dimanche 7 novembre 2010

Encore les valeurs chrétiennes...

En y réfléchissant, c'est sans doute LE sujet de ce blog, non pas les idées chrétiennes devenues folles, comme on le fait dire trop souvent à Chesterton, mais, ainsi qu'il l'a vraiment dit : les vertus chrétiennes devenues folles.

Pourquoi la plupart des citateurs (heureusement détrompés par Philippe Maxence, patron des Amis de Chesterton que je remercie) emploient-ils l'expression "idées chrétiennes" ? Parce que "idée" ça fait chic ! Vertu chrétienne ? Rien qu'à entendre cette expression on a déjà un petit goût d'eau bénite dans la bouche (et tout le monde sait que l'eau bénite, c'est mauvais, parce que... c'est salé). Et pourtant ! Qu'y a-t-il de plus beau qu'une vertu chrétienne ? Vertu du Christ : quoi de plus séduisant ?

Vous me direz peut-être, certains d'entre vous tout du moins : je veux bien être séduit, mais quelles sont les vertus du Christ ? Et l'un ou l'autre d'entre vous ajoutera : il les a toutes, les vertus, le Christ !

Désolé de vous décevoir : je ne crois pas que le Christ ait toutes les vertus. Ne serait-ce que parce que certaines vertus sont incompatibles entre elles. Il y a les vertus sociales, et là tout dépend dans quelle société on vit. Comme dit Aristote, les vertus d'une cité aristocratique ne sont pas les mêmes que les vertus d'une cité démocratiques. Il y a aussi ce que j'appellerai les vertus du héros : il est d'une seule pièce ou bien il est rusé, il est agressif ou il est chevalier blanc. Petite remarque en passant : les vertus de l'héroïne ne seront pas les mêmes et, comme celles du héros, elles sont parfois contestables. Voyez le portrait de la femme forte à la fin du Livre des Proverbes. Certaines d'entre vous chères amies s'y retrouveront sans doute très bien. J'ai connu une jeune fille qui voulait entendre cela le jour de sa messe de mariage : "Sa lampe ne s'éteint pas durant la nuit (...) voit-elle un champ, elle l'achète (...) Elle est comme un navire marchand qui revient de loin (...) Trompeuse est la grâce et vaine la beauté". Et puis cette formule extraordinaire : "Son mari est considéré... aux portes de la Ville" (c'est-à-dire loin de chez lui de préférence).

J'ai l'air de me moquer, mais je suis très sérieux : les vertus humaines sont variables. Autant notre conscience nous dit ce qu'il ne faut pas faire ("Tu ne voleras pas" par exemple, tout le monde sait ça). Autant nous ne savons pas toujours ce qu'il faut faire... Ces vertus humaines, contradictoires entre elles, souvent sont des apparences de vertus plutôt que des vertus. Ce sont des vertus destinées à mettre en valeur celui ou celle qui les pratique... quand ce ne sont pas des vertus alibis. Une petite vieille se fait taper dessus et les gendarmes dans les Inconnus vont faire un rapport en trois exemplaires : quelle conscience professionnelle !

Les vertus... Il ne faut pas oublier ce qui seul les rend bonnes, ces vertus : la charité. Voyez saint Augustin. Il ne suffit pas de faire le bien, il faut le faire bien (bene bona facere). il faut que le bien que nous faisons provienne de l'amour, sinon il ne vaut rien. Si le Christ n'a pas toutes les formes de vertu, c'est qu'il a les seules vertus qui en soient vraiment, celles qui proviennent de l'amour : "Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la perfection (eis telos)". Encore est-il vrai que toutes les amours ne se valent pas et que c'est à l'école du Christ qu'on apprend l'amour vrai, l'amour donné.

Cet amour du Christ peut "inclure toutes les amours" (saint Thomas : caritas includit omnes amores). Mais il est une révélation. L'homme n'accède pas sans la grâce à la charité.

Cela signifie-t-il que la charité est le monopole du chrétien ? Je me suis très souvent rendu compte du contraire. Mais justement, il n'y a pas que le chrétien, tout homme possède une grâce suffisante, enseigne saint Thomas. Suffisante pour le salut, qu'il le sache ou ne le sache pas. C'est à mon sens parce qu'ils ont oublié cela que l'Eglise a raison de condamner Michel de Bay et les augustiniens du XVIIème siècle (vous savez mes chers jansénistes). Mais saint Augustin, dans l'Adversus Julianum, n'a-t-il pas raison , de son côté, d'enseigner que sans la charité, don de Dieu, sans la charité, dépassement du mammifère supérieur par le don de Dieu, il n'y a pas de vertu véritable ? Saint Thomas l'enseigne, mais comme il ne le fait pas dans son traité de la grâce (assez court d'ailleurs), on manque souvent cet aspect très augustinien de son enseignement...

La proposition que l'Eglise a condamnée dans l'enseignement de Baïus (Michel de Bay) c'est : "Toutes les vertus des païens sont des vices". Elle a eu raison, car une telle formule peut aboutir à un pharisaïsme encore plus insupportable que l'original. Mais dire : il n'y a pas de vertu sans l'amour qui les porte, et cet amour (qui n'est pas l'âpre désir de l'animal rationnel) est une grâce ou provient d'une grâce. Il me semble que l'on a là une formulation orthodoxe de l'augustinisme, formulation qui manque à une Eglise obsédée par la morale et qui a oublié qu'à l'origine de tout bien il y a nécessairement le coeur !

4 commentaires:

  1. Mais si M. l'abbé, on peut affirmer que la charité est le monopole du chrétien ! Car, comme dit Vatican II, elle est l'essentiel "des éléments de sanctification qui se trouvent hors de la sphère de l'Eglise catholique mais qui lui appartiennent en propre par le don de Dieu"... (Lumen gentium 8)

    Ainsi on peut dire qu'un non chrétien charitable est, d'une certaine façon et dans une certaine mesure, incorporé à l'Eglise par son acceptation de la grâce prévenante de Celui qui est la Charité...

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  2. C'est vrai que sans la charité don de Dieu il n'a pas de vertu véritable.
    Comme sans la science le zèle n'est pas bon.(Prov:19,2)

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  3. "La proposition que l'Eglise a condamnée dans l'enseignement de Baïus (Michel de Bay) c'est : "Toutes les vertus des païens sont des vices"."

    La proposition dit "les vertus des philosophes" (et auparavant "toutes les œuvres des infidèles"), ce qui n'est certes pas la même chose.
    "Omnia opera infidelium sunt peccata, et philosophorum virtutes sunt vitia." (Denz.-Schön. 1925)

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  4. Tout cela est bel et bon( mais qui disait que l'érudition était une des tares post-vatican 2???)
    Etonné de l'obsession a-morale! dans une époque où après avoir réagi contre le moralisme, les moeurs et la morale s'effondrent massivement pour le malheur et la perte de tant de gens...

    sidéré aussi de voir les "vertus humaines" ( et le mammifère supérieur) mises face à face avec la seule "charité"...c'est la peste dichotomique dont toute ma génération a crevé: le pur théologal d'un côté et l'autonomie relative des réalités humaines de l'autre: les vertus cardinales comme les commandements avaient disparu (les théologales et les conseils devaient seuls guider la conduite de la vie !!!) ...Leur redécouverte (tempérance, justice, prudence, force, avec les dons du st esprit..) est fondamentale pour l'exercice catholique des vertus catholiques ...

    Quant à la la Charité comme amour de Dieu "premier servi absolument et exclusivement", je ne l'ai jamais rencontrée chez un non-catholique ( mais guère non plus chez les catholiques, ) . Quant à moi, je ne l'ai surement pas !
    Mais j'en ai tellement soif !
    (et vos proses ne l'étanchent pas, ce ne sont pas même de petites gouttes d'eau)

    A.S. Assoiffé Systématique

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