Mercredi (hier donc) Jean Madiran recevait le Prix Renaissance, aux salons de l'Aéroclub. Un très beau moment d'amitié et j'allais dire pour employer un terme qui est familier à Jean Madiran, de piété, car nous qui étions là nous avons tous beaucoup reçu de lui. Le vieux lutteur a gardé toute sa vie ses valeurs, mais aussi sa jeunesse, son sens du jeu, avec des yeux bleus qu'un rien fait pétiller, son intelligence des moments. J'ai aimé l'échange avec la salle, ses réponses brèves, jamais emm.. au cours desquelles il donnait toujours l'impression ou de s'amuser avec les idées ou de les admirer, non pas comme venant de lui, mais comme s'imposant à son esprit. Il est né en 1920, mais il n'a pas fini de jouir des mille tours du réel...
Un moment, à table, nous parlions théologie. J'évoquais - il le connaissait bien sûr - le récent sermon de Mgr Fellay à Winona, si apparemment maladroit et en cela si peu fédérateur... Il en a profité pour insister sur la complexité des choses (sur la complexité de la situation de la FSSPX d'abord mais sur la complexité de toutes situations humaines). J'évoque la possibilité d'un syllabus des erreurs qui peuvent sortir d'une lecture de Vatican II. Il reprend la balle au bond, en soulignant que le syllabus, c'est négatif. Il est tellement difficile de savoir si nous affirmons ensemble les mêmes choses, si nous savons ce que nous disons quand nous disons quelque chose ensemble. L'acte de foi commun est possible parce que la foi est surnaturelle. Est-elle toujours pleinement consciente ou transparente à elle-même ? La vérité est tellement inaccessible... Mais il est plus facile de reconnaître ensemble des erreurs. Là-dessus on ne se trompe pas !. Je réfléchissais qu'au fond Popper avait raison et que l'esprit connaît souvent plus facilement le faux que le vrai. Mais finalement ce n'est pas plus mal : si l'esprit pouvait s'identifier à la vérité, ne risquerait-t-il pas de devenir pour lui-même une idole ?
J'ai été particulièrement heureux lorsque Michel de Rostolan, toujours impeccable à la manoeuvre dans la figure imposée de la remise du Prix, m'a demandé de dire quelques mots sur Jean Madiran. J'ai pu lui rendre hommage, en reconnaissant publiquement ma dette à son égard, les instants jubilatoires que sa dialectique m'avait fait passer, en particulier à 16 ou 17 ans, à une époque où je cherchais encore à comprendre quel rapport il pouvait bien y avoir entre l'éducation que j'avais reçue de mes parents et celle que me donnait le collège prestigieux de frères des écoles chrétiennes où je devais passer mon bac. Madiran, Louis Salleron m'ont donné des clés.
Et j'ai pu dire : Madiran, quoi qu'en pensent ceux qui ne l'ont jamais lu, c'est essentiellement un style, une manière d'exprimer l'évidence, de la chercher, intemporelle, dans les mille accidents du quotidien. Il faut saisir dans l'instant qui passe l'invariant, l'essentiel, ce que nous pouvons toucher du doigt, sans craindre d'être démenti par personne.
Je sais que, comme Jacques Maritain qu'il a beaucoup lu, Madiran n'aime pas Descartes, mais enfin qu'il me permette de souligner que ce culte de l'évidence, ce sens aigu de la lumière intellectuelle, si fugace, si ponctuelle soit-elle, ce souci de toujours revenir à l'élémentaire à l'indestructible, que l'on constate si souvent chez lui, cela vous a... oui... un petit air cartésien et français. Dans la crise de l'Eglise, Madiran a été ce cavalier français qui partit d'un si bon pas... et que nous rattrapons juste 40 ans plus tard lorsque, par exemple, nous nous accordons pour "lire le Concile à la lumière de la Tradition" (1965 dans Itinéraires, qui dit mieux ?).
Quel est son secret ? C'est un truc - Descartes ou pas - qu'on ne trouve qu'en France : saisir le point où la clarté de l'évidence se conjugue avec l'élan d'une liberté assumée. Voilà, ce me semble, la méthode Madiran.
Vous voulez en savoir plus sur cet homme qui intrigue et qui irrite ? Procurez-vous le Monde et Vie à paraître vendredi, avec le très bel entretien donné par Madiran.
Merci, Monsieur l'abbé, pour ce bel hommage à celui qui est un peu notre Maitre à tous. Le laïc que je suis sait tout ce que je lui dois.
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