"Dieu avait créé l'univers comme un seul corps, composé de plusieurs membres formés par la chaîne des êtres sensibles et intellectuels. Il avait fait un être intermédiaire [l'homme] où se trouvaient réunis les éléments des deux mondes. C'était comme un lien d'amitié et un gage d'affection donné à toute la création. Le péché a détruit cette magnifique harmonie. Alors Dieu a résolu de restaurer toutes choses par le Christ, et il nous l'a donné comme un principe de rénovation et de réintégration de tous les êtres. Le Christ est alors devenu le nouveau lien d'amitié pour tous les êtres"Saint Hilaire de Poitiers Tractatus In Epistulam ad Ephesios, cité par Mgr Landriot, Le Christ et la Tradition t. 1, 1867 p. 354-355
Saint Hilaire vit au IVème siècle et il est l'évêque de sa bonne ville de Poitiers (tout cela ne nous rajeunit pas). On le connait trop peu. Sa prose est étincelante. Elle est très intuitive : en avant ! Augustin lui, prend son temps : c'est "un pédagogue" comme l'a très bien vu Lucien Jerphagnon. Hilaire part en courant, il est toujours aux avant-postes de la pensée théologique, il est déjà "ce cavalier français qui partit d'un si bon pas". On comprend Mgr Landriot, évêque de La Rochelle, si exigeant dans sa manière d'enseigner le christianisme, de retenir particulièrement son témoignage.
Que dit-il ? Que le Christ est au coeur de l'Univers. Et que ce coeur de l'univers n'est pas quelque chose que Dieu, dans une science sèche et prédestinatianiste aurait prévu depuis toujours. Dieu n'a pas prévu depuis toujours de se faire homme. Pour cela, il a fallu le péché. Le Christ est alors devenu le coeur du monde. C'est un coeur de suppléance. Lorsque le monde a perdu coeur à cause du péché, Dieu a envoyé au monde un coeur de suppléance : le Christ. Il ne tient qu'à nous de faire en sorte (par la foi, simplement par la foi vivante) de faire de ce coeur de suppléance notre coeur supplémentaire, notre supplément d'âme, et du Christ le ressort de notre charité. Comme disait saint Thomas d'Aquin à sa soeur qui attendait une grande dissertation théologique : "Il suffit de le vouloir".
Et pour le vouloir ? Il faut réaliser que "le péché détruit toujours cette magnifique harmonie" entrevue. Le péché ? C'est MOI D'ABORD. Dès qu'on dit : moi d'abord, on est dans le péché. On absolutise quelque chose - le Moi - qui ne l'est pas ; on se fait une idole de quelque chose qui est juste un désir. Qu'est-ce qui peut résister à cet Absolu de contrefaçon qu'est le Moi humain en révolution permanente, le moi humain devenu pécheur ?
Le péché nous permet de prendre la mesure de l'amour de Dieu.
Le péché avec sa logique grise nous fait une obligation de déclarer une amitié universelle, adressée à tous ceux qui comprennent ce langage. De cette amitié universelle, que nous le sachions ou non, le Christ est le centre, par droit de naissance : de par sa divino-humanité.
Mystère de l'amitié : elle nous est si naturelle et si difficile
De "faire de ce coeur de suppléance notre coeur supplémentaire"...ou notre coeur, tout court ?
RépondreSupprimer1. Saint Hilaire de Poitiers, faisant du Christ "le coeur de l'univers", s'oppose à Saint Léon le Grand pour qui il était dans la nature de Dieu de sauver au même titre que de créer, ce pourquoi Il créa un être susceptible de pécher et dans la nature duquel il était d'être sauvé. J'aime bien raisonner à partir de ces périmétrages-paramétrages dont le premier a été imaginé par Saint-Paul:
RépondreSupprimer"Dieu nous a créés pour Lui", que je comprends moins comme "en vue de Lui" ou à Son Intention que comme: "en capacité d'être enchâssés en Lui." Sainte Thérèse de Lisieux, dont nous méditions hier le "Je choisis tout", n'hésitait pas de son côté à décrire quel "Dieu" "il (lui) (fallait)".
Mais Saint Hilaire s'oppose aussi à la théologie de la "récapitulation" qu'on trouve en germe dans Saint Paul aux Ephésiens et que développera Saint Irénée et, de notre temps, Teilhard de Chardin, qui centralisera certes tout sur le Christ, mais qui se servira de la "récapitulation" pour ne pas succomber à la tentation panthéiste. Et certes, nous à qui le péché nous fait souvent manquer de coeur, voire ne plus avoir de coeur du tout, , il nous faut bien puiser dans l'altérité du christ ce supplément de coeur que nous n'avons plus ou ce "supplément d'âme" dans lequel nous ne croyons plus.
2. Pourtant, comme on aurait aimé pouvoir se dire, dans "la communion des saints" qui est antérieure au péché originel de même qu'elle est l'avers de ce revers qu'est le péché originel, que nous, hommes, êtres intermédiaires entre le monde visible et le monde invisible, serions "lien d'amitié de l'univers et gage d'affection de la Création!" Il nous reste pourtant quelque chose de cette compassion pour la Création, à nous qui avons été créés à l'Image du "Dieu des compassions." Ce quelque chose qui nous reste, c'est la réceptivité au mal du créé, c'est ce courant conducteur de la Création qui nous en rend entièrement solidaires et responsables, et qu'on pourrait appeler une "télépathie générale"... et généreuse. La télépathie générale, merveilleuse relique réceptive de la communion des saints, est ce qui fait que la Création est au courant et que l'histoire nous informe.
Bonjour Monsieur l'abbé,
RépondreSupprimerVous dîtes : " Dieu n'a pas prévu depuis toujours de se faire homme. Pour cela, il a fallu le péché."
Faut-il comprendre que Dieu -qui sait tout,, avant, pendant et après-, ne se serait pas incarné s'il n'y avait pas eu le péché originel ?
L'Incarnation, n'aurait-t-elle que le seul effet de nous délivrer du péché ?
Cordialement.
Une certaine Théologie moderne dit que le Christ se serait, de toute façon, incarné...il paraît que l'on trouve cela dans saint Augustin, je l'ai entendu par un prêtre actuel, curé de sa paroisse (mais que n'entend-on pas dans les paroisses).
SupprimerAlors que la Théologie "classique" pense que le Christ s'est incarné POUR nous sauver, donc PARCE QUE il y eut péché originel: "Heureuse faute qui nous valut un tel Rédempteur !"(Exultet de la nuit de Pâques).
En tout cas, l'Incarnation n'a pas que pour effet de nous délivrer du péché, ou plutôt : être délivré du péché emporte d'immenses conséquences : adoption, amitié, filiation, participation, communion, gloire...
Après la loi de la « relativité générale », il y a la « loi de la télépathie générale » !! j’aime beaucoup !
RépondreSupprimerSe méfier de ce qu’on entend de nouveau sur « radio-paroisse » ! ( qui n'est pas nouveau)
Elles courent encore les idées de la théologie postconciliaire de Rahner et de Hans Kung qui ont fait passer le Christ « de la théologie du Verbe du Père, homme pour le salut de l’homme vers l’homme Jésus en tant que fils de Dieu, dans la mesure où il s’est élevé ( !!) jusqu’à une proximité de Dieu absolu et irréversible. »(Mgr Gerardini)
Benoîte