mardi 6 juillet 2010

La vérité au bord de l'eau

Thierry a raison de se plaindre. Pour moi ce n'est pas la plage (pas encore) mais la chaleur peut-être : il est urgent que je parte en Bretagne pour me ventiler les neurones. L'espèce de chaleur tropicale qui se dégage du bitume parisien est proprement accablante et de nature à obérer (gravement dans mon cas) le fonctionnement cérébral. Vous me direz - gentiment - que je néglige ce blog ? Et pourtant, samedi dernier à un mariage limousin quelle joie de rencontrer Luc et Alain, deux familiers de ce blog que je ne connaissais pas et que je salue. Pour tout l'or du monde je ne renoncerai pas à la magie d'Internet, qui est de nous mettre en communication (gratuitement, oui vous avez bien lu : c'est gratuit) les uns avec les autres.

Internet me ravie, même quand il fait très peur à Marcel Gauchet, ce grand libéral d'origine chrétienne qui ne jure plus que par la sortie des religions et par la laïcité... Dans un article très moralisateur publié ce trimestre dans le Débat (la grande revue Gallimard), il stigmatise "le solipsisme connecté" (sic) que représenterait Internet. Mais quelques lignes plus loin il nous donne la vraie raison de sa hargne : "Foin ici [sur Internet] de la société générale avec ses normes valables pour tous. La galaxie des minorités et des identités a trouvé l'outil de ses aspirations affinitaires". Ca lui fait horreur à Marcel Gauchet, notre amitié minoritaire ! Eh bien moi, votre présence muette, vos interventions (même quand je ne suis pas d'accord avec vous) votre attention et les rencontres que j'ai pu faire plus d'une fois grâce au Blog, cela ne me semble pas de la sociabilité bidon ou "affinitaire". Pour les catholiques ou les christianophiles de tous poils que nous sommes, cela me semble être une manière de dire : "Nous aussi, nous sommes l'Eglise".

Wir sind die Kirche, comme j'ai tenté de l'expliquer dimanche dernier pour la solennité des saints Pierre et Paul. L'Eglise est une société de personnes. Cette parole de Marcel De Corte m'a longtemps intrigué. Elle me séduit aujourd'hui. Je sais que l'Eglise n'a rien à craindre de l'individualisme. Elle est la seule à pouvoir en gérer les excès...

Pour reprendre la terminologie de Marcel Gauchet dans son article déjà cité, l'Eglise, dans un passé récent, a pu craindre l'individualisme politique, destructeur des sociétés intermédiaires, qui sont des corps protecteurs pour l'individu. L'Eglise a pu craindre l'individualisme juridique, destructeur des libertés constructives (la famille) et des autorités véritables (quand on fait des footballeurs, l'autorité véritable...), au nom de règlements collectifs, prônant le droit à la mobilité tous azimuts ou un égalitarisme forcené.

Mais elle ne craint pas ce que Gauchet appelle la troisième phase, "l'individualisme anthropologique". Cet individualisme anthropologique, c'est le sien. Parce que chaque chrétien sait qu'il est responsable de son salut, il se découvre comme une personne, un sujet, libre à la face de Dieu, libre de lui dire oui ou non, libre de gagner avec lui ou de perdre sans lui. Pourquoi les chrétiens auraient-ils peur de l'individualisme alors que c'est eux qui l'ont inventé ? Oh certes ! Il y a un faux individualisme, égoïste, jouisseur, aveugle et sourd... Mais il n'est pas tout puissant, cet individualisme-là. Le tout à l'ego est si vite ressenti comme une vaste dégoutation !

Exemple : qu'allons-nous faire sur la plage (ou dans le petit village retiré où nous passons peut-être quelques vacances) ? Nous nous cherchons nous-mêmes. Le loisir n'est jamais qu'un moyen de se trouver soi même. je sais bien que le tourisme peut aussi être le moyen de se fuir. les voyages sont la meilleure et la pire des choses, comme la langue d'Esope... Mais enfin globalement si nous quittons notre atmosphère habituelle, c'est pour... nous retrouver en famille (ce qui n'est pas si fréquent dans un monde qui bouge beaucoup), ne penser à rien de ce qui nous pourrit la vie, pour penser peut-être un peu à ce qui nous fait vivre, renforcer nos liens d'amitié, d'affection ou d'amour et aussi, pourquoi pas, dans ce monde ou la raison calculante absorbe tout, essayer de réapprendre à méditer. Comme dirait mon ami le docteur Nghiem : faire fonctionner son cerveau droit, en contemplant un coucher de soleil sur la mer ou un beau tableau, en recherchant ce qui en vaut la peine, en s'élevant jusqu'à Dieu, en redécouvrant que moi, toi, lui ou elle, nous sommes tous aimés de Dieu personnellement, singulièrement... individuellement. Mais oui, c'est cela aussi l'individualisme chrétien. "J'ai versé tel goutte de sang pour toi" dit le Christ à Pascal.

Le moindre destin humain est quelque chose de si grand (et de si lourd parfois) qu'il nous faut bien quelques vacances pour en re-prendre conscience ! Et voilà pourquoi la vérité est aussi au bord de l'eau.

La vérité ? C'est ce qui permet à l'individualisme chrétien de prétendre en même temps être un héroïsme.

Mais qu'est-ce que la vérité, demanderont sans doute quelques esprits inquiets. Pour un chrétien la vérité n'est pas une idée. Elle a le visage de celui qui a osé dire : "Je suis la vérité", sans que deux mille ans aient pu démentir cette magnifique prétention.

Mais pour ceux qui ne reconnaissent pas le Christ ?

Qu'ils le sachent bien, malgré les prétentions insoutenables du siècle dit des Lumières, la vérité n'est jamais au bout d'un raisonnement. Elle est l'objet de notre méditation, c'est-à-dire de cette conversation perpétuelle avec nous-mêmes qui fait que nous ne sommes pas des animaux.

Pour les esprits inquiets, qui croient... quelle drôle de croyance ! que la vérité n'existe pas ou pourrait ne pas exister... et qui pour cette raison n'iraient la chercher ni au bord de l'eau ni devant un beau tableau, je voudrais citer un homme non suspect, René Descartes. Dans une lettre au Père Mersenne, datée du 16 octobre 1639, il critique ceux qui prétendent "démontrer" l'existence de la vérité : "On ne peut donner aucune définition de Logique qui aide à connaître la nature de la vérité. Et je crois de même de plusieurs autres choses, qui sont fort simples et se connaissent naturellement, comme sont la figure, la grandeur, le mouvement, le lieu, le temps etc.". Descartes, le roi du doute méthodique, sait bien que l'essentiel n'est pas atteint par le cerveau gauche, par le raisonnement. Il en appelle au bon usage de la "lumière naturelle". "Hélas, note-t-il au même endroit, il n'y a presque personne qui se serve bien de cette Lumière".

Vous voulez trouver Dieu ? Un peu de méthode s'il vous plaît, demande Descartes. Cherchez-le au bord de l'eau, dans la méditation, et pas dans le fracas "raisonnant" de vos neurones qui s'emballent

Ce bord de l'eau vous fera peut être comprendre - mieux que tous les raisonnements du monde - le silence du Tabernacle où notre Dieu s'est laissé à nous sans un mot...

6 commentaires:

  1. "L'individualisme anthropologique" ne crée-t-il pas plutôt un terreau fertile pour les Protestants évangéliques(Born Again) où, selon eux, seul le sentiment d'avoir une "relation personnelle" avec Jésus-Christ est nécessaire au salut? Selon moi, ce n'est pas un hasard si ce mouvement a pris naissance au pays de l'individualisme(USA) et qu'il a le vent dans les voiles dans notre monde individualiste.

    RépondreSupprimer
  2. Bonne vacances cher Guillaume,

    Pierre

    mes prières pour l'abbé Berche

    RépondreSupprimer
  3. Je suis absolument confus d'avoir paru me "plaindre", j'ai mal exprimé tout le plaisir que j'ai de consulter ce blog: il parait que "les Tradis. sont obtus et fermés"...et bien j'ai rarement goûté de véritable liberté intellectuelle, agrémentée en oûtre, de tant d'autres mets, autant qu'ici!!!!

    Aujourd'hui même ne sommes-nous pas gratifiés d'un merveilleux post de notre cher Père Guillaume et d'un mémorable coup de gueule, comme on les aime tant chez lui, de notre cher Webmestre?

    De quoi pourrais-je me plaindre, en ce qui les concerne? C'est plutôt sur nos "grandes plumes" que je crains l'effet de la torpeur estivale et j'espère qu'elles ne vont pas nous manquer, cet été, soient-elles confortablemant installées dans leurs transats....

    Ce qui est incroyable avec le Père GdT, c'est qu'il capte -on ne sait comment...antennes secrètes????- des choses insoupçonnées....
    Voici quelques temps, j'ai mis dans mes signets, quelques élèments à propos de Marcel Gauchet, entendu ou lu je ne sais plus très bien où, en me disant: tiens, ça c'est une pensée qui sort de l'ordinaire...il faudra creuser un peu, à l'occasion....et qu'aperçois-je ce matin? C'est le sujet du dernier post du Métablog!!!!! C'est pas extra, ça?

    Oui cher Père GdT, comme je suis ravi de lire sous votre plume, et après avoir entendu tant de choses et de théories alambiquées, sur le "satanisme" du net, que celui-ci vous ravit: je ressens la même chose que vous, c'est un truc fabuleux, qui est tout simplement en train de changer la vie des gens, aussi radicalement que le chemin de fer ou l'électricité, pour le pire, dans certains cas mais aussi pour le meilleur, dans d'autres. Communiquer avec des personnes comme vous, ou notre Webmestre, qui défendent la Tradition, sans complexe et à fond dans leur temps, moi ça me botte.

    Et reposez-vous quand même bien cet été, tous les deux....le Métablog est peut-être "gratuit", il n'empêche que ça vous donne un sacré boulôt, alors que nous, humbles lecteurs et posteurs occasionnels, ne faisons qu'en profiter!

    RépondreSupprimer
  4. Internet est un outil formidable, tant que l'on utilise à bon escient, idem pour les nouveaux moyens de communication comme le mail sur smartphone, le twitter lors des conférences qui permet de réagir live aux débats du panel, et même les bons vieux sms et le mail traditionnel sur PC.

    Malheureusement il y a toujours des gens qui n'ont aucune ouverture pour apprendre quelque chose de nouveau, et qui ne savent pas, tenez-vous bien, envoyer un sms !!
    Souvent c'est leur complexe de supériorité/infériorité, leur obsession de ne pas laisser des traces qui les empêche d'apprendre; si ridicule, comme si le monde entier avait quelque chose à faire de leur misérable personne ! --> dans le sens pas plus importante que celle des autres, qui eux n'ont pas de manie de complot généralisé et y vont allégremment des mails et sms dans les profondeurs de la nuit avec leurs amis.

    Les blogs et possibilité de réagir sont une bonne chose également, les forums aussi, tant qu'ils offrent la possibilité des échanges anonymes sans fournir d'adresse email.
    Sinon, le principe du web se trouve biaisé et le dialogue du type agora = discussion ouverte et sur le fond (peu importe qui parle, mais ce qui est dit) n'a plus lieu.

    On peut ici féliciter ce blog et déplorer le FC (aucune protection de l'intimité de l'individu, email obligatoire, nom idem etc, bref fermeture, la peur de l'extérieur ? ) Les adresses mail comportent souvent le nom vrai de l'individu et les demander c'est enfreindre au principe de privacy.

    Il y a certes des zones noires de l'internet : profusion des contenus poubelle, des réseaux sociaux superficiels qui n'ont rien d'une amitié vraie (on collectionne des "amis" à la quantité), sites extrêmistes qui favorisent les communautarisme et enfermement sur soi etc etc, mais, après tout, l'homme est libre de choisir (=don de Dieu) et s'il choisit le mal, il trouvera bien à le dénicher quelque part de toute façon, internet ou pas.

    Sur la raison - moyen pour trouver Dieu : d'accord avec M;l'abbé - méditation et introspection sont les voies plus sûres, effectivement pourquoi pas dans la nature, avec un bon livre, un tableau d'art, en écoutant la musique aussi ou juste dans le silence, plutôt que de s'accrocher à des raisonnements pompeux qui ne font qu'enfler l'ego humain embu de ses certitudes et de soi-même, où somme toute il n'y a plus de place pour Dieu.

    RépondreSupprimer
  5. Pour ceux des lecteurs du Métablog, qui sont aussi des auditeurs de Radio Courtoisie: le premier qui parle "d'un euro dans le cochon" tout ça parce que notre ami Jean-Louis a prononcé un mot anglais ("born again"), je lui colle une amende virtuelle de trois euros, à verser à L'IBP.....

    ....supporte plus mais alors plus du tout, d'entendre parler du cochon qui avale les euros, sur 95.6mgh...ça me donne des crampes, je zappe immédiatement sur n'importe quelle autre fréquence...tiens juste à côté: 96.4 BFM Radio, on en apprend de belles......(économie, politique...)

    Hier soir, une grotesque intervention, sur RC, demandait "un euro dans le cochon", à cause du mot "addiction" qui est un pur mot latin...heureusement que le ridicule ne tue pas!

    Continuez comme ça, au boulevard Murat, c'est sûr, vous allez augmenter votre part de marché...Europe 1 et RTL doivent trembler!!!!

    RépondreSupprimer
  6. On peur même trouver Dieu dans le Métro : je vois beaucoujp de gens y lire Prions en Eglise, la Bible, le Coran ou la Torah ou égrener un chapelet. Souvent même cela m'invite à discuter de religion.

    RépondreSupprimer