"Rassemblez les morceaux, pour qu'ils ne disparaissent pas" demande Notre Seigneur après la multiplication des pains : Colligite fragmenta ne pereant ! Et on en fit 12 corbeilles... Fragmenta ! Le termes latin est éloquent. Il nous renvoie, je crois, à la vérité, que l'on ne possède jamais que par fragments. Nos discours trop complets et trop bien architecturés risquent toujours de laisser confondre notre propre architecture mentale, voire notre auto-justification existentielle, avec le spectacle étincelant que donne la vérité à ceux qui l'aiment. La vérité est universelle ; nos discours sont particuliers. Si complets qu'ils apparaissent, ils ne sont eux-mêmes que des fragments. En tout cas, ils doivent être pris comme tels.
A propos de fragments, je pense aussi à la Cananéenne, qui explique au Christ, avec une gravité... simplement craquante, que les petits chiens se contentent volontiers des miettes qui tombent de la table du Maître. Nous voudrions un système totalisant et sécurisant. Nous n'avons que les miettes, les fragments : il faut nous en contenter.
Je suis de ceux qui aiment que les Pensées de Pascal nous soient parvenues ainsi : par fragments, chacun contenant, en quelque sorte la vérité toute entière. Je suis de ceux qui détestent les recherches faites autour de l'ordre que Pascal aurait donné aux Pensées, s'il n'était pas mort avant d'avoir eu ses 40 ans. "L'ordre des raisons", c'est une idée et une expression de Descartes. C'est du rationalisme. Pascal n'en a pas besoin. Il sait que sa quête de vérité est déjà exaucée, avant même qu'il l'ait mise en œuvre. Non pas qu'il soit infaillible, non, quelle horreur ! Mais enfin, il a dû se répéter souvent à lui-même cette phrase du Mémorial : "Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas trouvé".
Un chrétien a toujours déjà trouvé, même s'il continue à chercher. N'est-ce pas artificiel ? Ce le serait si sa recherche était celle du dilettante, cueillant les "paradoxes" (Lubac) comme d'autres les pâquerettes.. Le chrétien qui continue à chercher cherche, lui, "en gémissant" comme dit encore Pascal. Avec une objectivité absolue, parfois crucifiante. Je dirai : il cherche "en s'exposant" pour reprendre un terme utilisé dans le Pari. Il sait qu'il a trouvé mais, par amour, il cherche encore car on n'épuise jamais la vérité.
J'étais parti pour vous donner (encore) un texte de Bossuet. Mais j'ai trop parlé. Alors je me tais et vous laisse avec l'une des "Pensées chrétiennes et morales" de l'Aigle de Meaux : ne pereat !
"Il faut une autorité qui arrête nos éternelles contradictions, qui détermine nos incertitudes, condamne nos erreurs et nos ignorances : autrement la présomption, l'ignorance, l'esprit de contradiction, ne laissera rien d'entier parmi les hommes. Jésus-Christ s'est mis au-dessus des jugements humains, plus que jamais homme vivant n'avait fait, non seulement par sa doctrine, mais aussi par sa vie. La possession certaine de la vérité lui a fait mépriser les opinions : il n'a rien donné à l'opinion, rien à l'intérêt, rien au plaisir, rien à la gloire. De combien de degrés s'est-il élevé par dessus les égards humains ! On ne peut pas même inventer ni feindre une fin vraisemblable à ses desseins, autre que celle de faire triompher sur tous les esprits la vérité divine. Ceux qui se rendent captifs des opinions humaines ne peuvent en être juges" (Pensées chrétiennes et morales n°XIV. Ed. en 12 volume, t. 4 p. 289).
"Autrement la présomption, l'ignorance, l'esprit de contradiction ne laissera rien d'entier parmi les hommes..."
A propos de fragments, je pense aussi à la Cananéenne, qui explique au Christ, avec une gravité... simplement craquante, que les petits chiens se contentent volontiers des miettes qui tombent de la table du Maître. Nous voudrions un système totalisant et sécurisant. Nous n'avons que les miettes, les fragments : il faut nous en contenter.
Je suis de ceux qui aiment que les Pensées de Pascal nous soient parvenues ainsi : par fragments, chacun contenant, en quelque sorte la vérité toute entière. Je suis de ceux qui détestent les recherches faites autour de l'ordre que Pascal aurait donné aux Pensées, s'il n'était pas mort avant d'avoir eu ses 40 ans. "L'ordre des raisons", c'est une idée et une expression de Descartes. C'est du rationalisme. Pascal n'en a pas besoin. Il sait que sa quête de vérité est déjà exaucée, avant même qu'il l'ait mise en œuvre. Non pas qu'il soit infaillible, non, quelle horreur ! Mais enfin, il a dû se répéter souvent à lui-même cette phrase du Mémorial : "Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas trouvé".
Un chrétien a toujours déjà trouvé, même s'il continue à chercher. N'est-ce pas artificiel ? Ce le serait si sa recherche était celle du dilettante, cueillant les "paradoxes" (Lubac) comme d'autres les pâquerettes.. Le chrétien qui continue à chercher cherche, lui, "en gémissant" comme dit encore Pascal. Avec une objectivité absolue, parfois crucifiante. Je dirai : il cherche "en s'exposant" pour reprendre un terme utilisé dans le Pari. Il sait qu'il a trouvé mais, par amour, il cherche encore car on n'épuise jamais la vérité.
J'étais parti pour vous donner (encore) un texte de Bossuet. Mais j'ai trop parlé. Alors je me tais et vous laisse avec l'une des "Pensées chrétiennes et morales" de l'Aigle de Meaux : ne pereat !
"Il faut une autorité qui arrête nos éternelles contradictions, qui détermine nos incertitudes, condamne nos erreurs et nos ignorances : autrement la présomption, l'ignorance, l'esprit de contradiction, ne laissera rien d'entier parmi les hommes. Jésus-Christ s'est mis au-dessus des jugements humains, plus que jamais homme vivant n'avait fait, non seulement par sa doctrine, mais aussi par sa vie. La possession certaine de la vérité lui a fait mépriser les opinions : il n'a rien donné à l'opinion, rien à l'intérêt, rien au plaisir, rien à la gloire. De combien de degrés s'est-il élevé par dessus les égards humains ! On ne peut pas même inventer ni feindre une fin vraisemblable à ses desseins, autre que celle de faire triompher sur tous les esprits la vérité divine. Ceux qui se rendent captifs des opinions humaines ne peuvent en être juges" (Pensées chrétiennes et morales n°XIV. Ed. en 12 volume, t. 4 p. 289).
"Autrement la présomption, l'ignorance, l'esprit de contradiction ne laissera rien d'entier parmi les hommes..."
Admirable Bossuet. Lumineux. Plus on cherche, plus on découvre, plus on prend conscience de ses propres limites.Comparable à la montagne que gravit le randonneur par des sentiers sinueux,mal aisés, voire inexistants.Au détour d'une trouée,il découvre au loin le col, ce passage obligé, la vue brouillée par les gouttes de sueur qui lui coulent dans les yeux. Et pourtant, il faut continuer. Belle leçon d'humilité!
RépondreSupprimerWilly
Bossuet est exceptionnel ! Il a passé sa vie à défendre les droits de l'Eglise de France et à forger le gallicanisme... tout en étant, par son argumentation éblouissante, un des meilleurs défenseurs de la papauté !
RépondreSupprimerCar cette autorité qui nous donne la Vérité comme une nourriture quotidienne, c'est bel et bien le magistère de l'Eglise, institué par le Christ et assuré prioritairement par le pape.
Cher Monsieur l'abbé,
RépondreSupprimerPlus que jamais, vous me semblez serrer la dualité entre l'infini et l'indéfini. Entre les deux, se trouve le défini-fini. Je m'explique:
l'Infini, c'est Dieu; l'indéfini, c'est nous, êtres finis. Pour preuve, Dieu est la Vie, quand nous ne pouvons faire part modestement que de l'expérience d'une vie.
Tentation de ces indéfinis que sont nos personnes face à l'Infini: le définir.
Ainsi le projet qu'a eu Pascal, d'écrire une "Apologie de la religion chrétienne", m'est toujours apparu téméraire. Enfin, toujours, non. J'ai d'abord conçu le même, celui d'écrire une "Apologie de la religion chrétienne" qui aurait donné dans l'apocatastase, et que j'aurais intitulée: "L'humanité, Corps du christ" (tous droits réservés...)!
Me voyant très vite arrêté en si bon chemin, je me suis restreint à n'ambitionner que de rédiger "une apologie de mon univers mental", qui eût sans douté été une "autojustification existentielle", du fait que je me suis toujours demandé si l'on écrivait pour se justifier ou pour se peindre.
Mon idée était d'arriver au même point que Pascal par une voie différente, même opposée : faire aimer Dieu par la connaissance d'un "moi".
Il s'agissait dans mon esprit de répondre à cette impasse historique qui fait que mon histoire sacrée personnelle ne saurait faire partie des Saintes Ecritures, qu'entre l'Ascension du Christ et la parousie, nous vivons "la fin de l'histoire" et que le Livre de Vie, sij'y suis inscrit, semble retranché de l'histoire de ma vie.
Toutes ces impasses me semblent réelles ; mais la réponse que j'aitenté de leur apporter n'en est pas moins une autre impasse : l'impasse du "dilettante", du "(cueilleur) de paradoxes" ou du quêteur de généalogies qui croit que ce même Infini, qui ne se définit que par fragments, mais qui n'est pas définissable, va se laisser cerner et tout entier circonscrire dans le miroir d'une vie, d'un destin, d'un caractère, d'une personnalité et, pour finir, d'une âme, censée les "récapituler" toutes, alors qu'il n'y a que l'âme du Christ, peut-être aussi Sa Personnalité, Son Caractère, certainement Sa Destinée et, pour finir, la Vie qu'Il Est qui a le pouvoir de faire cela.
In medio stat virtus veritasque. Ni dans l'impasse pascalienne qui eut le destin de finir fragmentaire, ni dans l'impasse singulariste du torrentiel. Encore faut-il trouver cette marque de la pliure où se trace, droite route, le chemin aplani. Encore faut-il, de toute sa prière, aller à la recherche de l'"âme du Christ" !
Je lis et relis le billet du Père GdT...Pascal, Descartes, Bossuet...du lourd, du très lourd mais exprîmé avec tant de grâce! et les beaux commentaires, notamment celui de Julien, qui n'est pas économe de la sincérité souvent poîgnante, à laquelle il nous a accoutumés: le Métablog est toujours plus captivant et inattendu!
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