mardi 2 août 2011

L'exactitude des mots

L'exactitude des mots a mauvaise réputation. D'instinct, ce petit roi du monde, qui dort en chacun d'entre nous, murmurera contre cette obligation qu'on lui représente, ou bien il s'écriera, comme naguère Roland Barthes : "le langage est fasciste". Ce disant justement, il donne un exemple magnifique de l'inexactitude d'une pensée qui se repose sur le flou des termes qu'elle emploie. Que signifie "fasciste" dans un tel jugement ? Au lieu de mettre le langage à son service, celui qui prononce des mots sans les maîtriser ne se rend pas compte qu'il se met lui-même au service d'un langage qui, aujourd'hui, ne sert plus tant à communiquer les uns avec les autres, qu'à communier tous dans le même flou, dans les mêmes déclamations, dans une même non-pensée unique, faite de "noms communs", sans signification précise.

Cette exactitude des mots est particulièrement importante dans l'étude de la sainte Ecriture. Et pourtant, là encore, justement là, elle a vraiment mauvaise réputation. Qui scrute les termes de l'Ecriture se voit rapideent traité de "fondamentaliste", comme si la recherche d'u ne intelligence précise de la langue de Dieu parmi les hommes avait quelque chose à voir avec le juridisme étroit que l'on appelle à bon droit fondamentalisme. Encore un mot valise ! Encore un jugement qui nous fait perdre du temps !

Dans la messe d'aujourd'hui, l'extrait de la IIème Epitre à Timothée (2, 1-7) que l'on lit en l'honneur de saint Alphonse de Liguori me fournit un exemple caractéristique. Dans le Lectionnaire français qui fut classique dans les années 50, on lit pour le dernier verset de cet extrait : "Le Seigneur lui donnera l'intelligence de toutes choses". Proclamant cela, j'ai tout de suite senti l'hyperbole. L'emphase qui sonne faux. J'ai vérifié sur le texte latin (dans ma Bretagne, je n'ai pas le grec) : In omnibus intellectum. "En toutes choses l'intelligence". Seule une préposition change : "en" au lieu de "de". Mais cela change tout !

C'est au Ciel que le Seigner nous donnera - et selon notre désir qu'il nous faut donc affûter sur la terre - l'intelligence DE toutes choses. Pour le moment, il serait bien vain d'y prétendre. Si saints que nous puissions être, nous restons des ignorants. Nous sommes face à l'Infini divin comme les médecins de Molière avec leur courte vue : "ignorantus, ignoranta, ignorantum". Non le Seigneur, si bon soit-il, ne nous donnera pas l'intelligence de toutes choses. Adam et Eve y ont aspiré, en mangeant le fruit de l'arbre de la connaissance et l'on voit ce que cela a pu donner : le péché originel, par lequel ils ont été chassés de ce lieux paradisiaque où Dieu a voulu qu'ils fassent l'expérience "chimiquement pure" de leur liberté.

Mais alors que dit saint Paul à Timothée ?

"Le Seigneur de donnera la compréhension [intellectum] en tout [en tout événement, en toutes circonstances, en toutes situations]". Il ne s'agit pas d'une gasconnade de saint Paul, qui d'ailleurs, historiquement, ne s'est jamais aventuré au sud de Bordeaux (même s'il est sans doute allé plus au sud : en Espagne).

La science chrétienne n'est pas une gnose universelle, mais une gnose dans la situation, dans le "kairos", sur le moment. Celui qui vit de la foi n'est jamais pris au dépourvu. En donnant au jeune Timothée des responsabilités qui paraissent sans doute écrasante à son jeune âge, en en faisant par l'ordination et "l'imposition de ses mains" [mais non par je ne sais quel miracle biologique] un ancien (presbyteros), en l'instituant gardien ou surveillant (episcopos) d'une partie du troupeau, Paul avertit Timothée, non pas qu'il va recevoir je ne sais quelle science infuse, mais qu'il acquiert, ipso facto, ex opere operato, une maturité, un recul, une science de la vie, sur laquelle il peut tranquillement compter pour faire paître le troupeau.

Cette science là, cette intelligence de la vie, nous l'avons tous reçue, autant que nous en avons et en aurons besoin. C'était à notre baptême... au moins si nous sommes baptisés ; et nous l'acquérons, cette science de la vie, par le désir saint du baptême, si nous n'avons pas encore reçu ce sacrement. Loin d'être une hyperbole paulinienne, la promesse de Paul, bien comprise, dans l'exactitude des mots qu'il emploie, est pour chacun d'entre nous un splendide viatique, une provision que nous portons toujours avec nous, dans la foi, à travers les déserts que l'existence nous fait traverser.

C'est ce que les Livres sapientiaux appellent déjà : legem vitae et disciplinae, la loi de vie que contient l'enseignement (disciplina) divin.

5 commentaires:

  1. Je croyais que la "science" chrétienne était science de la Croix, et de la Résurrection, rien à voir avec les multiples "gnoses"..Mais enfin, c'est sans doute encore un des ressorts géniaux de l'"analogie" , qui permet d'un côté de demander de l'exactitude( du verbe "exiger") et de l'autre de déraper dans tous les sens...(comme Rimbaud et les poètes? je ne sais)

    Il est difficile de se tenir au sens des mots, quand il faut réinterpréter le "concile" près de 50 ans après...et que le "subsistit in" a mis tant de temps à être clarifié (???)

    Quand le vocabulaire "usuel" (de la Crapule, que la Canaille nous impose) est bourré de néologismes... qui cachent la réalité et la vérité...et qu'on est contraint d'employer...

    Quand on vous interdit, par contre, la moindre invention tentant de rendre un tantinet compte de réalités nouvelles: il y a 10 ans, dans un document , je me permis de proposer le terme " d'insécurisation" pour rendre compte de la "politique" volontaire de mise en péril des populations, des victimes potentielles, des harcelés de tout acabit, des penseurs non conformes, des savants irrespectueux des oukases de leurs milieux et de leurs financiers...Que n'ai-je pas entendu , de la part des professeurs de français, !!!

    Enfin, la non-pensée n'est pas unique, mais multiple, comme la "non famille de non pensée" qui se prétend "résistance", "droite" "contre révolution".. les communautarismes, qu'on le veuille ou non, les fractionnements, les fragmentations prolifèrent, interdisent tout échange de pensée et de langage sensé...au nom de la Communication...totalitaire...Cela a bien du se passer aussi au concile où sous des apparences de quasi unanimité se cachaient, grâce à l'inexactitude des termes( une première dans la sainte Eglise (1) ) des pensées et des visées hétérogènes.

    J'en reste à mon mot d'ordre "Inf' l'Ec" "Infamons l'écraseur"(2)...avant de sombrer , comme Wittgenstein dans le mutisme , puisque selon lui " de ce dont on ne peut pas parler, il faut se taire"...
    Ce n'est pas ce que nous a montré Notre Seigneur ,Maître,Ami,Frère et Dieu, quand , à la Fin, il poussa son grand Cri de triomphe...

    Peut-être que "la Foi n'est pas un cri"( titrait Henry Duméry naguère), mais elle comporte cependant ce Cri -là ...Parfois nous ne pouvons que l'imiter

    (1) l'exactitude des mots suppose un dictionnaire. Confucius le disait aussi ... Mais un dictionnaire suppose une pensée, une doctrine... le "thomisme"était dépassé...on a pioché ici ou là...on voit les résultats...
    (2) puisque nous avons été totalement désarmés et interdits et de Croisade et d'Inquisition et d'Index ..pour mener le combat, pour instruire le procès des multiples errements mortifères, pour nous garder des ouvrages qui nous égarent dans la course à la vision béatifique ...nous ne pouvons plus que "stigmatiser" nos ..accusateurs, papes repentants compris

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  2. "L'exactitude des mots..."

    Cher Monsieur l'abbé,

    Faut-il que vous postiez un article portant ce titre au moment où je n'osais vous dire... que ce que vous appeliez "une charte pour l'IBP" n'était en rien une charte, mais rien qu'une interview.

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  3. Merci, Monsieur l'abbé, pour ce petit "cours" qui m'aide à approfondir ma foi.
    UdP

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  4. Ma méditation quotidienne (autant que possible) des Saintes ecritures me fait arriver à ce passage de la seconde épître à timothée et m'inspire, à la relecture de votre article, les réflexions suivantes:

    1. a) Vous nous permettez de sentir la différence entre un prêtre et un évêque. Un prêtre, c'est un ancien, c'est-à-dire un sage, quelqu'un en qui réside toute la plénitude de l'Ordre, au sens que ce mot revêt à nos oreilles: il est non seulement commis "in persona christi" à administrer validement et avec puissance Ses Sacrements, mais il peut aussi nous aider à mener notre vie avec ordre, à remettre de l'ordre dans notre vie. Car ancien, plein de sagesse, . il possède l'"Esprit de conseil" qui lui a appris la "prudence". L'évêque, lui, l'episcopos, ailleurs apppelé "surveillant" ou "gardien", est le gardien de la jurisprudence et doit veiller à ce que le prêtre, l'ancien, en qui réside la plénitude de l'Ordre et de la sagesse, mette sans les détourner ses charismes à la disposition du troupeau des fidèles qu'il a à paître. Or il semble que la dignité du "surveillant" soit moins grande que celle de l'"ancien". C'est pourtant de l'évêque qu'est censée procéder la succession apostolique. Le prêtre n'est-il pas le premier des apôtres, car commis à nos âmes, par opposition au diacre, assimilé aux disciples que les apôtres avaient détaché du service de la prédication pour être commis au service des corps des fidèles et de ceux qui, loin de l'eglise, mais connaissant sa sollicitude, viendraient chercher auprès d'elle leurs nourritures terrestres à la soupe populaire?

    b) Ce qui fait de timothée un ancien, c'est certes qu'il ait reçu l'imposition des mains de Saint-Paul; mais c'est aussi que les premières, sa mère Eunice et sa grand-mère Loïs ont reçu la foi et la lui ont inculquée. Oh, pas depuis très longtemps: mais enfin, il est rendu ancien parce qu'il a fait sienne la foi de ses ancêtres, et timothée est un croyant par les femmes.

    2. "Le Seigneur te donnera, non pas l'intelligence de toute chose, mais de l'intelligence en toute chose", la provision d'une "morale de situation" qui n'est pas "une doctrine des circonstance". En parallèle à la seconde épître de timothée, je lis (et relis en partie) "veritatis splendor" de Jean-Paul II. Y est resanctuarisée la conscience, mais pour qu'elle soit, non une instance de décision, mais une instance de jugement de la conformité de nos actes moraux avec la Volonté et le coeur Même de dieu. Je reconnais que cette distinction de l'encyclique est un peu casuistique. Mais y existe-t-il un jugement a priori sans une décision préalable? Et qu'est-ce que cette tendance à ne jamais permettre que la personne soit "en situation", amenée à prendre des décisions, acquérant précisément sa "dignité" de ce qu'elle ait à faire des choix? Pourquoi brider la décision au profit du préjugé? La conscience, instance judiciaire avant d'être décisionnaire, est réfutée comme ne pouvant pas être "en situation", et finalement se trouve incapable d'agir, puisque le jugement précède l'acte. Est-ce là se conformer à la promesse du psaume 108 que le Père donne à Son fils un peuple "de franche volonté" et par conséquent plein de vaillance dans l'action, si l'action est censurée par un jugement préalable?

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  5. Jean-Marie Alonne12 août 2011 à 14:44

    Ce que la plus humble expérience révèle, celle de notre vie quotidienne, est que le désir naturel de Dieu ne se rencontre pas !

    Beaucoup de nos contemporains sont non seulement éloignés de toute préoccupation spirituelle, mais semblent davantage animés par leur fin propre... Quand bien même il y aurait une étincelle, quelques qualités (notamment intellectuelles), elles ne débouchent pas sur un quelconque retour à Dieu. Une certaine nature - je pense à des personnes dotées de certaines qualités - ne traduit nullement une profondeur. Dans certains cas, il arrive même que telle personne se révèle ne pas être différente du lot humain. L'homme (ou la femme) a besoin d'être "gâcié", s'il veut justement plaire à Dieu. Le Christianisme n'est pas qu'un catalogue de doctrines ou de prescriptions: il est aussi une relation, une relation fragile, mais aussi inexistante dans beaucoup de situations.

    A mon humble avis, je ne serais pas étonné de voir que ce désir naturel est une hypothèse de... clercs. Il faut avoir la naïveté d'un clerc (pardonnez-moi messieurs les abbés !) pour passer sous silence certains défauts.

    Merci Monsieur l'abbé pour ce commentaire qui nous éclaire sur une illusion qu'a pu produire la spéculation, même sincère, mais que les observations démentent fermement.

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