mardi 20 juillet 2010

Sagesse de l'amour

Le titre de ce post ne m'appartient pas. C'est le titre d'un livre d'Alain Finkielkraut, auteur également, et dans le même registre d'un autre ouvrage intitulé Le coeur intelligent. Avec le coeur intelligent on touche immédiatement à Pascal : "le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas". Formule magnifique et tellement mal comprise.

Que sont "les raisons du coeur" : des élans cordiaux incompressibles ? des élancements pulsionnels irrépressibles ? Un sentiment que la raison n'approuve pas mais qui, comme sentiment "authentique" revendiquerait d'être plus fort que la raison elle-même ? Non ce n'est pas Pascal tout cela !

Mais comme Pascal a écrit très brièvement, le plus souvent par fragments (les Pensées), comme le Discours sur les passions de l'amour est lui-même elliptique, où se tourner pour comprendre ? Vers Finkielkraut : les raison du coeurs ne sont pas déraison, non ! Il y a une intelligence du coeur. il y a des raisons que seul le coeur peut appréhender, que la raison ne saisit pas. Il y a une sagesse de l'amour. L'essentiel du christianisme tourne autour de cette sagesse, que j'ai aimé nommer l'évidence chrétienne. Saint Augustin va très loin dans les connaissances que nous donne l'amour. il n'hésite pas à écrire, cité par Benoît XVI dans sa première encyclique : "Qui voit la charité touche la Trinité". La Trinité (Dieu Un et trois) n'est-ce pas le mystère du Dieu charité ?

Ce qui m'a décidé à vous reparler de cela, c'est un texte de Rousseau. Je suis plongé dans le Livre IV de L'Emile. Rousseau a beaucoup de défauts (ce sont ceux de Jean-Jacques, le capricieux, le léger, l'insupportable, le dégoulinant Jean Jacques). Mais il n'est pas mauvais psychologe et il connaît bien ses classiques, je veux dire Bossuet et saint Augustin par exemple. On sent une pensée structurée par la culture chrétienne autant que par le naturalisme des Lumières.

Voici une très belle formule de Rousseau qui aide à comprendre Pascal : "Le véritable amour, quoi qu'on en dise, sera toujours honoré des hommes [banal, oui je sais]. Car bien que ses emportements nous égarent [re], bien qu'il n'exclue pas du coeur qui le sent des qualités odieuses [ça c'est du Rousseau cet oxymore] et même qu'il en produise [la jalousie, l'instinct du propriétaire, le goût de la domination, la cruauté etc.], il en suppose pourtant toujours d'estimables, sans lesquelles on serait hors d'état de le sentir. Ce choix qu'on met en opposition avec la raison nous vient d'elle [ça c'est du Pascal : les raisons du coeur en opposition apparente seulement à la raison. Et là attention "à la fin de l'envoi je touche", voilà le plus beau :] On a fait l'Amour aveugle parce qu'il a de meilleurs yeux que nous, et qu'il voit des rapports que nous ne pouvons apercevoir". nous sommes en plein dans l'esprit de finesse qui voit "des rapports fort déliés" comme dit Pascal. Nous sommes dans la sagesse de l'amour !

Je devine que certains de mes lecteurs vont me trouver trop indulgent avec Rousseau : il confond l'amour avec le sentimentalisme ou avec le désir. Il a une conception sensualiste etc.

"On a fait l'Amour aveugle parce qu'il a de meilleurs yeux que nous" : il est évident que ce que vise Pascal, c'est une forme de connaissance, une simple vue et non une connaissance discursive ou raisonnée. Un savoir immédiat, mais d'autant plus vrai qu'il est plus immédiat. Samedi dernier, je discutais, après un mariage, sur La Gabarre, une péniche au nom très... vendéen, avec un de mes anciens élèves (ça m'arrive de plus en plus souvent les anciens élèves : signe de vieillesse). Il fait un double doctorat en logique et en mathématique. Déjà à 18 ans, rien ne lui réistait, alors maintenant... eh bien ! J'ai essayé quand même de lui résister sur la question fondamentale de la vérité. il n'est pas vrai lui disais-je que toutes les vérités soient démontrables par la logique. Certaines le sont par ce que Pascal appelait le coeur... Et heureusement que nous n'avons pas à notre disposition que les vérités issues du raisonnement.

Et je lui prend l'exemple de Pascal : même si tu n'y connais rien à la poésie, quand tu entends des vers, essaie de te représenter une femme. La beauté des vers, imagine-la en... femme. Et tu sentiras tout de suite si ces vers ont une véritable élégance ou si ils sentent l'affèterie et l'apprêt. Je vous cite ça, à ma sauce, c'est le fragment 33. Il y a bien quelque chose de vrai dans la beauté d'une femme, lui disais-je, une correspondance mystérieuse, une relation entre ce qu'elle est et ce que tu es. - La preuve ? - C'est ça le problème : il n'y a pas de preuve. Seulement une certitude immédiate.

- Cette certitude, me dit ce brillant logicien, n'est qu'un état psychique, puisque on ne peut rien prouver à ce sujet - On peut quand même se rendre compte parfois que cette beauté n'était qu'une illusion. On peut savoir qu'elle était fausse ou menteuse. Et ce n'est pas un état psychique, parce que lorsqu'on perçoit cela, il y a quelque chose de définitif.

Certains me trouveront sans doute "fleur bleue". Je sais bien que Schopenhauer a dit que l'amour était un jeu de dupe, le paravent derrière lequel se cache l'instinct et, avec l'instinct, la nécessité génésique. Cette bonne grosse "évidence" schopenhauerienne a quelque chose de désespérant et de contraire à notre culture chrétienne, qui s'est fondée sur la beauté des deux Marie, si différente l'une de l'autre : la mère de Jésus et Marie Madeleine.Lorsque je dis la messe à Rome, j'aime la célébrer à Santa Maria Sopra Minerva, dans une petite chapelle au dessus de la sacristie, dédiée à sainte Catherine de Sienne. Je suis devant des fresque du XIVème siècle, si naturelles et si pures. Devant mes yeux, une crucifixion, et au pied de la Croix les deux Marie : la mère de Jésus, si pudique dans sa douleur, et Marie Madeleine, en cheveux, éclatant en sanglot. Dans ces émotions si diverses dans leur expression, il n'y aurait pas de vérité, pas de science ? Rien qu'un "montage", une "machination" de la nature ? Impossible ! Que serait la vie s'il n'y avait pas, cachée en elle, une science, celle que nous porte l'amour ?

- Mais qu'est-ce que l'amour ? demanderez-vous. Un sentiment. Eh bien figurez-vous que Rousseau, oui Jean-Jacques lui-même, dans le passage que je vous ai cité, n'est pas d'accord. "Loin que l'amour vienne de la nature, il est la règle et le frein de ses penchants".

- Mais au nom de quoi ? direz-vous sans doute. Comment l'amour peut-il freiner quoi que ce soit ? il urge tout, au contraire. - Vous croyez ? Pas si sûr. L'amour éprouve et affine le jugement, au nom d'une certaine "idée" qu'il se fait de l'objet de son amour [là on est revenu dans Pascal, mais indéniablement Rousseau y pense lorsqu'il écrit ces lignes]. Je cite Rousseau : "Pour qui n'aurait nulle IDEE de mérite ni de beauté, toute femme serait également bonne". L'instinct est profondément égalitaire. Il se satisfait de tout... Une chèvre... L'amour seul distingue, sépare et célèbre... au nom de l'idée qu'il se fait, ajoute Rousseau.

Pourquoi les coups de foudre fonctionnent-ils souvent dans la vie ? On aura tendance à répondre : parce que l'amour est irrationnel. Mais c'est le contraire qui est vrai : le vrai coup de foudre est très raisonné, même si le "raisonnement" se fait en un instant. Parce qu'il renvoie chacun à une connaissance immédiate, et toujours déjà-là : la raison du coeur, la sagesse de l'amour. Merveilleux Pascal, dont ici Rousseau me semble un exégète plus que passable !

11 commentaires:

  1. "combien on aime, et combien vainement" (Elias Canetti) "l'amour c'est donner ce qu'on n'a pas à qui n' en veut pas" ( Lacan, en substance)
    Je n'ai rien à (re)dire à ce texte.Mais l'amour semble cependant aller bien plus loin, bien plus large:
    plus loin:
    jusqu'à donner sa vie pour ce /ceux qu'on aime...cet extrême n'apparaît pas...Quand il apparaît, la femme battue peut aller à convertir son mari, sinon, elle divorce...
    plus large: amour paternel, maternel, filial, de son métier, de ses voisins, de sa patrie, de Dieu..... pouvez-vous appliquer Rousseau à cela?
    Et le coup de foudre?

    Par ailleurs, la "connaissance immédiate toujours déjà là" ne va-t-elle pas tourner très vite soit en gnose (côté connaissance) soit en intuition pure (côté immédiat), sans intelligence ni volonté, réduite à ses "raisons de coeur" non simplement sentimentales mais néanmoins fragiles et limitées???

    On dirait qu'il n'y a dans votre horizon ni péché , ni péché originel, ni surnaturel...C'est troublant...Dans un monde où votre discours recoupe bien des discours dominants tandis qu'un autre n'a plus le moindre droit de cité ...

    Ayant eu le "coup de foudre" pour le Concile et "l'éclair m'ayant duré" (René Char) , je n'ai guère d'enthousiasme pour ce genre de propos...

    AS l'âne onyme

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  2. "LA CHARITÉ TOUCHE LE COEUR DU BON DIEU"
    (saint curé d'Ars in "Voix du Bon Pasteur 1860,p.116)

    "Jésus répondit:"Le premier commandement c'est: Ecoute Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur et tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toutes tes forces."Mc 12, 29-30.

    L'Amour n'est donc pas seulement un sentiment -il l'est aussi heureusement- mais c'est notre finalité même, la con-naissance parfaite de Dieu.

    "Dans le coeur de l'Eglise, je serai l'Amour."
    (sainte Thérèse de Lisieux: merveilleuse audace des saints!)

    Et le saint curé d'Ars dit même que par la charité nous TOUCHONS le coeur de Dieu, pas seulement nous approchons, nous comprenons, mais: nous le touchons.
    Cela veut-il dire que nous l'émouvons? peut-être; dans ce cas cela veut bien dire qu'Il a des entrailles propres à s'émouvoir!
    Mais cela veut dire aussi que, oui, grâce à nos pauvres sens, notre chair même, nous pouvons le toucher.
    Comme saint François a touché le lépreux. Comme une petite soeur de Mère Térésa touche un mourant, le lave, le nourrit, lui sourit.

    IL changera nos coeurs de pierre en coeurs de chair.

    Une religion INCARNÉE, c'est cela la pleine et entière CATHOLICITÉ. C'est pourquoi nous ne pouvons craindre de dire que nous sommes AMOUREUX du Christ Jésus et AMOUREUX de son Eglise!

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  3. Détail : "Sagesse de l'amour" est d'abord l'inversion levinassienne de la définition platonicienne de la philosophie (Finkielkraut ne faisant que commenter Levinas). GB

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  4. Merci Monsieur l'Abbé pour cette belle réflexion, j'aimerais et espère avoir le temps de vous répondre plus longuement mais je voudrais seulement vous demander si vous connaissez le beau livre de Jose Ortega y Gasset Etudes sur l'amour?

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  5. Il n'y a au contraire rien de plus fugace et passager que le coup de foudre. Le feu de la passion s'éteint bien vite pour ceux qui en font le pierre sur laquelle bâtir un couple (ou même l'idée d'un couple).

    Ces "coup de foudres" qui durent et qui se sont averés "tenace pour la reste de la vie", ce sont des "coups d'exceptions" sur lesquelles beaucoup trop de gens se rabattent - feignasses et peureux qu'ils sont à l'idée que "oui, le vide d'amour arrive toujours et ce n'est qu'en se faisant violence que tout revient" (tellement contraigant pour les âmes frileuses).

    Le vrai amour est de volonté, il est canalisé par elle. L'amour d'un couple s'éteint toujours tôt ou tard - ou plutot, la sensation de son existence (affectif, relationnel, parfois même la raison nous le fait penser) disparaît. Que reste-t-il sinon l'intelligence et surtout la volonté de continuer malgré ce "vide" ?

    Et quand la volonté prend le pas (avec l'aide de Dieu), l'amour (en pratique) renaît (là encore) tôt ou tard, et ce, bien plus fort.

    L'humain de ces temps ne veut pas se sacrifier, se donner, et faire des efforts titanesques pour remettre sur les rails une relation qui dérapent grâvement le rebute(*) ; il espère en ce mysticisme facil à deux francs le quintal qui veut qu'un jour, il croisera le regade l'âme soeur, et là, ce sera pour toujours. Pfff... Balivernes.


    (*) suite à quoi arrive toujours le couplet bien connu "ho ça va plus entre nous, c'est plus comme avant, on devrait se séparer" => Ouais, et retrouver "quelqu'un avec qui on se sent bien" et refaire sans cesse les mêmes erreurs, et subir ad aeternam les mêmes échecs.

    Tiedeur, je te vomis.

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  6. Merci M.l'Abbé pour cette belle analyse; oui, belle, car elle ne salit ni ne stygmatise l'amour, ce 'quelque chose' d'indéfinissable qui est quand même le moteur de la vie des hommes (certains vertueux diront non, c'est Dieu, mais c'est parce qu'ils n'ont jamais aimé, leur "Dieu" est une abstraction qui leur permet d'esquiver le prochain)

    Souvent un amour vrai, celui du long terme naît d'une relation commencée dans un mix "eros/philia", sans agapè pour commencer.
    D'expérience, il me semble que cette configuration de l'amitié (centres d'intérêts, valeurs, loisirs communs) conjuguée à une bonne entente sexuelle (car justement pas d'inhibitions ni de fausses hontes, fréquentes dans une relation passionnelle ou sentimentale où l'on tremble de ne pas être à la hauteur) a plus de chances de survie qu'une histoire basée sur une rencontre émotionnelle -peu importe si passionnelle ou à l'eau de rose, c'est pareil, c'est du "lamour dure trois ans". Alors que les "eros/philia" ont une chance de durer, peut-être en ordre "philia/eros" au bout de quelques années, mais il y a sur quoi bâtir du solide.

    Qu'en pensez-vous ? Et les liseurs (ok, lecteurs pour les alergiques du FC)?

    Et que dire des gens que cette question clé que vous soulevez si justement n'interpelle point ? Qui, sans donner leur vie à Dieu par le sacrement de l'ordre, ne la vivent qu'en fonction d'eux-mêmes, embu(e)s de leur 'chasteté' physique et mentale?

    Seuls, sans désirer la moindre relation personnelle avec le sexe opposé (ni le leur, à notre époque obligé de préciser): ni eros ni philia ni agapè. Ni sexe, ni amitié, ni amour d'aucune sorte. Mais très fiers : rien à confesser !
    Sont-ils encore chrétiens ? Sont-ils encore humains ? L'ont-ils jamais été ?

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  7. Cher Monsieur l'abbé,

    Quand cessera-t-on de monter en épingle Pascal au lieu de le tenir pour ce qu'il est : le SIMPLE petit télégraphiste de la probabilité. Petit télégraphiste parce qu'il n'est pas un écrivain. Quand, par hasard, il lui arrive de former une phrase en dehors des "PROVINCIALES" où il se délecte de tirer en longueur, ce n'est que pour faire une démonstration géométrique (cf. le pari, la pensée 233 de l'édition brunschwick, si je ne m'abuse). Pas plus grand écrivain que lecteur au demeurant : car, si ses "RPOVINCIALES" fourmillent de citations, il avoue lui-même qu'elles lui ont été fournies par ce qu'on n'appelait pas encore des documentalistes.

    Mais pourquoi petit télégraphiste de la probabilité ? Parce qu'il a inventé la machine à calculer et la théorie de la probabilité, bien sûr ; mais aussi parce qu'il n'a jamais su, en parieur, que faire bonne mise pour avoir bonne mine au cas où il y aurait quelque chose de l'autre côté. "Dieu sensible au coeur" ne contrebalance pas cet "esprit de géométrie", plus peureux qu'amoureux. Probabiliste, Pascal l'est encore lorsqu'il collationne les occurrences susceptibles de confirmer que le Messie prophétisé par la Bible est bien le Christ.

    Pascal serait-il un probabiliste amoureux ? Les migraines l'auront beaucoup empêché de collectionner les "bonnes fortunes". Mais, ne soyons pas grivois sur un blog religieux. Pascal se montre-t-il amoureux lorsqu'il aide son père, Etienne Pascal, à réprimer une insurrection qui monte à bordeaux ? Se montre-t-il amoureux lorsque, pamphlétaire, il écrit "LES PROVINCIALES", livre très phraseur, je vous l'accorde, où il profite de quelques incohérences majeures de ses ennemis pour justifier son entêtement et faire croire qu'il est plus papiste que le pape, comme certaine fraternité l'a fait en notre siècle, raison pour laquelle on a pu l'assimiler au jansénisme, bien à tort quant à la doctrine. Le déchaînement pamphlétaire est-il amoureux de sa cause ? Que l'on arrête : la polémique n'est que la polémique. Le pamphlétaire est seulement quelqu'un qui ne sait pas retenir sa plume.

    Y a-t-il la même "SAGESSE DE L'AMOUR" dans le pamphlétaire finkielkraut d'aujourd'hui que dans l'exégète de Lévinas d'hier ? Pour qu'il en soit ainsi, il faudrait qu'on arrive à prouver qu'être sur la défensive soit de l'amour. "La bourgeoisie restrictive et familialiste a perdu la bataille du verbe", mais voudrait encore se convaincre que le conservatisme avec lequel elle se replie sur ses intérêts catégoriels n'est qu'un effet de son amour du bien commun. D'autre part, n'allez pas vous y tromper : l'auteur du "COEUR INTELLIGENT" n'a pas tiré l'expression qui a servi de titre à son ouvrage de Pascal, mais d'Annah arrendt qui, il est vrai, partageait avec Pascal une très grande admiration pour Saint-augustin.

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  8. Rousseau, le dégoulinant, l'éducateur de l'Emile, enfant trié sur le volet, hypostasié de manière à ne présenter aucune tare, se montra-t-il expert en amour lorsqu'il agit de la sorte ? Pour moi, ce seul préalable à son traité "DE L'EDUCATION" suffit à disqualifier ses préconisations éducatives, beaucoup plus gravement que n'a pu le faire la remise qu'il fit de ses enfants à l'assistance Publique de son temps. Pourtant, rousseau, l'écrivain le plus sensible et liquoreux du dix-huitième siècle, qui est à la littérature française ce qu'Händel est à la musique baroque, n'a jamais cessé de toucher du doigt avec son sentimentalisme qu'il n'y a pas beaucoup d'amour au-delà du sentiment. Et vous-même, qui ne savez pas que vous êtes un incorrigible romantique, à voir la manière dont vous parlez de cette intime correspondance entre un regard d'homme et la beauté d'une femme, essayez de faire une distinction entre le romantisme et le lyrisme basée sur le fait que le romantisme déduirait une science de l'universel d'un fonds d'amour de soi tandis que le lyrisme serait un exercice d'admiration, qui aurait plus de chance de toucher le but de sa connaissance, attendu qu'elle n'est pas connaissance de son fonds propre, d'une part vous faites peu de cas du "CONNAIS-TOI TOI-MEME" et d'autre part, vous oubliez que la définition classique du lyrisme est que c'est "l'expression d'un sentiment". Or, si vous ne faites pas partir l'amour de dieu de cette terre égologique en laquelle son Incarnation vient sans cesse se déverser, vous ne risquez d'aboutir qu'à un amour de dieu très névrotique.

    Ne s'est-on pas fâché à juste raison que l'on n'ait de cesse d'affirmer que dieu est amour sans préciser ce qu'on entendait par là ? Imaginez par exemple que je réduise dieu à la Providence ou le Verbe au sort. Ceux qui, de la vie, n'ont reçu qu'épreuves et coups du sort, où voulez-vous qu'ils voient l'amour de dieu, et comment saurait-on le leur faire voir, d'une manière qui ne soit pas fallacieuse ? Quant au "coup de foudre", peut-être qu'il n'est pas lui-même aveugle à la raison pour laquelle il frappe ici plutôt que là deux êtres faits pour se rencontrer, se désirer et parfois se dévorer. Mais peut-on dire que tout coup de foudre soit une réussite ? N'est-il pas souvent le frottement de deux sensibilités ? Et, si le coup de foudre sait où il frappe, ne peut-on pas dire que c'est votre ancien étudiant qui avait raison plutôt que vous : qu'à ce degré où "tout ce qui monte converge", comme le disait le peut-être nébuleux et ô combien lyrique teilhard de chardin, les Mathématiques et la métaphysique se rejoignent.

    Mais toutes ces controverses ne sont rien en comparaison de l'urgence qu'il y a à consoler ceux que le sort a accablés. Ce sont ces malades qui ont besoin des soins de votre apologétique, en regard de quoi votre contribution au pascalisme si content d'aller confirmant de siècle en siècle ses rares fulgurances paraît une occupation bien vaine. C'est pour "la consolation des affligés" que vous devriez vous lancer avec opiniâtreté dans un ministère d'explication de ce qu'est la sagesse de l'amour, quand le sort peut s'acharner de manière si foudroyante toujours sur les mêmes, au point que le Christ énonce cet acharnement comme une loi que peut-être, il constate en la réprouvant :
    "celui qui a recevra encore ; tandis qu'à celui qui n'a rien, il sera ôté même ce qu'il a."

    Je vous en prie, exercez le ministère de l'amour !

    Votre dévoué

    Julien WEINZAEPFLEN

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  9. A l'anonyme du 20 juillet à 8h12 :

    Lacan disait :

    "aimer, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas".

    Je n'arrive pas en revanche à reconstituer votre citation de René Char qui disait en substance que qui vit au cœur de l'éclair vit au cœur de l'Eternel, pensée foudroyante, mais pas forcément aussi fulgurante que celle où il nous apprend à "aller vers (notre) risque" comme dieu le Père dira à abrahm :

    "Va vers toi", ni que celle où le poète définira la lucidité comme "la blessure la plus rapprochée du soleil". Mais je ne voulais pas faire avec vous un concours de citations. Ce qui m'importait était, que dans celle du Christ dont vous déploriez l'absence :

    "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner Sa vie pour ceux qu'on aime", on est comme laissé rationnellement sur sa fin, à savoir que, pour la raison raisonnante, qui n'est tout de même pas supérieure à la Parole de dieu, quoi qu'on puisse dire par ailleurs de l'insuffisance de Pascal, il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l'on n'aime pas… Il en va de cette Parole de l'Evangile comme de cette autre :

    "Vous êtes mes amis si vous faites ce que Je vous commande". Il est vrai que le Christ ajoute aussitôt après que nous pouvons Lui obéir dans la mesure où nous savons vers où Il veut aller, où nous connaissons Son Projet, à la différence du serviteur "qui ignore ce que veut faire son maître". Il n'empêche que nous aurions envie de dire à nos prochains, si c'était la raison qui parlait en nous, et quileur parlait d'une manière algébriquement raisonnable quoiqu'existentiellement moins soutenable, qu'ils sont nos amis malgré qu'ils fassent exactement le contraire de ce que nous leur avons recommandé. La raison algébrique serait-elle plus sensible y compris que le cœur pascalien et non seulement que son "esprit de géométrie" ?



    Julien WEINZAEPFLEN

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    1. Votre conclusion est plus que réjouissante pour ceux qui ont l'humour de vous comprendre.
      Continuez le travail raisonné et raisonnant.

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  10. Et si le centre Saint-Paul invitait Alain Finkielkraut à présenter son dernier ouvrage ?

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