mardi 16 août 2011

Joris Karl Huysmans : Le Roman de Durtal

"... nous n'avions point en ces temps,
honnis par les imbéciles, le bégueulisme..."
Il y a quelques années, les Editions Bartillat ont regroupé quatre romans de Joris Karl Huysmans – en un volume unique, sous le titre du Roman de Durtal. C’est ma principale lecture d’été, que je voulais vous faire partager. Voici ce qu'en dit libertepolitique.com
[…] Quatre romans tracent [l’]itinéraire [de Durtal]. Son attirance pour le Moyen Âge, son goût du bizarre et du fantastique, conduisent Durtal, dans Là-Bas, à fréquenter les cercles sataniques contemporains — mais il se révolte devant leur bassesse et leur puérilité, pour se tourner vers l'Église. En Route l'envoie à la Trappe. C'est la conversion, le grand chambardement de l'âme, dans le calme extérieur de l'abbaye silencieuse. Avec La Cathédrale Durtal se pose à Chartres dont il scrute, avec une science formidable, le symbolisme. Désormais chrétien, il cherche sa voie à l'ombre d'une église pleine de sens. Ici les poèmes en prose dont sont faits les romans de Huysmans, atteignent leur sommet. La Cathédrale est une débauche de tableaux magnifiques, très précis et traversés de visions étourdissantes. L'Oblat clôt le cycle sans résoudre la question du chemin à suivre, de la vocation. Dans cet hymne à la liturgie, sans pareil dans tout ce qui a été écrit, Durtal est reçu comme oblat de Saint-Benoît, mais la loi sur les congrégations force à l'exil sa communauté et le renvoie, seul, à Paris, sans objet. […]
… et voici quatre extraits du Roman de Durtal, pris parmi 1.000 possibles :
page 247 - Là-Bas
— Fous ! et pourquoi ? — Le culte du démon n’est pas plus insane que celui de Dieu ; l’un purule et l’autre resplendit, voilà tout ; à ce compte-là, tous les gens qui implorent une divinité quelconque seraient déments ! Non, les affiliés du satanisme sont des mystiques d’un ordre immonde, mais ce sont des mystiques. Maintenant, il est fort probable que leurs élans vers l’au-delà du mal coïncident avec les tribulations enragées des sens, car la luxure est la goutte-mère du démonisme. La médecine classe tant bien que mal cette faim de l’ordure dans les districts inconnus de la névrose ; et, elle le peut, car personne ne sait au juste ce qu’est cette maladie dont tout le monde souffre ; il est bien certain, en effet, que les nerfs vacillent dans ce siècle, plus aisément qu’autrefois, au moindre choc. Tiens, rappelle-toi les détails donnés par les journaux, sur l’exécution des condamnés à mort ; ils nous révèlent que le bourreau travaille avec timidité, qu’il est sur le point de s’évanouir, qu’il a mal aux nerfs, lorsqu’il décapite un homme. Quelle misère ! Lorsqu’on le compare aux invincibles tortionnaires du vieux temps !
page 600 – En Route
Récitée, dès l’aube, Prime figurait l’adolescence ; Tierce la jeunesse ; Sexte la pleine vigueur de l’âge ; None les approches de la vieillesse et les Vêpres allégorisaient la décrépitude. Elles appartenaient d’ailleurs aux nocturnes et elles se psalmodiaient jadis à six heures du soir, à cette heure où, au temps des équinoxes, le soleil se couche dans la cendre rouge des nuées. Quant aux complies, elles retentissaient, alors que, symbole du trépas, la nuit était venue. Cet office canonial était un merveilleux rosaire de psaumes ; chaque grain de chacune de ces heures se référait aux différentes phases de l’existence humaine, suivait, peu à peu, les périodes du jour, le déclin de la destinée, pour aboutir au plus parfait des offices, aux Complies, cette absoute provisoire d’une mort représentée, elle-même, par le sommeil !
page 706 – La Cathédrale
Songez que Chartres est le premier oratoire que Notre-Dame ait eu en France. Il se relie aux temps messianiques, car bien avant que la fille de Joachim ne fût née, les Druides avaient instauré, dans la grotte qui est devenue notre crypte, un autel à la « Vierge qui devait enfanter » « Virgini Pariturae ». Ils ont eu, par une sorte de grâce, l’intuition d’un Sauveur dont la Mère serait sans tache : il semble donc qu’à Chartres, plus que dans tout autre lieu, il y ait de très vieux liens d’amitié avec Marie ; l’on comprend dès lors que Satan se soit entêté à les rompre.
— Savez-vous, fit Durtal, que cette grotte a été préfigurée dans une annexe, humaine, quasi officieuse, de l’Ancien Testament. Dans sa « Vie de Notre Seigneur », l’admirable voyante que fut Catherine Emmerich nous signale, à proximité du Mont-Carmel, une grotte et un puits près desquels Elie aperçut une Vierge ; c’est à cet endroit, dit-elle, que les Juifs, qui attendaient l’arrivée d’un Rédempteur, se rendaient, plusieurs fois par an, en pèlerinage.
N’est-ce pas l’image de la grotte de Chartres et du puits des Saints Forts ?
Page 1165 – L’Oblat
[…] l’origine de ces parodies était liturgique. L’âne était honoré à cause de l’ânesse qui parla et fut, en quelque sorte, cause, par ses remontrances, que Balaam énonça, devant le roi des moabites, sa célèbre prophétie sur la venue du messie. L’espèce asine, qui fut une des annonciatrices du Christ, l’assista dès qu’il fut né, près de la crèche, et le porta en triomphe, le jour des palmes ; elle avait donc sa place toute marquée dans l’anniversaire de Noël.
Quant à la festivité des fous, elle s’appela de son vrai nom la festivité du « Deposuit » par allusion au verset du magnificat « Deposuit potentes de sede » . Elle avait pour but d’abaisser l’orgueil et d’exalter l’humilité. Les évêques, les prêtres n’étaient plus rien, étaient comme déposés, ce jour-là. C’était le peuple, les machicots et les clercs de matines, qui étaient les maîtres et ils avaient le droit, dont ils usaient, de reprocher aux religieux et aux prélats, leurs prévarications, leurs simonies, leurs péchés d’exception, d’autres encore, peut-être. C’était le monde renversé ; mais, en tolérant jusqu’au moment où elles dégénérèrent en pures farces, ces parades revendicatrices, l’église ne fit-elle pas preuve de condescendance et de largeur d’esprit, ne montra-t-elle point, en souriant de ces folies, combien elle était indulgente pour les petits et combien elle était contente de les laisser s’alléger de leurs griefs, en rendant, eux-mêmes, la justice, avant que de se divertir?

2 commentaires:

  1. Merci, cher Webmestre, de nous faire partager votre lecture d'été, c'est très sympathique de parler également littérature, sur le Métablog. Je vais commencer par lire attentivement les extraîts que vous nous donnez.

    Au passage, je note votre goût pour ce style d'expression artistique, qui va bien avec la musique métal (je trouve), dont vous nous entreteniez, il y a quelques temps...

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  2. Cela étant dit - cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant - je pense que ceux qui seraient intéressés par l’œuvre de Huysmans feraient mieux de commencer par "A rebours" que par le roman de Durtal. A la fois, c'est très intéressant à lire pour nous autres qui avons tendance, depuis les progrès de la fée électricité à trop vivre la nuit. et en même temps, je pense que cela permet d'entrée dans l'imaginaire et les problématiques de Huysmans plus en douceur. Maintenant, je suis loin d'être un spécialiste de la littérature du XIXe siècle, donc je veux bien m'incliner devant ceux qui connaitraient mieux la question.

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