoplasme aimant et mimétique, est d'ailleurs tout aussi insignifiant que son père dans un autre registre... Et on devine, derrière cette double condamnation, une sorte d'arrêt de mort signifié à l'homo festivus festivus dont parlait Philippe Muray, cet individu qui ne pense qu'à faire la fête, le consommateur modèle. La mélancolie de Justine provient d'une perception profonde de cette vanité de la société du spectacle (elle est elle-même publicitaire : ce n'est pas pour rien).
Dans la deuxième partie, on retrouve le personnage de Justine, au comble de la dépression. Et surtout on va assister en direct à la fin du monde. Justine est revenue chez sa soeur Claire qui vit dans le chateau où a eu lieu le mariage, avec son mari et un enfant. Claire porte Justine à bout de bras. Elle la fait monter à cheval et même se laver. Justine semble s'enfoncer dans la crasse de ce monde. Elle peut à peine marcher et ne retrouve un peu de tonus qu'avec son jeune neveu, le fils de Claire Léo. O melancholia ! Et puis, stupeur, plus la Planète bleutée se rapproche, plus la dépressive va bien. Et c'est au tour de sa soeur de sombrer non dans la dépression, mais dans l'angoisse.
Comment accueillir la mort ?
Claire, grande organisatrice du Mariage raté de sa soeur Justine, propose d'organiser la mort. On pourrait, on pourrait... boire un verre de vin (have a cup of wine) en chantant la IXème symphonie. - Sheet ! Ta solution est merdique... lui répond sa soeur métamorphosée par la gravité des circonstances, enfin à la hauteur de sa dépression, c'est-à-dire de sa lucidité. Dans un instant, c'est elle qui construira à l'intention de son jeune neveu, la cabane magique, ultime refuge des sentiments religieux de ces êtres nihilistes, dans laquelle ils attendront le choc bleuté du néant.
Le mari de Claire, lui, a déjà choisi. Après avoir multiplié les propositions rassurantes et scientifiques auprès de sa femme, il s'est suicidé sans prévenir en absorbant la boîte de somnifère que Claire avait rapporté par précaution. Après son départ brusqué, il n'y a plus d'hommes pour faire face. Ce film est un film de femmes, qu'on se le dise ! Il nous donne le choix entre deux paroxysmes féminins - Marthe et Marie dans l'Evangile de Luc : d'un côté, l'anxiété pour faire face à toutes les urgences de l'existence concrète (en oubliant trop souvent l'essentiel). Dans le film Marthe c'est Claire, la sœur attentionnée et gonflante. Et de l'autre côté, la lucidité contemplative, qui se termine en rêve ou en dépression : c'est Justine. Une Marie Madeleine laïcisée et profanisée.
Tout se passe comme si, Lars von Trier, en quête d'un nihilisme sublime, contrastant avec le nihilisme plouc dans lequel se vautre l'Occident, avait voulu dans ce film consulter l'éternel féminin dans le secret de ses paroxysmes. En nous imposant le Tristan et Isolde de Wagner, il nous offre une quête du sublime, qui n'est au fond une fois encore qu'un pâle démarquage de l'Evangile. Mais il me semble qu'il suffit de le remettre à l'endroit, de toucher du doigt la vacuité de ce romantisme du néant, pour découvrir dans cette parabole sur la fin du monde quelque chose de l'Evangile éternel dont parle l'Apocalypse : l'urgence de la question du salut, hors de laquelle tout est rien. Voilà en quelque sorte la vérité de Lars von Trier.
"Sheet" c'est un drap, voire un linceul (pour faire couleur locale)...la merde , c'est "Shit"
RépondreSupprimerLe nihilisme cela commence au moins à William Blake, avec son "nobodaddy"( papa personne) ...mais cela a peut-être commencé avec ceux qui ont enterré (voire muré) les Pères de l'Eglise quelques siècles plus tôt..
je ne vois pas ce qu'il y a d'Occidental dans le nihilisme: pourrait-on commencer à y voir moins obscur(et moins noir) en distinguant l'Occident, l'Europe, la France, l'Eglise de cette chose immonde qui leur est substituée depuis diverses dates ?
d'ailleurs l'Orient ou le Sud ou le Nord " modernisés"( pas occidentalisés!!!) se vautrent-ils moins?
Et puis où est-il le sublime causeur qui se permet de voir gésir tous les autres sauf... ???
Reste que la seule chose qui m'intéresserait serait d'entendre parler de un "êtrisme"...c'est à dire d'une affirmation de l'être... non pour "positiver " ni peut-être même dans le sens de l'affirmation chez Niezsche... Mais pour me redresser de ma couche et rallier un combat spirituel, historique, culturel digne de ce nom et du Seul NOm.
Je crains que nous n'ayons encore longtemps à attendre et à nous contenter en guise de Nom, du N.O.M. et en guise d'êtrisme du "lettrisme" avancé et herméneutisé. O Isodore Isou ...!!!
Pourtant nous avons quelques ilots de "catholique occidental" renaissant en Maxence Caron en philo, en Chauprade en géopolitique, en Sylvoisal en poésie, dans l'"art caché du XXème s" tel qu'A. de Kerros le repère etc ..
Continuons d'infâmer l'Ecraseur INF' l'EC'... et face à la merde " êtrons, êtrons"...
Oui, Monsiuer l'Abbé vous avez mis le doigt sur l'intérêt de ce film, assez effrayant à voir., mais décapant: cette danse avec lenéant dans laquelle s'enfoncent les protagonistes, un appel donc à la conversion.
RépondreSupprimerbravo et merci
Comme d'habitude, les critiques cinéma sont top, sur le Métablog, même si je continue, pour ma part, à être enchanté de ne jamais rentrer dans une "salle obscure" mais ça n'engage que moi, bien entendu, et à plaindre les gens que je croise à Odéon, et qui font la queue pour aller voir un film, les pauvres! Et payer, en plus! Un comble!
RépondreSupprimerMon grand-père avait coutume d'interroger ses invités: "Connaissez-vous le secret du bonheur, mon cher?...l'invîté interloqué...et bien, c'est fort sîmple: n'allez jamais consulter un médecin ni un avocat!"
J'ajouterai: une merveilleuse promenade dans Paris est mille fois mieux que le plus grand des films cinématographiques et si jamais vous avez eu la faîblesse de laisser entrer une télévision dans votre foyer...poubelle à ordures à la première occasion, qui se présentera...Un mois plus tard, vous en sauterez de joie! Je regarde juste quand je réside dans un hôtel,
pour mesurer ma chance de m'en être débarrassé, à la maison!
En somme, pour résumer au plus sec, c’est soit la rédemption, soit la dépression !
RépondreSupprimerJe suis parfaitement d’accord. Nos contemporains sont sacrément forts pour ne pas plus sombrer dans la dépression, car ils ont perdu la foi et donc toute espérance. Quel sens ont le monde et la vie, s’il n’y a rien ? Aucun ! Par bonheur, nous sommes encore quelques Astérix de la foi et grâce à celle-ci, la porte s’ouvre sur le Ciel. Astéroïde, maladie ou toute autre mort approchante ne peut plus nous déprimer. Bien entendu, nous conservons nos réflexes animaux et nous pouvons très bien avoir peur. Peur de souffrir, mais aussi peur de mourir. C’est naturel. J’ai souvenir de l’image frappante de cette religieuse agitée par la peur de mourir dans une adaptation du dialogue des carmélites. J’étais adolescent et je l’ai trouvée incohérente. Alors peur de mourir et avoir la foi, comment était-ce possible ? Evidement, les choses ne sont pas si simples. La dépression est sans doute une forme de lucidité, un prise de conscience de l’impermanence, comme disent les asiatiques. Seulement, les chrétiens, ont l’espérance et ne devraient pas déprimer.
Y a-t-il des statistiques là-dessus ? Ce serait intéressant de le savoir.
Cordialement,
Clément d’Aubier