Texte repris de Monde&Vie n°833 - 11 octobre 2010 - suivi du texte de Jean-Pierre Dickès
J’ai lu avec passion [l'article de Jean-Pierre Dickès à lire ci-dessous] et je crois que cette question de la création d’une vie en laboratoire est fondamentale. On va connaître l’époque où cette découverte des clés du génome sera complètement banalisée.
Que faut-il en penser du point de vue spirituel et du point de vue philosophique ? Est-ce conforme ou non conforme aux principes religieux qui nous animent ? Est-ce pensable? Dans un livre retentissant, qui a déjà plus de 20 ans, Patrick Chalmel comparait Biologie moderne et philosophie thomiste, en soulignant le matérialisme foncier de la philosophie thomiste, entée sur l’aristotélisme. « l’âme est l’acte d’un corps organisé » avait dit le Stagirite. Cela ne gêne pas saint Thomas. Et quand il a à expliquer les « prodiges » accomplis, face à Moïse par les magiciens de Pharaon, faisant sortir des serpents de la poussière dans une sorte de génération spontanée, l’Aquinate explique tout bonnement que Satan leur inspirateur a une connaissance… angélique des mécanismes de la matière. Il connaît le secret de la vie. Ce prodige n’est pas un miracle substantiel, mais simplement l’exploitation par un esprit supérieur des lois de la matière et de ce qui, en elle, permet de produire la vie. On remarque chez saint Augustin, dans son De Genesi ad litteram la même tendance au matérialisme dans l’explication des origines de la vie. Augustin s’appuie sur la théorie stoïcienne des raisons séminales, contre le « spiritualisme » excessif des gnostiques, qui oppose, dans l’homme, le principe spirituel bon et le principe matériel mauvais. On peut dire que depuis Tertullien et son De Carne Christi, toute la tradition théologique chrétienne – contre le gnostique Marcion - procède de ce matérialisme-là.
Faut-il pour autant donner raison à Darwin et répéter avec Craig Venter que l’humanité est aujourd’hui darwinienne? Ne confondons pas tout. Darwin produit une théorie générale explicative de l’origine des espèces, théorie dont même les darwiniens d’aujourd’hui, que l’on nomme « néos », ne peuvent plus soutenir comme l’a démontré de façon définitive leur porte étendard Stephen Jay Gould.
Mais la question d’une histoire de la création, la question de l’apparition de nouvelles espèces au cours de l’histoire n’est pas tabou chez saint Thomas: «Si quelque espèce nouvelle apparaît, il faut dire qu’elle se trouve en germe dans les raisons séminales» qui sont à l’origine de la vie. Que l’homme soit capable de déchiffrer le code dont Dieu s’est servi, cela ne signifie pas que la vie est née toute seule, s’est complexifiée par elle-même et ait engendré spontanément ce prodige qu’est l’homme.
Dieu a fait les plans. Nous sommes capables de les restituer au moins pour une part… A la bonne heure. Cela signifie que nous participons à ce que la création possède de plus haut : l’esprit. En ce moment l’homme a un peu tendance à oublier cette évidence première.
Abbé G. de Tanoüarn
Quand l’homme crée la vie
Encensé par les uns comme un génie, qualifié par d’autres du nom de Frankenstein, Craig Venter, célèbre chercheur américain a réussi en juin dernier à créer un microbe vivant. Ce qui n’est pas sans poser de graves questions en matière d’éthique.
Le chercheur de San Diego, en synthétisant le premier organisme vivant a-t-il créé la vie ? Craig Venter a détricoté le génome d’une bactérie en la réduisant à sa plus simple expression; celle qui forme le code génétique dit ATGC, adénosine, thymine, guanidine, cytosine : le chiffre de la vie. Ce sont des acides aminés protéiques qu’il est d’ailleurs possible de synthétiser facilement et que l’on retrouve dans toutes les ampoules de fortifiants du commerce. Puis il a reconstruit, comme on le ferait avec des pièces d’un gigantesque Lego, une autre bactérie du nom de Mycoplasma mycoïdes appelée désormais par les journalistes du doux nom de Synthia. Il s’agit d’un micro-organisme sans ancêtres, sans parents, se reproduisant tout seul. Synthia est le premier vivant au monde construit de main d’homme.
A l’instar d’Aristote, saint Thomas définit cinq références pour que la vie puisse exister : organisation, nutrition, reproduction, conservation et évolution. Synthia présente effectivement ces critères. Saint Thomas ajoute que ces cinq fonctions ne peuvent se faire sans qu’il y ait une anima, une âme donnée par Dieu, un principe de vie animateur qui dans ce cas existe bien de par les recherches de la science humaine.
Sans complexes, Venter proclame : « le nouveau Darwin c’est moi ». Il ajoute : « désormais, créer de toutes pièces des animaux, des plantes et demain des êtres humains c’est possible ». Telle est la perspective de l’Homme Artificiel. Bon prince, il considère que sa découverte peut poser des problèmes aux catholiques. Car jusqu’à présent créer la vie, c’était le job de Dieu. Voilà ce dernier dépossédé de son monopole.
L’inévitable Axel Kahn va plus loin en répondant affirmativement à la question de savoir si Craig ne se prend pas pour Dieu. Et il ajoute que, certes pour les croyants, la question peut se poser et que la découverte du savant américain est « blasphématoire » à l’égard de la religion. Lui-même se disant agnostique, il affirme sans ambages que cela ne le préoccupe guère. Les réactions de Rome vis-à-vis de cette découverte ont été peu consistantes, allant du « passez votre chemin, il n’y a rien à voir » à « si cela peut être utile à la recherche, c’est très bien ». Il est probable que l’Académie Pontificale des Sciences cherche à en savoir plus, se méfiant des escrocs du tripatouillage de la vie. Il n’empêche que le catéchisme définit la vie comme l’union de l’âme et du corps. Et que si Craig Venter a créé un être vivant à partir d’un matériau, cela signifie que l’homme contemporain a été capable de créer une âme animale comme Dieu lui-même l’a fait au commencement du monde. Or Dieu crée à partir du néant. Pourtant dans le récit de la Genèse, il est bien spécifié que Dieu créa les êtres selon leur espèce. Or c’est bien une espèce que Craig a créée. Il a touché à « l’arbre de vie » qui tenta nos premiers parents.
Faute de réponse des théologiens, il faut admettre que le chercheur américain, sorte de démiurge, pourrait bien se voir conforté dans l’idée qu’il a réalisé le rêve de Darwin, celui de faire évoluer les êtres vivants.
Dr Jean-Pierre Dickès
J’ai lu avec passion [l'article de Jean-Pierre Dickès à lire ci-dessous] et je crois que cette question de la création d’une vie en laboratoire est fondamentale. On va connaître l’époque où cette découverte des clés du génome sera complètement banalisée.
Que faut-il en penser du point de vue spirituel et du point de vue philosophique ? Est-ce conforme ou non conforme aux principes religieux qui nous animent ? Est-ce pensable? Dans un livre retentissant, qui a déjà plus de 20 ans, Patrick Chalmel comparait Biologie moderne et philosophie thomiste, en soulignant le matérialisme foncier de la philosophie thomiste, entée sur l’aristotélisme. « l’âme est l’acte d’un corps organisé » avait dit le Stagirite. Cela ne gêne pas saint Thomas. Et quand il a à expliquer les « prodiges » accomplis, face à Moïse par les magiciens de Pharaon, faisant sortir des serpents de la poussière dans une sorte de génération spontanée, l’Aquinate explique tout bonnement que Satan leur inspirateur a une connaissance… angélique des mécanismes de la matière. Il connaît le secret de la vie. Ce prodige n’est pas un miracle substantiel, mais simplement l’exploitation par un esprit supérieur des lois de la matière et de ce qui, en elle, permet de produire la vie. On remarque chez saint Augustin, dans son De Genesi ad litteram la même tendance au matérialisme dans l’explication des origines de la vie. Augustin s’appuie sur la théorie stoïcienne des raisons séminales, contre le « spiritualisme » excessif des gnostiques, qui oppose, dans l’homme, le principe spirituel bon et le principe matériel mauvais. On peut dire que depuis Tertullien et son De Carne Christi, toute la tradition théologique chrétienne – contre le gnostique Marcion - procède de ce matérialisme-là.
Faut-il pour autant donner raison à Darwin et répéter avec Craig Venter que l’humanité est aujourd’hui darwinienne? Ne confondons pas tout. Darwin produit une théorie générale explicative de l’origine des espèces, théorie dont même les darwiniens d’aujourd’hui, que l’on nomme « néos », ne peuvent plus soutenir comme l’a démontré de façon définitive leur porte étendard Stephen Jay Gould.
Mais la question d’une histoire de la création, la question de l’apparition de nouvelles espèces au cours de l’histoire n’est pas tabou chez saint Thomas: «Si quelque espèce nouvelle apparaît, il faut dire qu’elle se trouve en germe dans les raisons séminales» qui sont à l’origine de la vie. Que l’homme soit capable de déchiffrer le code dont Dieu s’est servi, cela ne signifie pas que la vie est née toute seule, s’est complexifiée par elle-même et ait engendré spontanément ce prodige qu’est l’homme.
Dieu a fait les plans. Nous sommes capables de les restituer au moins pour une part… A la bonne heure. Cela signifie que nous participons à ce que la création possède de plus haut : l’esprit. En ce moment l’homme a un peu tendance à oublier cette évidence première.
Abbé G. de Tanoüarn
Quand l’homme crée la vie
Encensé par les uns comme un génie, qualifié par d’autres du nom de Frankenstein, Craig Venter, célèbre chercheur américain a réussi en juin dernier à créer un microbe vivant. Ce qui n’est pas sans poser de graves questions en matière d’éthique.
Le chercheur de San Diego, en synthétisant le premier organisme vivant a-t-il créé la vie ? Craig Venter a détricoté le génome d’une bactérie en la réduisant à sa plus simple expression; celle qui forme le code génétique dit ATGC, adénosine, thymine, guanidine, cytosine : le chiffre de la vie. Ce sont des acides aminés protéiques qu’il est d’ailleurs possible de synthétiser facilement et que l’on retrouve dans toutes les ampoules de fortifiants du commerce. Puis il a reconstruit, comme on le ferait avec des pièces d’un gigantesque Lego, une autre bactérie du nom de Mycoplasma mycoïdes appelée désormais par les journalistes du doux nom de Synthia. Il s’agit d’un micro-organisme sans ancêtres, sans parents, se reproduisant tout seul. Synthia est le premier vivant au monde construit de main d’homme.
A l’instar d’Aristote, saint Thomas définit cinq références pour que la vie puisse exister : organisation, nutrition, reproduction, conservation et évolution. Synthia présente effectivement ces critères. Saint Thomas ajoute que ces cinq fonctions ne peuvent se faire sans qu’il y ait une anima, une âme donnée par Dieu, un principe de vie animateur qui dans ce cas existe bien de par les recherches de la science humaine.
Sans complexes, Venter proclame : « le nouveau Darwin c’est moi ». Il ajoute : « désormais, créer de toutes pièces des animaux, des plantes et demain des êtres humains c’est possible ». Telle est la perspective de l’Homme Artificiel. Bon prince, il considère que sa découverte peut poser des problèmes aux catholiques. Car jusqu’à présent créer la vie, c’était le job de Dieu. Voilà ce dernier dépossédé de son monopole.
L’inévitable Axel Kahn va plus loin en répondant affirmativement à la question de savoir si Craig ne se prend pas pour Dieu. Et il ajoute que, certes pour les croyants, la question peut se poser et que la découverte du savant américain est « blasphématoire » à l’égard de la religion. Lui-même se disant agnostique, il affirme sans ambages que cela ne le préoccupe guère. Les réactions de Rome vis-à-vis de cette découverte ont été peu consistantes, allant du « passez votre chemin, il n’y a rien à voir » à « si cela peut être utile à la recherche, c’est très bien ». Il est probable que l’Académie Pontificale des Sciences cherche à en savoir plus, se méfiant des escrocs du tripatouillage de la vie. Il n’empêche que le catéchisme définit la vie comme l’union de l’âme et du corps. Et que si Craig Venter a créé un être vivant à partir d’un matériau, cela signifie que l’homme contemporain a été capable de créer une âme animale comme Dieu lui-même l’a fait au commencement du monde. Or Dieu crée à partir du néant. Pourtant dans le récit de la Genèse, il est bien spécifié que Dieu créa les êtres selon leur espèce. Or c’est bien une espèce que Craig a créée. Il a touché à « l’arbre de vie » qui tenta nos premiers parents.
Faute de réponse des théologiens, il faut admettre que le chercheur américain, sorte de démiurge, pourrait bien se voir conforté dans l’idée qu’il a réalisé le rêve de Darwin, celui de faire évoluer les êtres vivants.
Dr Jean-Pierre Dickès
1. "L'âme est l'acte d'un corps organisé" a dit Aristote qu'avalise saint-thomas. Evidemment, de prime abord, ça peut faire froid dans le dos. Mais d'un autre côté, cette définition fait sortir l'âme de son évanescence. Le matérialisme (ou le réalisme) foncier de la philosophie de saint-thomas nous place sans ambages en face de nos responsabilités:
RépondreSupprimer"Tu es ce que tu fais" ou "nous sommes nos actes", semble-t-il nous dire, d'où l'impossibilité de faire abstraction de nos oeuvres pour juger de notre salut personnel.
2. Dans les cinq constituants de la vie que "liste" Saint-Thomas, je m'étonne qu'il n'ait pas fait mention de la génération. Elle est pourtant au centre de la révélation. Au point que, dès le deuxième mot de la Bible, "bara", on reconnaît la racine "bar": le Fils en Hébreu. Et le troisième mot est elohim, le pluriel de dieu: sachant que le premier mot de la Bible saisit la genèse dans le mouvement du temps, "dans le commencement", n'est-il pas merveilleux que le deuxième mot nous indique la nature de la deuxième Personne de la trinité (le Fils) et que le troisième mot nous indique, si j'ose dire "le chiffre" du pluriel divin qui n'est pas un pluriel? Merveilleux clin d'oeil de dieu dont je m'étonne qu'il soit si peu exploité! Pourquoi, chrétiens, ne nous faisons-nous pas kabbalistes à nos heures?
3. Dernière remarque: le même Saint-thomas définnit la vie comme "l'union de l'âme et du corps". Ce qui revient à dire que les animaux ont une âme. Certes, il y a des degrés dans l'animation, mais l'"animal" vient de l'"anima". Au paradis des animaux, retrouverons-nous ceux que nous avons aimés et qui nous ont montré tant de preuves de leur "personnalité" unique et singulière? Qui pourra nier que les animaux ont chacun leur caractère? J'incline à croire que le simple bon sens, qui est l'autre nom du sentiment du juste, ne nous trompe pas: nous retrouverons nos animaux au paradis, ou bien il y a un paradis des animaux.
la cascade de références, comme le confusionnisme du langage ( matérialisme= réalisme? à, les citations unilatérales( St Thomas ne disait -il pas l' âme "forme du corps" et doit on alors le traiter de "formaliste = intellectualiste"?) rendent les choses encore plus obscures à la fin de l'article qu'au début...pour les profanes ...A.S. accablé de spécialistes...
RépondreSupprimerJe n'ai pas votre culture mais tout cela me semble bien farfelu. Cet homme n'a rien crée du tout, il a reproduit un processus déjà existant ou plutôt imité ce processus. Il me semble que parfois, on se laisse aller à des divagations un peu trop hasardeuses de l'esprit sur lesquelles débouchent des affirmations qui sont un peu légères. Celle consistant à affirmer l'existence de l'âme animale me paraît dérangeante et risquée. L'émotionnel et l'amour nous reliant à nos chers compagnons ne nous poussent-ils pas à confondre le sens du réel, celui de la doctrine et enfin le fond de nos désidératas affectifs?
RépondreSupprimerL'homme se gonfle d'orgueil malsain qui le pousse à la déchéance morale et à la décadence. La comparaison d'Adam et de l'arbre de la vie me semble adaptée à notre époque folle et si contradictoire. Si l'homme est à l'image de Dieu, il convient de croire aussi que lui même se prenant pour son Modèle pourrait bien finir par s'anéantir tout seul par son orgueil et sa bêtise.
Il faut humilité garder. Je n'ai qu'une certitude, celle de l'Amour de Dieu pour mon âme et celle de mes semblables. Tous les exploits scientifiques me semblent bien dérisoires par rapport à une réalité qui nous hurle dessus en permanence, celle de cette misère humaine qui nous rappelle à notre petite condition.
Pour l'exemple à quoi a servi à l'homme de fouler le sol lunaire ou encore de pratiquer une reproduction à l'intérieur d'une éprouvette? La première a couté des milliards qui auraient pu être engloutis pour lutter contre la famine dans le monde et la seconde n'a pas permis à des centaines de millions d'orphelins de trouver un foyer ou ils auraient trouvé l'amour qui leur est nécessaire.
En un clin d'oeil de la nature, l'homme serait balayé de la surface de la terre tant l'équilibre qui nous maintient en vie est fragile. Mais Dieu a plus d'un tour dans son sac et il ne va pas prendre la responsabilité d'anéantir sa propre création. Il nous laisse individuellement dans son amour infini, la liberté de choisir notre propre destinée.
Maintenant si mon chat peut aller au paradis, j'en suis ravi. Il a bien plus de qualités que la plupart de mes semblables et lui au moins il ne se prend pas pour Dieu!!