jeudi 4 août 2011

Désir de Dieu

Ce n'est jamais impunément que l'on promène ses yeux, en laissant vagabonder son coeur, dans la grande oeuvre de Bossuet. Je suis tombé à l'instant sur son Premier sermon pour la fête de la Visitation et plus précisément sur le deuxième point de ce sermon, consacré entièrement au désir de Dieu : quelles beautés ! Bossuet s'adresse à des religieuses (mon édition ne précise pas lesquelles et si c'était à Meaux dans son diocèse - dans la communauté de Faremoutiers par exemple où il avait des dirigées, ou à Paris). Mais une chose est certaine : c'est quand il s'adresse à des femmes, à des religieuses, que Bossuet est le plus profond, j'ai envie de dire, pour simplifier : le plus "mystique".

Que dit Bossuet de ce désir ? Qu'il n'existe pas, qu'il est trop faible, qu'il semble même faire violence à la nature comme une lumière trop ardente ébloui les yeux. Nous avons tellement l'habitude, dans les productions théologiques contemporaines, que l'on nous assène ce désir naturel, que l'on s'extasie devant la bonté de l'homme, faite pour Dieu, que l'on nous inflige une pastorale du bonheur, toujours trop simple : si pour être heureux, il suffisait d'aimer Dieu, cela se saurait !

Attention : Bossuet ne nous dit pas le contraire. Il ne nous dit pas que Dieu ne fait pas le bonheur de l'homme. Il ne nous dit pas que l'homme n'est pas fait pour Dieu et pour porter sur lui son désir, j'allais dire: tout naturellement. Mais il dit tout cela avec d'infinies précautions. Et surtout, en bon disciple de saint Augustin, "ce grand homme" comme il dit, il rattache le désir de Dieu au désir de vérité. Désirer connaître le fin mot de notre présence sur cette Planète et désirer Dieu, c'est la même chose.

Mais alors quel est le problème ? Qu'est-ce qui fait que l'on ne peut pas se livrer avec ivresse aux promesses dorées de la pastorale du bonheur ?

C'est que la vérité, personne n'en veut. Celui qui la dit ? Il doit être exécuté, comme dans la chanson. Ici, Bossuet n'est pas aussi dur : il parle à des soeurs. Mais il analyse notre peu d'envie devant la vérité, avec une grande précision psychologique et scripturaire. Il est temps que je lui laisse la parole.

"Nous avions premièrement perdu la lumière. Le soleil de justice ne nous luisait plus. Non seulement nous l'avions perdue, mais nous en avions même perdu le désir, et nous aimions mieux les ténèbres" (cf. Jo 3, 19). Nous en avions non seulement perdu le désir, mais nous nous plaisions tellement dans l'obscurité, l'ignorance de la vérité nous était de telle sorte passée en nature que nous craignions de voir la lumière ; nous fuyions devant la lumière : nous haïssions même la lumière, car "celui qui fait le mal hait la lumière" (Jo 3, 20). D'où nous venait cet aveuglement ou plutôt cette haine de la clarté ? Il faut que saint Augustin nous le fasse entendre ; en remarquant certains rapport de l'entendement aux yeux corporels, et de la lumière spirituelle à la lumière sensible. Les yeux ont été faits pour voir la lumière ; et tu as faite (sic) l'âme raisonnable pour voir la vérité éternelle qui "illumine tout homme qui naît au monde" (Jo 1). "Les yeux se nourrissent de la lumière" dit saint Augustin ; et "ce qui fait voir, poursuit ce grand homme, que la lumière les nourrit et les fortifie, c'est que s'ils demeurent trop longtemps dans l'obscurité, ils deviennent faibles et malades". Et cela pour quelle raison, si ce n'est, dit le même saint, qu'"ils sont privés de leur nourriture et fatigués par un trop long jeûne". D'où il arrive encore un effet étrange, c'est que si l'on continue à leur dérober cette nourriture agréable [la vérité] : ou vous les verrez enfin défaillir, manque d'aliment [on peut penser aux tentations suicidaires qu'engendre le nihilisme consumériste] ou, s'ils ne meurent pas tout à fait, ils seront du moins si débiles, qu'à force de discontinuer de voir la lumière, ils n'en pourront plus supporter l'éclat [ça c'est l'hébétude spirituelle qui saisit le premier consommateur venu] ; ils ne la regarderont qu'à demi, d'un oeil incertain et tremblant. A rendez-nous diront-ils notre obscurité ; ôtez-nous cette lumière importune. Ainsi la lumière qui était leur vie est devenue l'objet de leur aversion".

Il n'y a de désir véritable de Dieu que celui qui prend en compte cette aversion possible. Il n'y a de désir véritable que ce désir qui n'est pas un désir moyen ou un désir "à demi". Le vrai désir de Dieu n'est pas compatible avec "ce regard incertain et tremblant" que nous jetons sur l'Evangile lorsque nous avons tout essayé. Il nous faut commencer par enlever les obstacles, par balayer les fausses raisons de notre ignorance si nous voulons nous établir en Dieu. Cela ne va pas de soi. Le désir de Dieu ne va pas de soi. Quelle force nous permettra de sortir de nous-mêmes et de cette confortable ignorance quant à notre destinée dans laquelle nous nous calfeutrons ? Une force venue d'ailleurs, que nous aurons accueillie. Une grâce, qui transforme notre "oeil incertain et tremblant", en nous donnant "en toute choses" ce "coup d'oeil", cette "compréhension" dont parlait saint Paul à Timothée (voir message précédent).

A propos de ce goût du mot juste, je suis heureux : en visite hier chez ma soeur, j'ai pu vérifier le texte grec de II Tim. 2, 7 : comme d'habitude le latin en est un assez bon calque. In omnibus, dit le latin. En Pasin dit le grec. Quant au mot "intellectum", il renvoie au grec sunesis, employé par saint Paul : non pas une science, mais bien une compréhension ponctuelle, quelque chose comme un coup d'oeil. Je pense à l'impertinence jaillissante de la jeune Jeanne d'Arc, 19 ans, devant ses juges... Sunesis... Le coup d'oeil qui permet à cette illettrée de contrôler la situation et de ridiculiser les 50 docteurs à bonnet carré que l'on avait invités à la juger.

L'impertinence de Jeanne est un don du Saint Esprit : le don d'intelligence, sunesis en pasin. Celui là même que Paul souhaitait à la jeunesse de son disciple Timothée...

4 commentaires:

  1. Cher abbé de Tanoüarn,
    Ma maman, 83 ans aux pommes (reine des reinettes), affirme que tout enfant, entre 5 et 7 ans, croit naturellement en Dieu. Elle prétend s’appuyer sur son expérience grand-maternelle : 15 petits-enfants dont la moitié seulement sont baptisés ; et d’enrager contre un défaut de transmission qu’elle impute à une partie de sa progéniture, puis, prise de pitié pour cette dernière, de s’interroger : « La foi peut-elle se transmettre ? » Question commode, qui permet de se défausser quelque peu de sa responsabilité. Il est vrai que maman est un peu « prog ».
    De fait, la foi est contagieuse quand le témoignage est bon, beau et vrai.
    Regardez le prince des Apôtres (j’aime beaucoup Mathieu,16, lecture du jour), qui a depuis longtemps passé les 7 ans ; « Tu es le Messie, le fils du Dieu vivant » dit Pierre.
    A cet instant, en présence du Christ, Simon-Pierre est dans la vérité et la vertu, pas dans le virtuel. Il est dans la foi et le désir de connaître Dieu, de le rencontrer, pas en train de surfer sur Internet… (la Toile, c’est vraiment le « défaut du Bien » –ça suffit, je sors et je souris à tous les passants !).
    Au fond, je comprends les internautes, qu and ils se fixent des rendez-vous pour un apéro urbain ou un happening. Ils veulent échapper au virtuel, avec le secret espoir de rencontrer – enfin ! – la vérité et la vertu (mais si…). Ils cherchent Dieu ! L’Eglise devrait se brancher sur tous les apéros Facebook et leur déléguer quelque prédicateur, debout sur sa caisse en bois.

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  2. L'extraît de l'Aîgle de Meaux que vous avez choisi de commenter, Monsieur l'abbé, est remarquable. Ce jeu sublîme de l'ombre et de la Lumière, combien il nous touche, pourtant avec l'air d'être sorti d'un autre Âge et ne concerner presque plus personne!

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  3. On voit souvent citée une réflexion attribuée à Bossuet, selon laquelle "Dieu se rit des âmes qui se plaignent des conséquences de causes qu'elles chérissent" (c'est l'idée, sinon les mots exacts), sans que jamais soit indiqué en quelle occasion ou dans quel écrit cette réflexion a été exprimée. Qui peut répondre ?

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  4. Cher Denis,

    Je retrouve dans ce que vous dites de votre mère ce que j'ai reçu de ma grand-mère et que mon frère résumait en disant qu'elle avait la "religion naturelle" et tellement naturellement la Foi qu'on ne pouvait qu'avoir envie de la suivre!

    Quant au désir de Dieu... Evidemment, nous avons tous une poutre dans les yeux (nous ne savons plus regarder), tous une poutre sur le coeur (nous aimons ? Une paille...) et tous une poutre dans la tête (nous sommes devenus cérébraux, nous pensons qu'il faut comprendre pour croire, etc)...

    Et cependant, avec cet anthropothéisme qui nous (et qui me) caractérise, j'aurais envie de soulever avec ma poutre dans la tête ce problème :

    "Si Dieu nous a créés pour Lui, périmétrés pour Lui, paramétrés pour Lui, qu'est-ce qui devrait s'opposer à ce que nous nous abandonnions à la "pastorale du bonheur" ?

    Mais, plus encore, si Dieu Est Amour, que ne nous a-t-Il créés, non seulement ex nihilo, mais en dehors de Lui ! Que ne nous a-t-Il créés à notre fin, en Se retirant pour que nous soyons libres, mais vraiment libres, libres de découvrir notre bien, si ce n'est de créer notre fin, éventuellement en dehors de Lui, sans qu'il y ait à nous en cuire à la fin !

    Si notre amour humain est capable de comprendre qu'il ne peut se réaliser qu'en se retirant pour que l'autre existe, l'Amour de Dieu ne saurait lui être inférieur, c'est impossible, d'autant que "rien n'est impossible à Dieu" !

    Qu'en termes trop humains tout cela est exprimé ! Et pourtant, la question me paraît pertinente, à qui a une poutre dans la tête.

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